Landévennec. 36 heures au coeur de l'abbaye
Ce jeudi soir, à l'occasion de la messe de nuit de Noël, qui représente avec le pardon de saint Guénolé l'un des moments forts de leur vie monastique, les frères de l'abbaye de Landévennec (29) accueilleront de très nombreux fidèles. Très loin de leur quotidien. Plongée au coeur de ce monastère où une poignée d'hommes a fait le choix de vivre à l'écart du monde et de son rythme effréné pour se consacrer pleinement à Dieu. Dans le silence et la prière.
Mercredi 16 décembre, 7 h 40. Il fait nuit noire. Sur le parking de l'abbaye de Landévennec, il n'y a pas âme qui vive. Ni aucun réverbère. Pour trouver les moines qui habitent ce domaine d'une trentaine d'hectares depuis plus d'un demi-siècle, il faut emprunter l'allée à l'aveugle, au milieu des bois d'où surgissent quelques cris d'oiseaux. Pas très rassurant. Après plusieurs minutes à tourner en rond sous cette satanée bruine autour de l'accueil, une porte en bois massif grande ouverte laisse entrevoir un abri. Il s'agit de l'une des portes d'entrée de l'église Saint-Guénolé. Imposante. Magnifique.
17 moines de 34 à 89 ans
Diiing. Diiing. Les cloches sonnent. Il est 8 h. Laudes, le deuxième des six offices quotidiens, débute. Une demi-heure durant, les moines enchaînent lectures et chants, accompagnés par l'orgue. C'est juste. Beau. Vêtus de leur longue coule noire un brin intimidante, chaussures ou sandales aux pieds, ils sont bien là, face aux rares fidèles. Mais semblent paradoxalement ailleurs, comme réfugiés dans un dialogue intérieur, fermant les yeux pour mieux se plonger dans la prière.
« Notre vie est dictée par la Règle de saint Benoît, qui dit qu'à l'heure de l'office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce que l'on a dans les mains pour se hâter d'accourir à l'oratoire. Elle est donc rythmée quotidiennement par le son des cloches et la prière », explique le frère Jean-Michel, élu père abbé en 2007. Autrement dit, ici c'est tous les jours dimanche...
Il est 8 h 45 et l'ancien ingénieur, qui a retrouvé son kabig bleu nuit d'entre deux offices, se livre autour d'un café soluble, indiquant que l'abbaye abrite 17 moines de 34 à 89 ans et, pour un temps encore, un novice d'Haïti et un frère vietnamien étudiant, titulaire d'un master 2 en christologie. « Vivre ensemble nécessite des efforts. C'est le défi et la richesse de la vie communautaire. On ne s'est pas choisis. Chacun est arrivé avec son histoire personnelle et il importe de s'accepter et de se reconnaître frères avec nos différences de goûts, d'âges, de caractères, de sensibilités », confie le père abbé.
De fait, dans les rangs, on compte un centralien, un charpentier, un poète, des paysans... La plupart bretons. Mais dans le cloître, on peut aussi croiser un Rémois, un Ch'ti ou un Cambodgien. Cumulant des décennies de vie monastique, ils ont tous été appelés par Dieu, mais leur foi n'est pas définitivement acquise. Elle ne l'est jamais. « Car la foi n'est pas un savoir mais une relation d'amitié à entretenir avec Dieu au fil des jours », résume le frère Jean-Michel, qui réfute le terme d'exclusion. « Nous ne sommes pas hors du monde mais à l'écart, en un lieu qui favorise la dimension spirituelle de l'existence par son silence et sa beauté. Sinon notre vie n'a rien d'extraordinaire : nous nous informons, votons, payons des impôts... »
Le silence en règle d'or
Les minutes s'égrainent. Il est déjà 11 h 15, l'heure de l'eucharistie. Pour la messe, les moines troquent la coule contre une aube blanche. Une étole violette permet de distinguer les prêtres du reste de la communauté.
S'en suit le temps du repas pris en commun, préparé dans la cuisine de l'abbaye par une société extérieure mais servi par les moines eux-mêmes. Seuls les hommes sont autorisés à partager le pain et le vin au réfectoire (il y a aussi du cidre). Mais dans le silence absolu. « Écoute » est le premier mot de la Règle de saint Benoît. Afin de se décentrer par rapport à ses préoccupations personnelles et s'ouvrir à l'attention aux autres, il convient de se taire. Dans la pièce, seul le bruit des fourchettes se mêle à la voix du moine désigné pour la lecture du jour, destinée à « nourrir l'esprit ». Ce midi, c'est une biographie de Winston Churchill ! Étonnant. Ce soir, ce sera plus ardu pour qui ne connaît pas sur le bout des doigts les tenants et aboutissants du concile Vatican II...
