L'embargo alimentaire, une arme diplomatique souvent utilisée par la Russie
Le Monde.fr | 08.08.2014 à 19h48 • Mis à jour le 09.08.2014 à 11h48 |
Adieu bœufs, porcs, volailles, poissons, fromages, lait, fruits et légumes d'Europe et d'ailleurs... Le 7 août 2014, le premier ministre russe, Dimitri Medvedev, a décrété « un embargo total » d'un an sur ces produits en provenance de l'Union européenne, des Etats-Unis, de l'Australie, du Canada et de Norvège. Une réponse officielle aux sanctions occidentales à l'encontre de Moscou, accusé de soutenir militairement les séparatistes pro-russes dans l'Est de l'Ukraine.
Ce n'est pas la première fois que Moscou utilise les restrictions commerciales comme arme de pression diplomatique. Certaines décisions des services sanitaires russes semblent en effet directement dictées par la politique étrangère du Kremlin.
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Des produits bannis par dizaines ces derniers jours
Depuis le renforcement des sanctions occidentales, la Russie interdit presque chaque jour l'entrée de nouveaux produits alimentaires sur son territoire, sous couvert d'inquiétudes sanitaires souvent jargonnantes.
Le 4 août, les services de surveillance vétérinaire et phytosanitaire russe, le Rosselkhonazdor, menaçaient de suspendre l'importation de bourbon en provenance des Etats-Unis au motif qu'il contenait « des phtalates pouvant provoquer des bouleversement fonctionnels et organiques dans le système nerveux central et périphérique, le système endocrinien, ainsi que le cancer et des problèmes d'infertilité chez les hommes et les femmes ».
Trois jours plus tôt, ils interdisaient de territoire les fruits et légumes polonais pour « violations multiples des procédure d'importation ». Le 25 juillet, c'étaient les produits laitiers ukrainiens qui étaient bannis pour cause de « détections répétées de résidus de substances suspectes ou interdites ».
◾Les denrées ukrainiennes dans le viseur
Depuis le début de la de crise ukrainienne, le Rosselkhonazdor multiplie les interdictions d'importation durables ou ponctuelles visant Kiev. Avant même le début des manifestations sur la place Maïdan – alors que l'Ukraine faisait part de sa volonté de se rapprocher de l'Union européenne, contrariant le projet russe d'Union eurasienne – le chocolat ukrainien était subitement devenu « cancérogène » et les blocages de produits ukrainiens s'étaient multipliés aux douanes russes.
Les choses ne sont pas arrangées dans les dernières semaines. Plaidant toujours « la protection du consommateur », la Russie a refoulé des cargaisons de poissons à destination de la Crimée pour « défaut de papiers vétérinaires » mais aussi des fromages « suspects » ou des plantes arrivant d'Ukraine.
Les Etats-Unis sont également dans le collimateur des autorités sanitaires russes, qui ont demandé à la justice d'interdire plusieurs produits de McDonald's en raison « d'infractions sur les normes de sécurité ». Sur les dix dernières interdictions de produits ordonnées par le Rosselkhonazdor, trois concernaient des produits américains.
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Des « obstacles artificiels au commerce » dénoncés par la Commission européenne
En 2013, le pays avait décrété un embargo – toujours en vigueur – sur les vins et les fruits moldaves. Encore une fois, la raison était officiellement sanitaire. Officieusement, la Russie s'élevait contre les discussions engagées par la Moldavie sur un accord d'association avec l'UE.
L'Europe, qui « n'a détecté aucun problème de sécurité sanitaire sur les produits issus de l'agriculture moldave », avait alors averti Moscou par la voix du commissaire européen Stefan Füle: « Les menaces de la Russie liées à la possible signature d'accord avec l'UE sont absolument inacceptables. Et ceci s'applique à tous les types de pressions (...) notamment des obstacles artificiels au commerce. »
◾En 2006, la Moldavie et la Géorgie dans le viseur
Dès 2006, en plein désaccord avec la Moldavie sur le statut de la Transnistrie, Moscou avait décrété un premier embargo sur le vin du pays. A l'époque, les Moldaves écoulaient 80 % de leur production en Russie. De quoi faire rentrer dans le rang l'ancien petit Etat soviétique, gros producteur de vin.
La même année, le Kremlin avait aussi interdit l'importation des vins et des eaux minérales en provenance de Géorgie, mettant en cause, « la faible qualité des produits ». Les relations entre les deux pays étaient alors extrêmement dégradées. Deux ans plus tard, la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de deux provinces géorgiennes, l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, avait déclenché une guerre.
Camille Drouet