Le New York Times a publié un article sur Alex, une Américaine de 23 ans, au profil psychologique fragile, endoctrinée par l’Etat islamique autoproclamé via son écran – Skype, Twitter. Le journaliste Rukmini Callimachi a eu accès à tous les messages et contenus échangés entre la jeune fille et son enrôleur.
Après la publication de cet article, plusieurs journalistes américains ont fait le rapprochement entre les techniques d’enrôlement décrites et les méthodes du manuel d’Al Qaeda « A Course in the Art of Recruiting » (« Une méthode de l’art du recrutement »).
Bien qu’Al Qaeda et l’Etat islamique autoproclamé soient des organisations différentes et ennemies, il se pourrait qu’elles utilisent toutes deux ce même document – ou que la seconde soit arrivée aux mêmes conclusions, tant celles-ci sont « évidentes ».
Bons et mauvais profils
Dès ses premières pages, le manuel, qui est en libre accès sur Internet [PDF], conseille de cibler des populations précises. Parmi elles :
- les musulmans non religieux (« un vivier sans limite », est-il écrit dans l’ouvrage) ;
- les musulmans en évolution (« ils cherchent souvent un ami religieux pour les aider ») ;
- les personnes qui pratiquent d’autres religions ;
- les jeunes qui habitent loin des villes (« ils ont des dispositions naturelles pour la religion et il est facile et de les convaincre et de les manipuler ») ;
- les étudiants partis à l’université (« l’université est un lieu d’isolement pour quatre, cinq ou six ans ») ;
- les lycéens (« ils ont un esprit pur et ils sont rarement des espions »).
La jeune Alex du New York Times répond à plusieurs de ces critères : elle est jeune, elle habite dans un milieu très rural, elle était impliquée dans sa paroisse avant sa conversion. C’est une cible idéale.
Le manuel décrit également les personnalités auxquelles il est inutile de s’adresser :
- le lâche ;
- la personne qui parle trop (« pose des questions sur tout ») ;
- le radin ;
- celui « qui n’a pas d’émotions ».
« Aime-t-il passer du temps avec vous ? »
Le recrutement doit se faire tout en douceur.
« Faites attention de ne pas parler d’Al Qaeda, de djihadistes salafistes ou tout autre groupe djihadiste spécifique dans les premières étapes, [il faut] parler des moudjahids et des combattants résistants en général, parce que le candidat aime le moudjahid mais les médias ont abîmé leur image, particulièrement celle d’Al Qaeda. »
La première étape, qui peut durer aux alentours de trois semaines, consiste seulement à « guérir quelques aspects négatifs, amener le candidat à aimer le chemin de la soumission à Allah, s’assurer qu’il fait ses prières, rien de plus ».
De son côté, le recruteur doit connaître les centres d’intérêt du candidat, ses interrogations et savoir ce qu’il fait de ses journées, du matin au soir. Un dialogue ininterrompu doit s’installer, en même temps qu’une sorte d’amitié. « Est-ce que la candidat aime passer du temps avec vous ? » demande le manuel, à la fin du chapitre.
Dans le cas d’Alex, la dépendance affective à son enrôleur monte très vite en intensité. Ils passent des nuits entières à discuter.
Les livres « occupent » les gens seuls
Dans une partie intitulée « Audio-vidéo média », le manuel conseille à l’enrôleur d’envoyer des livres religieux et des prêches sur CD (la jeune Alex recevait régulièrement des colis par la poste).
Une liste de recommandations est proposée. Parmi les vidéos, le documentaire sur les opérations du 11 Septembre du journaliste d’Al Jazeera Yosri Fpuda par exemple.
L’ouvrage conseille de ne pas montrer de vidéos de djihad à ceux qui ne sont pas encore dans un « état de tranquillité ». Les livres sont particulièrement conseillés parce qu’ils « occupent » les gens seuls.
Du JT au djihad
Aux étapes suivantes, la discussion doit se porter, entre autres, sur l’accès au paradis. Le candidat, « qui a peur des punitions dans l’au-delà », devra se pencher sur les vertus du djihad et l’idée de mourir en martyr.
L’enrôleur devra également « utiliser l’actualité et tous ses exemples horribles » pour analyser et expliquer la situation des musulmans dans le monde. Le cas de la Palestine doit être particulièrement utilisé parce qu’il est le moins clivant, tandis que les autres combats ont été « dénaturés » par les médias.
Ce n’est qu’à la dernière étape, après des mois de travail, que le djihad deviendra l’objet premier de la discussion. Et il faudra préparer le voyage « ensemble ».
Au contact de son nouvel ami, Alex a passé toutes les étapes. Après des semaines de discussion avec Faisal, elle a envisagé de se marier avec un musulman « vieux et chauve » de l’Etat islamique. Et projeté un voyage en Australie pour rencontrer son nouveau mari. « Enfanter en terre d’islam » était devenu son projet de vie.
Source : http://rue89.nouvelobs.com/2015/07/06/recruter-letat-islamique-sinspire-t-manuel-dal-qaeda-260129