L’Asie du Sud-Est étouffe sous les fumées des incendies d’Indonésie
Après des semaines de feux de forêts en Indonésie qui dégagent des fumées toxiques dans toute l’Asie du Sud-Est, Djakarta devrait enfin déclarer l’état d’urgence.
27/10/15 - 17 H 02
Ces incendies souvent volontaires, en vue d’étendre les surfaces de culture de palmiers à huile, causent une véritable catastrophe écologique, et bouleversent la vie quotidienne de tout un continent.
« Ça dure depuis des semaines ! Aujourd’hui nous avons un ciel de neige et ça ne sent rien, j’ai pu ouvrir les fenêtres de la maison mais hier ça sentait très fort le brûlé avec un épais brouillard. Tout le monde attend la pluie. »
À Singapour, où Marion Zipfel, journaliste française indépendante vit depuis six ans, la « saison des fumées » ne s’est jamais éternisée si longtemps. « Parfois les fumées des feux de forêts venant d’Indonésie arrivent en juin, mais cette année la sécheresse persistante a prolongé le phénomène, dans une dimension jamais atteinte ».
Toute l’Asie du Sud-Est est touchée, jusqu’aux Philippines. Face à l’inaction régionale, ces feux sont devenus une véritable catastrophe écologique.
« TOUT LE MONDE PORTE DES MASQUES »
Si l’aéroport de Singapour n’a pas été fermé jusqu’à présent, les écoles l’ont été à plusieurs reprises, « tout le monde porte des masques, raconte Marion Zipfel et on scrute en permanence les sites Internet qui annoncent les niveaux de pollution, très toxique, mais aucune étude n’a jamais été faite sur l’impact de ces fumées sur la santé ».
La culture sur brûlis, une technique agricole primitive utilisée comme moyen de défrichement et de fertilisation dans les zones tropicales, et les incendies volontaires destinés à étendre les surfaces de culture, notamment des palmiers à huile, ont détruit en quelques mois 1,7 million d’hectares sur les îles indonésiennes de Sumatra, et de Bornéo dans la province de Kalimantan.
Ces incendies de forêts et terres agricoles qui se produisent tous les ans ont dégagé des fumées qui ont touché des milliers de personnes victimes d’infections respiratoires dans toute la région (Malaisie, Singapour, Thaïlande et Philippines) et auraient provoqué la mort de dix personnes en Indonésie, soit dans la lutte contre les incendies, soit en raison de la pollution, selon Djakarta.
MANQUE D’ÉQUIPEMENTS ET D’EAU
À Palangkaria, ville de 240 000 habitants dans la partie indonésienne de l’île de Bornéo, les populations souffrent de cette « fumée jaune » et se précipitent dans la clinique la plus proche afin de pouvoir utiliser l’un des dix réservoirs à oxygène installés afin de respirer de l’air frais, sans aucune autre issue de secours.
Trois bateaux de guerre avec à leur bord des équipes médicales, des tentes, des cuisinières et des masques sont en route pour les régions de Sumatra et Kalimantan, les plus affectées.
Mais les bénévoles sur place qui se démènent se plaignent du manque de réactivité de la part des autorités indonésiennes alors qu’ils manquent d’équipements et d’eau. « Singapour a envoyé plusieurs avions spéciaux pour les feux, précise encore Marion Zipfel, mais ils sont rentrés », comme si l’ampleur de la catastrophe nécessitait une mobilisation de tous les pays limitrophes.
MANQUE DE RÉACTIVITÉ DES AUTORITÉS INDONÉSIENNES
L’agence indonésienne de la gestion des catastrophes a reconnu que la situation était loin d’être sous contrôle. Les données satellites montrent qu’il reste plus de 1 500 « points chauds » mais en réalité beaucoup plus, car les satellites ne peuvent pas percer l’épaisseur du brouillard.
Le président indonésien Joko Widodo a écourté hier son voyage officiel aux États-Unis pour revenir au pays et s’occuper de la crise des incendies. L’opinion publique juge d’ores et déjà qu’il aurait dû agir beaucoup plus tôt.
L’INDUSTRIE DE L’HUILE DE PALME ET SES INTÉRÊTS EN CAUSE
Un Français vivant depuis 17 ans en Indonésie a exprimé hier sa « colère » dans une vidéo contre l’industrie de l’huile de palme qui encourage les feux de forêts. Chanee (de son vrai nom Aurélien Brulé) déplore que « la corruption, le népotisme, les intimidations sont fréquents pour soutenir l’expansion des plantations de palmiers » à huile, dont l’Indonésie est le premier producteur mondial. « L’industrie de l’huile de palme pousse à la déforestation massive », déplore-t-il.
Les efforts régionaux pour éteindre les incendies ne suffiront pas et le Sud-Est asiatique pourrait encore subir pendant des jours ces fumées étouffantes et toxiques en attendant la saison des pluies, qui tarde cette année.
En Malaisie, où de nombreuses écoles ont dû fermer en raison de la mauvaise qualité de l’air, le ministre de l’environnement a estimé que « sans pluie l’intervention humaine ne pourra en aucun cas permettre d’éteindre ces feux qui s’étendent sur des zones énormes ». À Kuala Lumpur, Bangkok, Manille, Djakarta comme à Singapour, on attend la pluie.
Les orangs-outans menacés
Des orangs-outans victimes des incendies de forêts tombent malades, affamés et traumatisés par la destruction d’une grande partie de leur habitat et les fumées toxiques polluant l’Asie du Sud-Est.
Au centre de réhabilitation de Nyaru Menteng dans la province de Kalimantan, sur la partie indonésienne de l’île de Bornéo, 16 bébés orangs-outans souffrant d’infections respiratoires provoquées par l’épaisse fumée âcre ont été mis en quarantaine.
Situé dans un espace de 62,5 hectares entouré de forêt, le centre maintient le niveau de menace actuel à « code jaune », mais l’ampleur des incendies pourrait le faire passer à « code rouge », synonyme d’évacuation sans précédent des 470 orangs-outans du centre.
Dorian Malovic
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-Asie-du-Sud-Est-etouffe-sous-les-fumees-des-incendies-d-Indonesie-2015-10-27-1373452