Le Venezuela est soumis à la censure et à l'autocensure
Le Monde.fr | 25.03.2014 à 02h25 • Mis à jour le 25.03.2014 à 09h10 |
Nous sommes des journalistes, nous ne sommes pas des terroristes ! » Sous ce slogan, dimanche 23 mars, le Syndicat des travailleurs de la presse a rassemblé des dizaines de professionnels sur la place Madariaga, dans le quartier El Paraiso, à Caracas, pour protester contre l'irruption de la garde nationale bolivarienne (GNB), fer de lance de la répression, la veille, dans la résidence d'une journaliste du quotidien 2001, Mildred Manrique, interpellée et interrogée pendant trois heures.
Une délégation syndicale s'est rendue ensuite au commandement de la GNB, toute proche, pour présenter ses doléances : 74 professionnels des médias ont été agressés par la GNB depuis le début des manifestations d'opposition, le 12 février, qui ont fait 35 morts à ce jour. Les gardes s'en prennent tout particulièrement aux photographes et cameramen, témoins de leurs brutalités. Les journalistes ont demandé l'arrêt des exactions policières et des garanties pour l'exercice de leur métier.
« NOUS NE POURRONS PAS TENIR LONGTEMPS »
L'information est l'une des principales victimes du climat de polarisation politique qui divise le Venezuela. Faute de recevoir les dollars nécessaires à l'importation de papier, le quotidien de référence, El Nacional, est réduit à huit pages. La plupart des tribunes d'opinion paraissent uniquement sur l'édition numérique. « Nous avons fait toutes les démarches nécessaires, mais les autorités refusent de nous donner les devises, explique Miguel Henrique Otero, patron d'El Nacional. Des journaux colombiens, solidaires, nous ont fourni du papier pour continuer à publier. Mais nous ne pourrons pas tenir longtemps. »
En revanche, la concurrence, Ultimas Noticias, principal tirage de la presse quotidienne nationale, a reçu les dollars au taux officiel de 6,30 dollars (dix fois inférieur au taux du marché parallèle), pour s'assurer l'approvisionnement en papier jusqu'à février 2015. Ce traitement de faveur s'explique par le changement d'orientation d'Ultimas Noticias, qui avait jusqu'alors maintenu un équilibre précaire. « Le groupe Capriles, auquel appartient Ultimas Noticias, a été vendu à un actionnaire proche du gouvernement, dont l'identité n'a pas été révélée, dénonce M. Otero. La transaction a été faite par l'intermédiaire de la banque BOD, ce qui est contraire à la loi, moyennant une opération de change elle-même frauduleuse. »
Cette situation a déstabilisé le groupe El Nacional, qui a dû arrêter la publication de suppléments et de titres rentables, faute de matière première. L'audience du site Internet compense en partie la perte de lecteurs. « Mais la transition numérique nécessite encore une dizaine d'années, sans compter que le modèle économique du Web reste insuffisant », confie M. Otero.
PRATIQUEMENT PLUS DE PLURALISME EN RADIO ET TÉLÉVISION
Parmi les journaux d'opposition, le quotidien El Universal résiste encore. Par contre, le quotidien Tal Cual est en butte à un procès en diffamation intenté par le président de l'Assemblée nationale, Diosdado Cabello, le numéro deux du régime. La plainte ne vise pas seulement l'auteur de l'article incriminé, Carlos Genatios, ancien ministre du président Hugo Chavez, et le directeur de la publication, Teodoro Petkoff, conscience morale de la gauche. Les poursuites engagées concernent tous les actionnaires de Tal Cual, qu'on cherche à faire taire. « Diosdado Cabello avait donné son pouvoir à son avocat un mois avant la parution de l'article incriminé, ce qui dévoile la préméditation de la manœuvre », raconte M. Petkoff.
La presse écrite touche une minorité, contrairement à la radio ou à la télévision. Cependant, la loi dite « Resortes » pèse comme une épée de Damoclès sur les médias et pousse à l'autocensure. Seuls quelques programmes d'Union Radio ou de Radio Caracas restent ouverts à la diversité. Quant à la télévision, depuis la fermeture de la chaîne RCTV, en 2007, et la vente de Globovision, en 2013, il n'y a pratiquement plus de pluralisme.
La propagande gouvernementale envahit même les débuts de soirée et interrompt sans ménagement une éventuelle interview d'opposant, comme Antonio Ledezma, maire de Caracas, il y a quelques jours, sur Globovision. Les Vénézuéliens en sont réduits à regarder CNN en espagnol pour s'informer. Heureusement, 60 % d'entre eux sont connectés aux réseaux sociaux, qui relaient les nouvelles, mais aussi des rumeurs invérifiables. Toutefois, le gouvernement a d'ores et déjà « donné l'ordre de réduire le signal d'Internet étant donné la situation du pays », avoue la direction d'un grand hôtel de Caracas.