Les éleveurs témoignent leur désarroi et leur colère
Endettement, maigres revenus, désespérance et lassitude: les éleveurs témoignent de leur désarroi quand après une année de dur travail, le seul soulagement est d'avoir évité la faillite.
"Aujourd'hui je vends mon lait 270 euros/1.000 litres et mon coût de production est de 340. Ce n'est pas tenable... On met de plus en plus de temps à payer nos dettes de fournisseurs. La banque nous fait crédit. Mais le jour où elle dira stop, faudra-t-il qu'on vende une partie de nos terres ? Certains ont déjà mis leur maison en vente. On marche sur la tête", constate Ludovic Blain, producteur laitier à La Lande d'Airou (Manche).
Installé depuis 1999, il compte sur le salaire de son épouse qui travaille à l'extérieur. "Ca atténue un peu les choses mais pour les autres ça peut tourner au drame". Selon les Jeunes Agriculteurs, deux producteurs de lait se sont suicidés dernièrement dans le département.
A la diagonale de Ludovic, Vincent, éleveur de boeufs Charolais et de poulets de Bresse à Saint-Nizier-le-Bouchoux dans l'Ain, est installé depuis 2012 avec son père. "J'ai appris en août dernier que j'avais droit au RSA, 100 euros de complément, parce que je gagne moins de 500 par mois. J'étais gêné de demander", confie-t-il, le regard triste sous son béret.
"Je suis pas un assisté: avec ce que je produis je peux nourrir 80 foyers par an. En plus, je fais des produits de qualité. Alors c'est dur d'être ici, de voir mes copains qui font les 35 heures se plaindre.... moi c'est 70 heures par semaine". Des pouvoirs publics, il n'attend "rien", sinon une vraie politique encourageant la consommation de produits locaux "nés, élevés et abattus en France".
A 30 ans, Vincent n'a pas encore fondé de famille. Pourtant, pense-t-il, c'est sûrement "plus facile quand on est deux".
- "tout est pris sur les producteurs" -
Patrice Brachet, 57 ans, est en famille. Il s'est même installé en Gaec (groupement d'exploitation) avec femme et fils à Azerat, en Dordogne, pour produire 4.200 litres de lait/jour. "Depuis un mois on ne se paye plus, on vit sur nos économies": suite à la crise laitière de 2008-2009, il avait placé son exploitation en redressement judiciaire en 2013. "Nous avions souscrit un prêt de 500.000 euros pour que mon fils puisse s'installer. C'était la seule manière d'arrêter les huissiers qui nous harcelaient..." Reparti un temps sur des "prix corrects, on plonge à nouveau depuis 2015".
Il fait des économies sur tout, gratte sur la nourriture des vaches, les engrais... "Le problème, c'est le partage de la richesse. Les intermédiaires, la grande distribution qui gardent tout. Tout est pris sur les producteurs". Il note d'ailleurs "que le prix du lait n'a pas baissé dans les grandes surfaces".
"La grande distribution récupère toute la marge de notre activité", renchérit Valérie Imbert, éleveuse de bovins viande en Aveyron. "Toutes les productions sont touchées, la viande, le lait, les porcs... Nous sommes arrivés à un stade où, dans quelques mois, il n'y aura plus d'éleveurs en France", parie-t-elle, en rappelant "qu'un éleveur fait vivre sept personnes indirectement. Si cela se produit, on arrivera à un désert rural dans notre beau pays".
A 45 ans, Céline Ferlay s'est installée avec son époux en Gaec en 2007 dans la Drôme. Ils élèvent 50 vaches et 250 chèvres. "C'est catastrophique. On n'arrive pas à se projeter, c'est au jour le jour". Un de ses fils, 16 ans, veut reprendre l'exploitation et se forme déjà dans un centre d'apprentissage. Mais elle avoue douter de son avenir.
"D'habitude, on encourage ses enfants à reprendre son exploitation. Nous, on leur dit: +surtout pas! Faites autre chose+", tranche un éleveur de porcs de Pluzunet, au coeur du pays breton près de Lannion (Côtes d'Armor). Il n'a pas voulu donner son nom. Il se dit "endetté, comme les autres. Même les prêts à l'installation ne sont toujours pas remboursés vingt ans après. J'entends des mecs à 500 euros par mois pour 70 heures par semaine, d'autres qui ne peuvent même plus se payer du tout. C'est inadmissible. On n'est pas là pour dire à la fin de l'année: +j'ai pas fait faillite+" conclut-t-il.
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