Alain Finkielkraut : "L’antiracisme est en train de devenir fou"
L’écrivain et essayiste Alain Finkielkraut, auteur de “L’Identité malheureuse”, dénonce l’idéal multiculturel prôné par le rapport sur l’intégration.
Votre livre a suscité une vive controverse médiatique tout en s’installant en tête des ventes. Que vous ont inspiré ces vives critiques ?
Ce n’est jamais agréable d’être traité de réactionnaire, ou pire, de raciste. Je n’ai pas échappé à ce genre d’accusations. J’en ai souffert. Mais j’ai eu la chance de pouvoir me défendre dans diverses émissions. Je ne peux donc pas me poser en victime. Il me semble que la vie intellectuelle française est en danger, car l’antiracisme est en train de devenir fou. Ce n’est plus le principe moral que nous partageons tous, c’est devenu une idéologie qui donne lieu à des mises en cause, des dénonciations dès lors qu’on ose aborder des sujets comme la nation, l’identité française ou européenne. C’est très regrettable. Certains ont une prévention, des préjugés à mon endroit. Je paie mon effort de penser le présent en ces propres termes. Je ne crois pas que nous vivions un retour des années 30, que la France soit en danger de succomber à ses démons. Disant cela, je désavoue la pensée majoritaire dans le monde intellectuel et journalistique. En 1930, il n’y avait pas de territoires perdus de la République, de francophobie et de sexisme dans certaines banlieues.
On vous sent travaillé par une immense nostalgie. Celle de la France d’avant ?
Je dois dire que je trouve barbare la haine de la nostalgie. Si comme on nous le répète, avec l’arrivée des nouvelles technologies et d’un certain nombre de mutations, le monde d’hier meurt, on doit avoir le droit d’en porter le deuil. Le regret n’est pas un crime. Rien ne nous assure que la réalité en gestation sera plus douce et plus vivable. Je ne suis pas seulement nostalgique : on est à la croisée des chemins. Faut-il que la France devienne une société multiculturelle comme en témoigne le dernier rapport sur l’intégration ? Si la bataille est perdue, qu’on me laisse être nostalgique. Mais si tout n’est pas joué, je ne renonce pas à combattre.
Vous qui écrivez que "pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant la faculté d’incarner le pays d’accueil", comment avez-vous réagi à ce rapport ?
Il est d’autant plus inquiétant qu’il semble s’inscrire dans une politique délibérée. Certains membres du gouvernement souhaiteraient remplacer l’intégration, concept jugé normatif, par “ la société inclusive” qui demande l’effacement du passé national et invite l’autre à être ce qu’il est, sans limite et sans obstacle. Il est dit dans ce rapport que le français serait la langue dominante et qu’il faut généraliser l’enseignement de l’arabe sur le territoire. Qu’il faut donner des noms de rues dans les villes et les villages à des représentants de l’immigration qui ont fait la France. On en revient à réécrire l’histoire de France pour habituer les Français à la réalité nouvelle en leur disant qu’elle n’est pas nouvelle. Ce sont des procédés totalitaires. Mais il semble que les rédacteurs de ces différents textes sont allés si loin que la réaction de l’opinion va empêcher le Premier ministre de mettre en œuvre cette politique de l’inclusion.
Vous n’avez donc pas considéré ce rapport, à l’exemple de certains, comme une provocation ?
J’ai lu ces textes, je les ai étudiés. Mes cheveux se sont dressés sur ma tête, mais comment y voir une provocation alors qu’ils ont été précédés par le rapport que le conseiller d’Etat Thierry Tuot a remis au Premier ministre en février 2013 ? Un rapport qui critique une France repliée sur le village d’autrefois et qui préconise cette société inclusive qui ne regarderait que l’autre et l’avenir. Je constate qu’il y a dans une partie de la gauche un abandon de la définition républicaine de la laïcité au profit d’un idéal multiculturel. Face au scandale provoqué par l’idée de l’abolition de la loi sur les signes religieux à l’école, le gouvernement va reculer, mais j’ai peur que ce ne soit que partie remise, car cet objectif de “société inclusive” fait partie de la politique européenne.
Comment parvenez-vous à vous affranchir de ces accusations de rouler pour le FN, ou de faire son jeu ?
Je crois profondément que si l’on veut empêcher l’arrivée du Front national au pouvoir, il faut cesser de minimiser un certain nombre de problèmes pour ne pas stigmatiser telle ou telle population. Du déni de la réalité, rien ne peut sortir. Le FN ne se contente pas de la regarder, il l’exploite de façon démagogue. Cela doit être dénoncé, mais cela doit s’accompagner d’une prise en compte des problèmes. C’est un travail incessant, c’est à cette exigence que je tente de me soumettre en écrivant ce livre. Je m’habitue à être lepénisé. Je me dis que dans le contexte actuel, c’est le prix à payer quand on ne veut pas céder à la bien-pensance. Et je fais mienne cette phrase de Péguy : “ Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est le plus difficile, voir ce que l’on voit. ”
Après publication du rapport controversé, Ayrault temporise
Après l’épisode de la mise en ligne sur le site du Premier ministre du rapport controversé, Jean-Marc Ayrault a annulé le séminaire interministériel sur l’intégration annoncé pour le 9 janvier, a indiqué BFMTV. Ce recul traduit le trouble de Matignon alors que le Président Hollande avait réagi en affirmant que ce rapport, commandé par M. Ayrault et chaperonné par plusieurs ministres, ne reflétait en rien la politique du gouvernement.
Le rapport prônait le retour du voile à l’école, l’enseignement de l’arabe et des langues africaines, l’enseignement du français à partir des langues parlées dans les familles... Mercredi M. Ayrault a allumé des contre-feux en accusant la droite d’avoir " l’entière responsabilité" de la montée du "communautarisme".