Comment les Français ont-ils vécu les attentats de janvier, puis la mobilisation citoyenne qui s’ensuivit ? Cette séquence a-t-elle modifié notre regard sur l’islam, et sur notre société en général ? Quelles mesures prendre pour lutter contre l’extrémisme religieux ? Pour évoquer ces questions, un sondage Ipsos/Sopra-Steria pour Le Monde et Europe 1 a été réalisé auprès de 1 003 personnes, qui ont été interrogées par Internet les 21 et 22 janvier ; soit deux semaines après le début des tueries, et dix jours après la marche républicaine. En voici les principaux enseignements.
- « Guerre » ou pas guerre : les Français partagés
Une assez courte majorité de Français (53 %) estime que
« oui, il s’agit vraiment d’une guerre ». 47 % jugent au contraire que ce terme est
« exagéré ». 84 % de ceux qui affirment que notre pays est en guerre pensent que celle-ci est dirigée contre
« le terrorisme djihadiste uniquement » ; 16 % contre « l’islam en général » (6 % des sympathisants PS, 16 % de ceux de l’UMP et 42 % de ceux du FN). Près des deux tiers (63 %) de ceux qui affirment que notre pays est en guerre considèrent que nous la
« gagnerons », 36 % sont d’un avis contraire.
- L’islam jugé plus « compatible » avec la société française qu’auparavant
Les attentats commis par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly n’ont pas rejailli sur l’acceptation croissante de l’islam par la société française. Certes, une petite majorité (51 %) des personnes interrogées considère que la religion musulmane
« n’est pas compatible avec les valeurs de la société française ». Mais c’est 12 points de moins qu’en janvier 2014 et 23 points de moins qu’en janvier 2013. Ceux qui jugent l’islam
« compatible » avec ces valeurs sont, eux, 47 %, contre 37 % il y a un an et 26 % il y a deux ans. L’écart reste cependant important avec la religion catholique, jugée
« compatible » par 93 %, et la religion juive (81 %). La tolérance des femmes vis-à-vis de l’islam (50,3 %) est supérieure à celle des hommes (43,5 %). L’acceptation de l’islam est très dépendante de l’orientation politique. Si 66 % des sympathisants de gauche jugent cette religion
« compatible avec les valeurs de la société française », ils ne sont que 39 % parmi ceux de l’UMP et 12 % parmi les proches du Front national.
- Une religion « aussi pacifiste que les autres » pour les deux tiers des Français
66 % des personnes interrogées (81 % des sympathisants de gauche, 53 % des proches de l’UMP, 39 % des sympathisants du FN) jugent que l’islam est
« une religion aussi pacifiste que les autres », et que
« le djihadisme est une perversion de cette religion ». A contrario, 33 % considèrent que
« même s’il ne s’agit pas de son message principal, l’islam porte malgré tout en lui des germes de violence et d’intolérance ». Les femmes sont plus nombreuses que les hommes (70,5 % contre 61,5 %) à être bien disposées à l’égard de cette religion.
- Les représentants musulmans ont été entendus
Les condamnations des attentats par les responsables de l’islam en France ont été entendues : 65 % des personnes interrogées ont jugé ces représentants
« assez présents », et 60 % ont été
« convaincus ». Une majorité de Français (58 %) juge qu’on a
« raison de leur demander de condamner ces attaques, ce n’est que comme cela que l’on évitera les amalgames entre musulmans en général et extrémistes djihadistes en particulier ». 35 % craignent cependant qu’
« à force de trop insister, on risque de créer un malaise au sein de la communauté musulmane qui va se sentir de plus en plus stigmatisée ».
- Amplifier l’engagement militaire de la France à l’étranger
Les attentats commis en région parisienne ont manifestement conduit les Français à approuver l’engagement militaire de leur pays contre le djihadisme.
« Là où la France est déjà présente (Mali, Sahel, Irak…) », 50 % des personnes interrogées considèrent qu’elle doit « augmenter » son engagement, 40 % le maintenir à son niveau actuel ; seuls 9 % souhaiteraient le voir diminuer. S’agissant spécifiquement de la Syrie, 65 % des personnes interrogées seraient favorables à ce que la France y
« intervienne plus directement, dans le cadre d’une coalition internationale contre le djihadisme islamique » ; 34 % sont d’un avis contraire.
