21/03/2014 à 11:16 AFP Portail Orange
En Turquie, Erdogan déclare la guerre à internet à la veille des municipales
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré la guerre aux internautes en ordonnant jeudi soir un blocage de Twitter dans le pays, vite contourné, qui a suscité une avalanche de critiques contre la "censure" à une semaine des élections municipales.
Quelques heures seulement après les menaces de M. Erdogan de "supprimer" le réseau de microblogging, l'autorité gouvernementale des télécommunications (TIB) est passée à l'acte en prenant prétexte de "décisions de justice" pour "bloquer techniquement l'accès à Twitter", selon l'agence de presse semi-officielle Anatolie.
Cette interdiction constitue la riposte du gouvernement à la diffusion quotidienne sur le net, depuis plus de trois semaines, d'extraits de conversations téléphoniques piratées de M. Erdogan le mettant en cause dans un vaste scandale de corruption.
Adversaire résolu des réseaux sociaux au nom de la "protection" de la jeunesse, le Premier ministre a lui-même annoncé la couleur jeudi devant des milliers de partisans lors d'une réunion électorale à Bursa (ouest).
"Nous allons éradiquer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale", avait-t-il lancé, "la liberté n'autorise pas l'intrusion dans la vie privée de qui que ce soit ou l'espionnage des secrets d'Etat".
Sitôt matérialisée, la décision des autorités a été rapidement contournée par les internautes qui ont pu accéder au réseau via d'autres serveurs,notamment sur les conseils du service clientèle de Twitter.
Vendredi matin, l'accès au réseau, qui compte plus de 10 millions d'abonnés en Turquie, était impossible sur une partie des téléphones portables du pays seulement. Ironie de la situation, le vice-Premier ministre Bülent Arinç est ainsi parvenu à diffuser son programme du jour sur le réseau...
"L'interdiction d'Erdogan a été annulée en moins d'un jour", s'est amusé, sur Twitter, l'éditorialiste du quotidien de langue anglaise Hürriyet Daily News, Murat Yetkin.
Même vide d'une partie de son effet, la décision du gouvernement a provoqué de nombreuses réactions outrées dénonçant une "censure".
Cette mesure "est sans fondement, inutile et lâche", s'est indignée la commissaire européenne en charge des Nouvelles technologies, Neelie Kroes.
- Inquiétudes -
"L'usage des réseaux sociaux est une liberté fondamentale de l'Union européenne", a renchéri son collègue à l'Elargissement, Stefan Füle, aux autorités d'Ankara, candidates à l'adhésion, se disant "très inquiet".
L'opposition s'est déchaînée contre le Premier ministre, y voyant la confirmation de la dérive "orwellienne" du régime islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002.
"Le dictateur a fait un pas dangereux, la Turquie ne peut plus être classée parmi les pays ou règne la démocratie", a déclaré un porte-parole du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), Haluk Koç.
Eclaboussé depuis la mi-décembre dans un scandale de corruption sans précédent, M. Erdogan a riposte par de vaste purges dans la police et la justice et en faisant voter une série de lois très controversées, notamment, le mois dernier, celle sur le contrôle d'internet qui a permis l'interdiction de jeudi soir.
Il accuse ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen d'être à l'origine des accusations de corruptions lancées contre lui pour le déstabiliser avant les municipales de la semaine prochaine et la présidentielle prévue au mois d'août 2014.
Le Premier ministre, qui avait déjà mis en cause Twitter lors de la fronde antigouvernementale de juin dernier, avait déjà menacé au début du mois de fermer la plateforme YouTube et le réseau Facebook.
Le président Abdullah Gül, un compagnon de route de M. Erdogan qui a pris ses distances avec lui, avait toutefois écarté cette menace. "Une interdiction est hors de question", avait tranché le chef de l'Etat, un adepte des réseaux sociaux.
Manifestement gêné, le vice-Premier ministre en charge de l'économie, Ali Babacan, lui aussi présenté comme un modéré, a tenté d'apaiser la polémique en pariant que l'interdiction ne "durera pas très longtemps".
"Nous n'avons pas pu cibler notre mesure (contre les sites incriminés) donc on a choisi à contre coeur de fermer entièrement (Twitter) à cause des insultes et des calomnies qui y sont diffusées", a-t-il justifié sur la chaîne d'information NTV.
Des appels à manifester ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux pour vendredi dans les trois plus grandes villes du pays, Ankara, Istanbul et Izmir (ouest).
Le Turquie est considérée par les ONG de défense des libertés comme un des pays les plus répressifs en matière de contrôle du Web. Le pays, qui compte quelque 12 millions d'utilisateurs de Twitter, a interdit l'accès à des milliers de sites ces dernières années.