Les femmes entrent en force au Parlement turc
Le Monde.fr | 09.06.2015 à 16h42 • Mis à jour le 09.06.2015 à 16h54 | Par Ghalia Kadiri
Le dernier Parlement turc comptait 79 femmes, et le gouvernement d’Ahmet Davutoglu, au pouvoir depuis août 2014, qu’une seule femme sur vingt-six membres : Aysenur Islam, ministre de la famille et de la politique sociale. Mais l’entrée en force du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti prokurde de gauche, à la Grande Assemblée nationale, a changé la donne. Avec 13 % des suffrages, le HDP, qui se dit ouvertement « féministe », enverra sur les bancs du nouveau Parlement 31 femmes sur ses 80 élus. Les islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP), du président Recep Tayyip Erdogan, ont, pour leur part, fait élire 41 députées, contre 46 en 2011. L’AKP est le seul parti à envoyer moins de femmes que lors de la précédente législature.
La condition féminine en recul
A son arrivée au pouvoir en 2002, l’AKP avait d’abord promu les droits des femmes, notamment à la faveur de la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’Union européenne. Une décennie plus tard, le parti d’Erdogan a perdu cet élan et terni son image en restreignant l’accès à l’avortement, ou encore en encourageant le port du voile.
Spécialiste de la Turquie contemporaine à l’Institut français des relations internationales (IFRI), la chercheuse Dorothée Schmid souligne que l’ère Erdogan est marquée par une régression de la culture égalitaire entre hommes et femmes en Turquie. « Ce n’est pas une question de législation mais de culture sociale », explique-t-elle. En effet, le recul de la condition féminine en Turquie se manifeste avant tout dans les discours au sein de l’espace public. « Les hommes sont perçus comme les moteurs de la société, tandis que la femme est reléguée à son rôle de mère », poursuit la chercheuse.
En témoignent les multiples interventions d’Erdogan, qui a ainsi recommandé aux femmes d’avoir « au moins trois enfants » ou expliqué, en octobre 2014, que l’égalité hommes-femmes était « contraire à la nature humaine ». Quelques mois auparavant, son vice-premier ministre Bülent Arinç avait déclaré qu’une femme « ne [devait] pas rire fort en public ». Pour Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble, la condition des femmes en Turquie est en recul. « La situation est moins bonne que sous Kemal [Mustapha Kemal Atatürk, premier président de la République turque] dans les années 1930. »
Recrudescence des violences faites aux femmes
Autre symptôme de la dégradation du statut de la femme en Turquie, les violences qu’elles subissent ne cessent d’augmenter depuis quelques années. Selon un rapport sur la violence en Turquie, publié en 2014 par l’université Hacettepe d’Ankara, 40 % des femmes ont déjà été abusées physiquement au moins une fois dans leur vie, tandis qu’une femme sur dix a déjà subi des violences sexuelles domestiques
En février, le décès d’Özgecan Aslan, une étudiante de 20 ans violée puis tuée à coups de barre de fer par un chauffeur de bus, avait incité des milliers de femmes à prendre la parole sur le harcèlement sexuel.
Le meurtre de la jeune Özgecan est devenu le symbole de la colère qui monte en Turquie. Pendant la campagne des élections législatives, les associations féministes se sont mobilisées pour dénoncer les violences et ainsi faire barrage au parti du président Erdogan. Sur les réseaux sociaux, des centaines de femmes ont pris la pose, le dos tourné, en signe de refus de l’AKP. Une campagne qui a profité au parti HDP, défenseur assumé des droits des femmes et des minorités discriminées (Kurdes, chrétiens, homosexuels).
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