Bien-être animal. En matière de bien-être animal, le foie gras français veut redorer son image. Les producteurs se sont engagés dans une démarche de certification de leurs élevages.. Photo AFP
Le pays de la gastronomie serait-il en train de changer le menu en délaissant la viande ? Force est de constater que le « bien-être animal » s'invite de plus en plus dans nos assiettes, les livres prônant la diète végétarienne se vendent comme des petits pains, la cause semble trouver des sympathisants au-delà du premier cercle des militants. Dans ce débat nourri, éleveurs et abatteurs s'efforcent, eux, de respecter la loi.
Les Français, grands mangeurs de viande crue, cuite, en sauce ou grillée, sont-ils au seuil d'une révolution culturelle, voire morale ? Longtemps cantonné aux seuls militants, le débat sur le « bien-être animal » est désormais sur la place publique. Ainsi, récemment dans « On n'est pas couché », talk-show phare sur France 2, Laurent Ruquier n'a pas mâché ses mots. L'animateur présente « le bouquin qui peut nous faire basculer » et qui, depuis une semaine, lui passe l'envie de se faire un steak ! « Manger de la viande d'élevage intensif, c'est manger de l'humiliation, de l'angoisse et de la douleur... », lit-il. «... et de la m... », renchérit l'auteur, Franz-Olivier Giesbert, quasi végétarien. Son livre « L'animal est une personne » (Éditions Fayard), avec un vaillant Chat botté en couverture, est sorti la même semaine que le « Plaidoyer pour les animaux » (Éditions Allary) du moine bouddhiste Matthieu Ricard, et ce, un an après la parution de « No Steak » du journaliste Aymeric Caron. Autant d'ouvrages qui questionnent sur notre habitude de manger du veau, du porc, du poulet, mais aussi les oeufs, le lait... en s'attardant sur la grande dureté, voire cruauté, de l'élevage intensif et de l'abattage. « Je n'ai pas de conseils à donner, juste une humble requête : ne détournez pas le regard. La réalité est ce qu'elle est, appréhendez-la, et décidez en votre âme et conscience » si l'entrecôte dans votre assiette vaut la souffrance qu'elle a engendrée, explique Matthieu Ricard, qui, loin de son monastère népalais de Shéchen, court de conférence en interview. « Les scientifiques ont montré que les poissons souffraient, et que les homards souffraient, que les crabes souffraient », égrène celui qui est aussi docteur en génétique cellulaire.
« On rougit moins »
La cause du « bien-être animal » semble d'ailleurs trouver de plus en plus de sympathisants dans un pays qui ne compte que de 1,5 % à 3 % de végétariens. « C'est un phénomène qui se dessine. On rougit moins d'afficher son empathie à l'égard de l'animal », constate l'un de leurs défenseurs de la première heure, Allain Bougrain-Dubourg. Pour le président de la Ligue pour la protection des oiseaux, un palier a été franchi, il y a un an, avec l'appel lancé par 24 intellectuels pour créer dans le code civil une « catégorie propre entre les personnes et les biens » pour les animaux, « êtres sensibles » (lire ci-contre). Il était notamment signé du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, des philosophes Elisabeth de Fontenay, Alain Finkielkraut et Michel Onfray. « Ça a crédibilisé un discours exclusivement porté jusqu'alors par les amis des animaux », s'est félicité Allain Bougrain-Dubourg. Et ce discours dépasse désormais le premier cercle de militants, acquiesce Brigitte Gothière, porte-parole de l'association L 214, qui alerte sur l'élevage industriel. « On est arrivé très, très rapidement à plus de 100.000 fans sur Facebook contre 17.000 en juin dernier, alors qu'on a un discours assez radical, vu qu'on pousse le raisonnement jusqu'à dire que protéger les animaux, c'est ne pas les manger du tout ». Preuve du changement, « on vient d'être invités pour la première fois à une table ronde à AgroParisTech ! », le temple de la formation des ingénieurs agronomes. Autre signe des temps, le chef étoilé Alain Ducasse vient de supprimer la viande de la carte de son restaurant au Plaza Athénée.
