Ahmed, vis-tu enfin apaisé ?
Je vis modestement sur le plan matériel. Ma nouvelle compagne m’aide beaucoup à surmonter certaines épreuves. J’ai choisi de placer mon destin entre les mains de Dieu que je souhaite servir au nom des miens. D’ailleurs, parallèlement à mon activité professionnelle, j’étudie pour devenir diacre d’église.
Comment, le fils d’une famille musulmane conservatrice que tu es, en est il arrivé à renier sa religion patriarcale ?
J’ai effectivement grandi dans une famille tunisoise issue de la classe moyenne où j’ai reçu une éducation rigoriste et traditionnelle. D’ailleurs, un de mes proches a même été un grand Mufti de la république. Je crois que je n’ai jamais eu la foi musulmane mais je m’employais en apparence à respecter la sensibilité de mes parents et celle de ma famille. Les rituels et les interdits, je les vivais comme une construction identitaire. Avec l’âge, j’ai commencé à mesurer les distorsions entre la foi et sa pratique. Au quotidien, j’étais entouré de « bons musulmans », professant de jour des leçons d’interdits religieux, ceux-là mêmes qui une fois la nuit tombée ou les portes et fenêtres closes, n’hésitaient pas à décapsuler une bière. Cette hypocrisie collective, je la rejetais au fond de moi-même. C’est cette prise de conscience qui a fondé ma recherche d’une autre identité religieuse. Alors, je me suis en tête d’étudier la Torah et la Bible. Les textes des Évangiles m’ont vite conquis !
Comment as-tu cultivé ta foi catholique ?
Alors que je me cherchais encore, un ami ouvrier qui venait de récupérer une bibliothèque sur un chantier, me fit comme cadeau des livres anciens. Mon attention s’est tout de suite portée sur un ouvrage volumineux à la reliure en cuir vieilli. C’était la Bible ! Des jours durant, je l’ai parcourue en catimini, à l’abri du regard de mes proches. Au fil des versets, mes croyances se renforçaient. Ce fut la première révélation de ma foi catholique…Pour parfaire mes connaissances théologiques, je suis ensuite rentré sous les ordres pendant quatre ans au Monastère de Carthage.
Dans ton parcours, as-tu rencontré d’autres apostats tunisiens ?
Chez les catholiques, c’est plutôt rare mais les Évangélistes font plus d’émules. J’ai eu vent de dizaines de nouveaux convertis parmi les Tunisiens.
Après cette conversion, c’est la descente aux enfers ?
Ma femme a demandé le divorce le jour où elle a découvert la Bible que je lui dissimulais sous le matelas. La nouvelle de ma conversion s’est répandue comme une trainée de poudre. La plus jeune de mes filles en a beaucoup souffert psychologiquement car à l’école elle était régulièrement la cible de railleries : la fille du « koffar » [ou kouffar, c’est-à-dire un mécréant]. Dans les jours qui ont suivi, j’ai perdu toute ma famille dont très douloureusement l’affection de ma mère qui ne jurait plus que par mon autre frère “musulman déclaré” mais alcoolique. Mon divorce a été prononcé en moins de trois mois et j’ai été condamné à payer à mon ex épouse une pension mensuelle équivalente à 400 % de mes revenus de l’époque. Ma famille et mon pays m’ayant lâché ! J’ai alors entrepris l’exil vers la France.
Tu racontes qu’une visite de l’évêque de Tunis sur ton lit d’hôpital a même sonné le glas de ta carrière professionnelle…
Oui, alors que j’étais hospitalisé dans une clinique à Tunis pour subir une grosse opération chirurgicale, j’ai eu l’honneur de recevoir la visite affectueuse de l’Evêque de Tunis. Comme j’étais haut fonctionnaire tunisien, mon ministre de tutelle a aussitôt été informé de cette visite et les conséquences n’allaient pas tarder. Autour de moi, tout le personnel médical est tombé en émoi et j’étais devenu soudainement le paria qu’il fallait vite évacuer. Trois jours plus tard, on m’invita à sortir alors que je n’étais pas tout à fait remis de mon opération assez lourde. Les semaines qui suivirent confirmèrent ma mise au placard professionnelle. Au final, j’ai fini par démissionner et sombrer dans une profonde dépression.
Devant tant d’hostilités, as-tu envisagé de faire machine arrière ?
Jamais ! J’aspirais à vivre simplement ma religion en toute transparence. Je tenais à me démarquer des musulmans que j’avais fréquentés et qui passaient leur temps à dissimuler publiquement leurs déviances. Ma foi était plus forte que ces entraves quotidiennes. Comme un symbole, même la cérémonie de mon baptême à Tunis a du être reportée une première fois à cause de l’avis de tempête qui était en vigueur sur Tunis.
Aujourd’hui, as-tu renoué avec ta famille ?
Je souffre de ne plus voir mes enfants même si je les ai régulièrement au téléphone. Ils ont tous deux compris mon choix et le respectent. Quant à mes parents et ma famille, ils me sollicitent exclusivement pour des questions matérielles.
Quel regard portes-tu sur la Tunisie actuelle ?
Je suis très inquiet pour l’avenir des libertés dans mon pays. La révolution a galvanisé les violences. Les mêmes qui hier me méprisaient n’hésitent plus désormais à me menacer dans ma chair ! Où est passée notre culture de tolérance ?
Ton retour en Tunisie est-il envisageable ?
Dans la Tunisie actuelle : impossible…celle des nos grands parents : certainement !