- Contre l’extrémisme religieux : la sécurité, au détriment de la liberté
Dans l’éternel débat entre partisans de la sécurité et défenseurs des libertés, la balance penche nettement en faveur des premiers. A la suite des attentats, une écrasante majorité des Français est favorable à la mise en œuvre de différentes mesures qui leur sont suggérées
« pour lutter contre l’extrémisme religieux ». Y compris celles qui empiéteraient nettement sur les libertés individuelles. «
Généraliser les écoutes téléphoniques sans accord préalable d’un magistrat » ? 71 % des personnes interrogées y sont favorables.
« Pouvoir perquisitionner des domiciles sans accord préalable d’un magistrat » ? 67 % approuvent.
« Pouvoir mener des interrogatoires de suspects sans l’assistance d’un avocat » ? D’accord à 61 %. Sur ces trois mesures, les sympathisants de gauche sont respectivement 60 %, 58 % et 46 % à se dire favorables à leur mise en œuvre.
- L’attitude de l’exécutif saluée
Confirmation : les Français approuvent largement la façon dont l’exécutif a géré cette période. Le premier ministre, Manuel Valls, sort premier d’une liste de neuf personnalités politiques : 86 % des personnes interrogées (94 % des sympathisants du PS, 91 % de ceux de l’UMP) estiment qu’il
« a eu l’attitude qui convenait lors de ces événements ». Le président de la République, François Hollande (83 %), et le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve (81 %) le suivent de près sur le podium. Dans ce contexte sécuritaire, la ministre de la justice, Christiane Taubira, est nettement moins bien perçue : seules 50 % des personnes interrogées (33 % des sympathisants de l’UMP) jugent qu’elle
« a eu l’attitude qui convenait ».
- Marine Le Pen désapprouvée, y compris chez les siens
69 % des personnes interrogées désapprouvent l’attitude de Marine Le Pen qui, leur était-il rappelé,
« n’a pas participé au rassemblement national des 10 et 11 janvier ». La présidente du Front national s’était alors rendue à Beaucaire (Gard), ville FN dirigée par Julien Sanchez, pour un hommage aux victimes des attentats qui s’était transformé en meeting politique. Signe que cette séquence, en tout cas à court terme, ne lui a pas été favorable : un tiers des sympathisants du FN désapprouvent également l’attitude de Mme Le Pen : 24 % la
« désapprouvent plutôt », 9 % la
« désapprouvent tout à fait ».
Lire : Comment Marine Le Pen s’est mise hors jeu
- Les Français partagés sur les caricatures
Seules 9 % des personnes interrogées se disent opposées à
« la publication dans la presse de caricatures satiriques se moquant des religions ». Cette option mise à part, le débat reste ouvert, chacun dosant à sa façon convictions personnelles et liberté d’expression. 53 % de l’échantillon (65 % des sympathisants de gauche) se rangent derrière l’opinion suivante :
« vous approuvez la publication de ces caricatures car il est normal qu’en démocratie on puisse dire ce que l’on veut ». 38 % (45 % des sympathisants de l’UMP) se retrouvent plutôt dans cette formulation :
« vous désapprouvez d’un point de vue personnel ce type de caricatures mais vous considérez néanmoins qu’il est nécessaire qu’en démocratie on puisse dire et publier ce que l’on veut ».
- Revigorés, les Français se sont eux-mêmes surpris
Invités à se retourner pour regarder leur propre comportement dans les deux semaines qui ont suivi le début des attentats, les Français, pas peu fiers, n’en reviennent pas.
« Finalement, après ces attaques terroristes et la mobilisation du 11 janvier », 93 % jugent qu’ils
« sont prêts à se mobiliser massivement quand les valeurs du pays sont menacées ». Ce simple constat engendre des surprises : 89 % trouvent que
« les Français sont plus attachés à leur pays qu’on ne le pensait », 81 % qu’ils « sont plus unis qu’on ne le pensait », 67 % que leur pays
« est plus aimé à l’étranger qu’on ne le pensait ». Un essai qui reste à transformer : une courte majorité des personnes interrogées (51 %) refuse d’en déduire qu’
« on peut être plus confiant qu’avant quand on pense à l’avenir du pays et de sa société ».
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