Des scandales en chaîne
De la vache folle au scandale des lasagnes au cheval, les crises alimentaires ont certainement contribué à ces questionnements sur l'alimentation. Il en est de même pour la crise écologique qui, pour Allain Bougrain-Dubourg, « a imposé un regard vers nos voisins de planète, les animaux, et plus globalement le vivant qui nous entoure ».
EN COMPLÉMENT
« N'ayons pas honte de manger de la viande »
Jacques Servière, neurobiologiste à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) a travaillé sur le thème du bien-être animal et de la douleur en élevage. Selon lui, il ne faut pas culpabiliser de manger de la viande.
Manger de la viande, est-ce manger « de l'humiliation, de l'angoisse et de la douleur » ?, comme l'écrit Franz-Olivier Giesbert ?
C'est une évidence que les animaux n'éprouvent pas du plaisir quand on les castre ou quand on leur coupe la queue. Les animaux peuvent ressentir quelque chose qui est de l'ordre de la douleur ; mais cette douleur n'est pas vécue avec la même tonalité émotionnelle que chez l'humain. Nous pensons en effet qu'il y a des différences dans l'organisation des systèmes nerveux. Les circuits qui sont impliqués dans la gestion des émotions sont différents. Il ne faut donc pas mettre tous les êtres vivants au même niveau. Pour autant, cela ne justifie pas de faire n'importe quoi. Les hommes qui manipulent et élèvent des animaux ont une responsabilité morale.
Beaucoup d'ouvrages veulent nous faire passer l'envie de manger de la viande. Qu'en pensez-vous ?
Ils sont faits pour soulever l'émotion du lecteur. Ils n'ont pas d'autre valeur. Mais je ne mettrais pas tout le monde au même niveau. Franz-Olivier Giesbert mélange ses souvenirs d'enfance et une posture morale qu'il érige en valeur universelle. Il surfe sur une tendance qui vise à dire haro sur les éleveurs et les mangeurs de viande. Pourquoi le fait-il seulement maintenant ? Matthieu Ricard, en tant que moine bouddhiste, défend une position philosophique et religieuse qui fait qu'il respecte tous les êtres vivants. Il est cohérent.
Faut-il avoir honte de manger de la viande ?
Non, car nous avons la chance de vivre dans un continent qui s'est doté d'une réglementation sur l'élevage, le transport et l'abattage des animaux la plus exigeante de la planète. Maintenant, on nous montrera toujours des vidéos tournées dans des lieux où ces lois ne sont pas respectées. Effectivement, de tels dérapages ne sont pas tolérables ni pour les animaux ni pour l'image des professionnels.
Éleveurs et abatteurs sont-ils sensibles au bien-être animal ?
Ils respectent la loi. Ils mettent plus ou moins de temps à appliquer les normes car cela nécessite des investissements mais, objectivement, cela avance. Dans certains pays, des amendes tombent. Et je vous assure que la nouvelle génération d'ingénieurs agronomes que nous formons est au courant de tous les débats sur le bien-être animal et sur la nécessité d'épargner des douleurs aux animaux jusqu'à la phase finale.
Un nouveau statut dans le Code civil
Au printemps dernier, les députés ont reconnu aux animaux la qualité symbolique « d'êtres vivants doués de sensibilité » alors que, jusqu'à présent, le Code civil les considérait comme des « biens meubles ». Au terme d'un débat long et animé, ils ont voté un amendement socialiste en ce sens (déposé par le député Jean Glavany), et ce, dans le cadre d'un projet de loi de modernisation et de simplification du droit. Ce n'est qu'une « petite avancée symbolique », juge la députée EELV, Laurence Abeille. Mais un tel statut semble déjà de trop pour le principal syndicat agricole, FNSEA, qui estime qu'il « risque de remettre en cause la pratique même de l'élevage ».