Comment Boko Haram mène une contre-offensive autour du lac Tchad
Par Christophe Châtelot
LE MONDE| Le 13.07.2015 à 10h49 • Mis à jour le 17.07.2015 à 07h44
En l’espace de quelques jours, « l’Etat islamique [EI]-wilaya d’Afrique de l’Ouest », nouveau nom de Boko Haram depuis son allégeance en mars à l’EI, a démontré sa résilience après les offensives des armées de la région, en lançant trois attaques dans autant de pays différents : Nigeria, Tchad, Niger.
Certes, la dernière en date est un échec. Dans la nuit de samedi 11 à dimanche 12 juillet, un commando a attaqué la prison nigérienne de Diffa, proche de la frontière avec le Nigeria. Un gardien a été tué, mais les assaillants – qui, selon la radio privée Anfani, portaient des ceintures d’explosifs – ne seraient parvenus à libérer aucun détenu. « Cela démontre toutefois qu’il y a des infiltrations en provenance du Nigeria ou des cellules dormantes sur notre sol », concède un responsable de la sécurité nigérien.
Exporter la terreur
En février, peu de temps après l’engagement du Niger contre la secte qui contrôlait alors de larges pans du territoire nigérian aux frontières du Cameroun, du Tchad et du Niger, la capitale provinciale du sud-est du Niger avait déjà été la cible des islamistes. La prison de Diffa avait également été visée. Là sont détenus, avant leur transfert vers Niamey, les islamistes arrêtés par les forces de sécurité nigériennes sur leur sol ou au Nigeria, dans l’Etat de Borno, où sont déployés les soldats nigériens. Selon le ministre de l’intérieur nigérien, Hassoumi Massaoudou, « quelque 700 personnes – pour moitié des Nigériens – liées à Boko Haram ont été arrêtées » depuis le début de l’intervention nigérienne.
Cette intervention, coordonnée avec les armées du Tchad, du Cameroun et du Nigeria, a certes permis de chasser la secte islamiste des principales villes qu’elle occupait au nord du Nigeria et de briser son rêve de califat. Mais le groupe, bien qu’affaibli, constitue toujours une redoutable menace régionale pour les pays riverains du lac Tchad. Courant juin, Niamey a d’ailleurs demandé aux habitants des quelque 150 îles du lac de quitter la région, devenue une zone de repli des djihadistes, provoquant le brusque afflux de 50 000 personnes déplacées au Niger.
En attaquant aussi le Tchad, qui se trouve en première ligne sur le front anti-Boko Haram au Nigeria, la secte a confirmé sa capacité à exporter la terreur par le biais d’attentats-suicides. L’Etat islamique-wilaya d’Afrique de l’Ouest a ainsi revendiqué, sur Twitter, l’attaque de samedi contre le grand marché de N’Djamena. Un homme habillé en femme, le visage dissimulé par un voile intégral, « a voulu infiltrer le marché. (…) Il a été intercepté par les gendarmes, qui lui ont demandé de se démasquer. (…) C’est à ce moment qu’il a déclenché sa ceinture d’explosifs », a raconté le porte-parole de la police. La tête voilée de l’auteur présumé de l’attentat, arrachée par l’explosion, a été retrouvée près du lieu de l’attaque, et montrée à des journalistes sur place. Le « bilan provisoire » est de 15 morts et 80 blessés, dont 4 graves.
Le groupe avait déjà revendiqué une double attaque ayant fait 38 morts, mi-juin à N’Djamena, la première du genre dans la capitale tchadienne. Dans la foulée, les autorités tchadiennes avaient totalement interdit le port du voile intégral. Dimanche, le gouvernement a averti d’une application stricte de cette disposition.
« Guerre asymétrique »
Mais c’est au Nigeria, le berceau de la secte, que les attaques sont les plus violentes. Depuis vendredi, 13 personnes y ont été tuées dans deux attaques distinctes. Cinq jours auparavant, Boko Haram avait frappé Jos, la grande ville du centre du pays, qui n’avait pas connu pareil attentat depuis un an. Un double attentat quasi simultané, contre un restaurant et une mosquée touchée par un tir de lance-roquettes, avait tué 51 personnes.
Le nouveau président nigérian, Muhammadu Buhari, a érigé en priorité la lutte contre Boko Haram. « Pour le moment, nous notons un changement de discours très net par rapport à son prédécesseur, mais nous ne constatons pas encore de changement sur le terrain où nous sommes déployés », regrettait, il y a peu, M. Massaoudou. La mise en place, prochainement à N’Djamena, de la force de la Commission du bassin du lac Tchad devrait améliorer la coordination entre les différents contingents et leur efficacité sur le terrain.
En attendant, la secte a ainsi multiplié les attaques depuis l’entrée en fonctions de M. Buhari, faisant près de 580 victimes au Nigeria, selon un décompte de l’AFP. « Ce sera une lutte de longue haleine, une guerre asymétrique dans laquelle ils attaquent les villages par petits groupes, tuent tout le monde et disparaissent », avertissait le ministre de l’intérieur nigérien. Au total, l’insurrection et sa répression ont fait au moins 15 000 morts depuis 2009 et plus de 1,5 million de déplacés.
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