Au monastère, tout semble réglé comme du papier à musique. Même si entre l'office de vigiles (5 h 20) et celui de complies (à 20 h 30), les moines vaquent à leurs occupations. Surtout l'après-midi. Service des repas, plonge, accueil des visiteurs, travail en librairie, hôtellerie, fabrication de pâte de fruits... Ils ont plusieurs casquettes.
Un choix parfaitement assumé
Les heures défilent à vitesse grand V. Agréables. Car autant lors des offices, ces hommes de Dieu paraissent très sérieux au fond du choeur de l'église, autant en tête en tête, ils se montrent ouverts, bavards. Parfois tendres. Et même drôles. Ils semblent heureux, tout simplement. Même s'ils ont peu de temps libre. Quelques sorties, quasiment pas de télé (il y en a une), un peu de web. Sauf entre 20 h et 8 h, période de « grand silence ». Un silence tantôt apaisant, tantôt étourdissant pour
l'impromptu visiteur d'un jour. « Notre vie est équilibrée, très humaine, rassure le doyen, frère Daniel, entré en monastère en 1945. Il faut en finir avec cette idée que le moine s'est fait moine pour éviter la vie, parce qu'il n'était pas capable. C'est un choix. » Parfaitement assumé qui plus est. Et dans la joie.
En complément
La pâte de fruits, principale activité économique du monastère
Pour faire vivre la communauté, les frères de Landévennec mettent en commun tous leurs revenus. Ces derniers sont issus des pensions de retraite des plus anciens, auxquelles s'ajoutent parfois quelques dons. Mais ce sont essentiellement les bénéfices tirés de l'activité de leur EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) qui constituent la principale ressource des moines. Et notamment la fabrication de pâte de fruits. L'abbaye de Landévennec en produit depuis 1966, à raison de 12 à 13 tonnes par an.
Distribuée dans le réseau monastique mais aussi dans certains hypers, elle est fabriquée grâce aux pommes récoltées dans les vergers du domaine, ensuite transformées en compote qui sert de base à la recette. Cette compote est cuite dans une grande marmite avec beaucoup de sucre en poudre et de glucose liquide, un extrait naturel de fruit, des épices ou une purée de fruits selon la gamme, ainsi que de l'acide tartrique pour la gélification.
Les frères procèdent à deux cuissons de trois arômes par semaine. Toujours l'après-midi, entre les offices de none et de vêpres. Le produit est ensuite découpé, séché, puis enrobé et mis en sachets avant d'être expédié par camions ou vendu directement dans le magasin situé à l'entrée de l'abbaye.
On y trouve aussi du caramel au beurre salé, des pommes et des kiwis maison. Ainsi que des livres, des souvenirs en tous genres et des articles religieux, bien entendu.
Une sacrée expérience
Landévennec, petit village de quelques centaines d'âmes situé en presqu'île de Crozon, est essentiellement connu pour les ruines de son abbaye du VIe siècle. Mais qui sait qu'un peu plus haut, sur le même domaine, dans des bâtiments construits dans les années 50, vit encore aujourd'hui une poignée de moines bénédictins ? De l'avis des principaux intéressés, ils ne sont pas légion. Partant de ce constat, nous avons souhaité aller à la rencontre de cette communauté. Notre seule ambition : essayer de comprendre, sans a priori, qui sont ces hommes ayant voué leur vie à Dieu. Pendant une trentaine d'heures, les yeux, les oreilles et le coeur grands ouverts, nous avons vécu leur quotidien, partagé les mêmes repas et assisté à tous leurs offices. Comme un fidèle lambda ayant décidé de profiter d'une retraite bienfaitrice à l'approche de Noël, l'appareil photo, le carnet de notes et le stylo en plus. Une sacrée expérience, croyez-nous ! Que l'on y croie ou pas...
Frère Florent, 34 ans, ancien pépiniériste
Quel a été votre parcours avant d'entrer au monastère ?
Je suis issu d'une famille où nous sommes six enfants. J'ai surtout vécu en région parisienne, même si nous avons des attaches en Limousin par mon père et en Bretagne par ma mère. Depuis tout petit, avec mon grand-père, je m'occupais des arbres. Naturellement, j'ai donc fait des études d'horticulture à l'école de Saint-Ilan, à Langueux (22). Avant d'entrer à Landévennec, il y a sept ans, j'étais pépiniériste. Puis il y a eu tout un cheminement avant ma profession solennelle le 4 octobre 2014.
