Violences en marge du démantèlement partiel de la « jungle » de Calais
Le Monde.fr | 29.02.2016 à 12h45 • Mis à jour le 29.02.2016 à 21h14
L’Etat s’était engagé à une « évacuation progressive » de la zone sud du camp de Calais. Mais le premier jour des opérations de démantèlement, lundi 29 février, a été marqué par des heurts avec la police dans l’après-midi, sur fond de colère d’associations et de migrants. Selon La Voix du Nord, les opérations de démolition ont dû cesser aux alentours de 17 h.
Deux bulldozers et une vingtaine de personnes d’une entreprise privée mandatée par l’Etat sont arrivés à 8 h 30 pour démonter une vingtaine d’abris situés dans une zone de 100 mètres carrés. Une trentaine de fourgons des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et deux camions antiémeute étaient stationnés à l’entrée ouest, route de Gravelines, et les accès à la « jungle » étaient filtrés, rapportait Nord Eclair. Une centaine de policiers ont été mobilisés pour l’occasion, dont trois compagnies CRS et la brigade anticriminalité (BAC).
Heurts avec la police
Après une matinée plutôt calme, la situation s’est tendue en début d’après-midi. A la suite d’un départ de feu volontaire sur le site, des migrants ont visé les CRS avec des projectiles. Selon la préfecture, quelque 150 personnes – majoritairement des militants du réseau No Border, un mouvement altermondialiste qui lutte pour l’abolition des frontières – ont pris part aux affrontements. Une journaliste de BBC News a évoqué une « escalade rapide de la violence » et l’usage par la police de gaz lacrymogène et de canons à eau :
Une vingtaine de cabanes ont été incendiées par des migrants et des militants de No border, ce qui a nécessité l’intervention des pompiers, selon un photographe de l’Agence France-Presse (AFP). Trois personnes de No border et un migrant mineur ont été interpellés, et cinq CRS ont été légèrement blessés, selon la préfecture. En fin de journée, des heurts sporadiques opposaient encore migrants et CRS, qui ripostaient de nouveau par gaz lacrymogène aux projectiles.
Dans la soirée, quelque 150 migrants, certains armés d’une barre de fer, se sont introduits une heure sur la rocade portuaire jouxtant la « jungle », lançant des pierres ou tapant sur des véhicules en partance vers l’Angleterre. Les forces de l’ordre, d’abord présentes en nombre réduit, ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogène, avant d’évincer totalement les migrants de la route. A 19 h 45, elles avaient repris le contrôle de la rocade, jonchée de débris, et l’accès au port depuis l’A16 a été fermé.
Colère des associations
Des associations historiques, comme L’Auberge des migrants, ont vivement critiqué l’attitude des forces de l’ordre dans la journée : « Les policiers sont arrivés le matin et ont demandé aux migrants encore présents de partir et, dans la foulée, ils ont tout démoli. La façon dont c’est fait est violente, dégradante et contraire aux engagements de l’Etat », a déclaré François Guennoc, l’un de ses représentants.
« Le démantèlement avait été annoncé comme pacifié, ciblant les tentes vides et les abris inoccupés », a commenté Olivier Marteau, responsable du projet Calais pour Médecins sans frontières.
« Il a en réalité ciblé tous les logements de la zone 9, densément occupée et habitée, et inévitablement dégénéré en violences, dans un camp où vivent des familles et des enfants. »
Si la préfecture reconnaît qu’une « vingtaine de migrants étaient encore présents dans la cinquantaine d’abris traités », seules « quatre ou cinq personnes ne voulaient » pas partir selon elle, et il a « fallu faire beaucoup de persuasion par les maraudes » avant que les abris ne soient démantelés.
« Comportements inacceptables »
Ce déploiement dissuasif des forces de l’ordre visait « à sécuriser le travail de l’entreprise » chargée du déblaiement, mais aussi à « permettre aux maraudeurs de travailler sereinement », pour « que les migrants ne soient pas sous le joug des activités de No border », a expliqué à l’AFP Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, présente sur les lieux.
Les maraudes sociales de la préfecture, qui tentent de convaincre les migrants de rallier l’un des 102 centres d’accueil et d’orientation disséminés en France ou rejoindre le centre d’accueil provisoire composé de conteneurs chauffés, ont en effet été sérieusement perturbées vendredi par les militants de No Border.
Ils avaient notamment tenté d’empêcher certains migrants de prendre place dans les bus requis pour leur acheminement en centre d’accueil et d’orientation. Une militante britannique de No Border a été interpellée lors de cette opération, ont fait savoir deux sources policières. Dans un communiqué lundi, la préfecture a de nouveau fustigé des « comportements » et une « pression » sur les migrants « inacceptables ».
Le tribunal administratif de Lille a rejeté, le 25 février, le recours des associations qui s’opposaient à l’évacuation de la partie sud de la « jungle », à l’exception des « lieux de vie » (école, théâtre, centre juridique…) qui devraient rester en place. Près de 1 000 migrants se trouveraient encore dans la moitié sud du camp selon l’Etat, un chiffre contesté par les associations, qui ont procédé au comptage de quelque 3 500 migrants encore sur place, dont 350 mineurs isolés.
Par ailleurs, la zone nord, qui abrite dans des tentes et cabanes entre 1 100 et 3 500 personnes selon les sources, n’est pas concernée par cet ordre de démantèlement.
Manuel Valls, le premier ministre avait assuré le 23 février que l’évacuation prendrait « le temps nécessaire » pour apporter une « réponse humanitaire » aux migrants en quête d’un passage vers la Grande-Bretagne. La préfecture avait confirmé qu’il n’y aurait pas d’expulsion par la force.
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