Être moine à 34 ans, ce n'est pas courant. Qu'est-ce qui vous a conduit à faire ce choix ?
La rencontre avec la communauté Notre-Dame-des-Neiges, en Ardèche, lors d'un pèlerinage scout. J'y ai découvert la vie monastique et j'ai été saisi par la joie de ces hommes de prière. J'ai laissé passer du temps mais j'y suis finalement revenu car j'ai eu la sensation d'être appelé par Dieu. J'étais attiré par cette vie personnelle, faite de prières et de silence, doublée d'une vie communautaire fraternelle et multigénérationnelle. Les deux dimensions sont importantes. L'une ne va pas sans l'autre. Il faut réussir à trouver l'équilibre. Ce vivre ensemble soutient la foi et fait grandir l'espérance.
Comment ont réagi vos proches lorsqu'ils ont appris votre choix ?
Ça n'a pas été simple. Puis ils sont venus voir où je vivais. Ils ont constaté que j'étais heureux et que j'étais toujours avec eux, à ma manière. Dès lors, ils ont changé de point de vue. Quant à mes amis, je les vois encore quand ils passent à l'occasion. L'entrée au monastère ne rompt pas les liens avec les proches, ils sont vécus autrement. En tout choix, il y a une part de renoncement... La vie monastique fait que l'on quitte tout mais en restant soi-même. Par exemple, j'ai créé, cette année, un petit jardin de plantes aromatiques.
On parle de crise des vocations. Vous semblez être la preuve du contraire !
Je ne crois pas à une crise des vocations. À mon avis, il y a surtout une déchristianisation qui entraîne une baisse des vocations religieuses. Mais Dieu est là, et de sentir qu'il veut notre bonheur peut faire naître le désir de le suivre. Je pense que beaucoup de jeunes, très sollicités par le monde qui les entoure, passent outre ce qu'ils entendent intérieurement. Mais il faut du temps avant que ça émerge. Il faut aussi être accompagné pour pouvoir librement dire « Oui j'y vais ; oui je veux suivre JESUS ». Cela dit, j'ai croisé, dans d'autres monastères, des jeunes qui y sont restés, tout comme moi. Je ne suis pas le seul jeune moine.
Un peu d'histoire
Construite au VIe siècle sur un vallon de la rade de Brest, à l'embouchure de l'Aulne, l'abbaye de Landévennec a été fondée par saint Guénolé, dont elle porte le nom. Florissant à l'époque carolingienne, au cours de laquelle il devient bénédictin (818), le monastère est abandonné par les moines en 913 en raison des invasions normandes. Ils y reviennent vers 936 et la vie monastique y reprend son cours jusqu'à la Révolution. Du site originel, il ne reste aujourd'hui que des ruines (photo), accessibles depuis un musée créé en 1990. Ce n'est qu'à partir de 1950, lors du rachat de la propriété par la communauté bénédictine de Kerbénéat (Plounéventer), que le site retrouve peu à peu sa vocation monastique première, dans des bâtiments neufs construits au-dessus des vestiges. Contact musée : tél. 02.98.27.35.90.
Une bibliothèque bretonne de tout premier plan
« Le désir de Dieu » a souvent conduit les moines à « l'amour des Lettres », en premier lieu la Bible, les amenant à constituer de magnifiques bibliothèques. L'abbaye de Landévennec en est une parfaite illustration. Elle dispose, en effet, à côté d'une bibliothèque théologique, d'une bibliothèque bretonne de tout premier plan constituée grâce, notamment, à la générosité de son premier donateur, le Dr Louis Lebreton. Cette dernière rassemble quelque 28.000 ouvrages, 2.400 titres de périodiques, des archives anciennes et contemporaines, un ensemble de 30.000 cartes postales du début du XXe siècle, des cartes marines et terrestres historiques, des recueils de chansons et de cantiques bretons sur feuilles volantes. Ce fonds permet d'étudier tous les domaines liés à la Bretagne : la religion ou l'hagiographie, bien entendu, mais aussi l'histoire, la géographie, la littérature, les langues, la musique, l'agriculture, les sciences... Une salle de lecture permet d'accueillir régulièrement des chercheurs de tous horizons qui consultent sur place. La bibliothèque autorise aussi le prêt de pièces rares, telle que la reproduction chromolithographique du « Livre d'heures d'Anne de Bretagne », à divers musées. Contact : bibliotheque@abbaye-landevennec.fr tél. 02.98.27.37.55.
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