Le Maroc révise l’enseignement islamiqueLe royaume marocain a totalement revu cette année ses programmes d’éducation islamique.
La réforme vise à mettre en pratique « l’islam du juste milieu » prôné par Mohammed VI.
Alors que les djihadistes français de Daech ont annoncé qu’ils allaient diffuser des cours de religion deux fois par semaine sur leur radio, la lutte contre l’extrémisme passe plus que jamais par l’éducation.
Le cours de pratique religieuse au collège puise ses exemples dans différents aspects de la vie quotidienne.
« La leçon d’aujourd’hui porte sur “
la pratique religieuse” », annonce le professeur Abdeslam Jilary. Les élèves de deuxième année du collège public Mansour Eddahbi de Casablanca ouvrent leurs manuels flambant neuf d’éducation islamique, une matière obligatoire pour tous les élèves marocains.
« Nous allons voir aujourd’hui comment cette pratique doit s’appliquer concrètement, poursuit l’enseignant.
Mais d’abord, qui veut lire le verset 104 de la sourate Al Kahf (La caverne)
? » Les doigts se lèvent, puis un élève commence la psalmodie du Coran.
Abdeslam Jilaty en interprète ensuite le texte :
« Être un bon croyant ne consiste pas seulement en la pratique de la prière et du jeûne. Le musulman doit par exemple s’occuper des animaux, protéger l’environnement, rechercher la justice sociale, assurer la sécurité… Et, par son comportement, il doit s’attirer la sympathie des autres hommes. Alors il sera plus près de notre Dieu. »> A lire : « La recherche sur les textes de l’islam est indispensable pour contrer l’extrémisme »
Différencier la vérité des rumeurs
Le cours de deux heures, qui s’appuie sur le Coran et les hadiths (actes et paroles du prophète Mohammed), passe alors aux exemples pratiques. Ceux-ci sont puisés dans plusieurs aspects de la vie, y compris les plus modernes. Une leçon ultérieure apprend par exemple à différencier la vérité des rumeurs,
« comme le recommande le prophète ». Le manuel conseille alors de ne pas partager n’importe quoi sur Facebook et autres réseaux sociaux.
Pour les élèves, qui ont ici 13 ou 14 ans, le cours n’a plus rien à voir avec ceux de l’an dernier. Ils suivent un nouveau programme d’éducation islamique, réalisé en quelques mois seulement sur instruction du roi Mohammed VI. Le souverain met ainsi en application les recommandations de la Déclaration de Marrakech sur les droits des « minorités » religieuses dans le monde islamique, publiée en janvier dernier. Des dizaines de responsables musulmans du monde entier demandaient en effet de revoir les programmes d’éducation religieuse pour combattre l’extrémisme.
« Il faut développer l’esprit critique »
« Le nouveau programme reflète l’islam tolérant, qui est celui de l’État marocain », indique Fouad Chafiqi, directeur des programmes au ministère de l’éducation nationale marocain. Auparavant, les sourates étaient apprises par cœur, de manière linéaire. Chaque cours est désormais consacré à une thématique.
« Les versets coraniques sont choisis selon leur pertinence et selon l’âge de l’enfant », poursuit le fonctionnaire. Le nouveau programme est censé aussi n’utiliser que les hadiths les plus « forts », c’est-à-dire considérés comme étant
« très certainement authentiques ».
Pendant des années, l’islam rigoriste venu de la péninsule arabique a pris ses marques au Maroc, mais le roi Mohammed VI veut faire du Maroc un modèle d’« islam du juste milieu ». Si le pays fait figure d’îlot de stabilité dans une région en proie au djihadisme, il fournit aussi l’un des plus gros contingents de djihadistes : plus de 1 500 Marocains combattraient en Syrie et en Irak. Les autorités affichent donc leur volonté de s’attaquer aux racines du problème.
« L’enseignement islamique n’est pas contextualisé. C’est de l’endoctrinement », s’inquiète Mohamed Sghir-Janjar, président de la fondation Abdul Aziz à Casablanca, qui organisait les 23 et 24 septembre un colloque international sur l’éducation religieuse.
« La réforme semble en revanche s’orienter vers plus de cohérence avec l’âge de l’enfant et son contexte social, poursuit-il.
Mais il faudra s’assurer que les professeurs l’acceptent. Beaucoup sont nourris de télévision moyen-orientale, qui offre les discours sur l’islam les plus agressifs. Comment s’assurer qu’ils ne les ressortiront pas en classe ? »Abderrazzak Drissi, secrétaire général de la fédération nationale de l’enseignement, regrette de n’avoir été ni informé, ni consulté sur cette réforme.
« Mais nous sommes d’accord sur le principe », précise-t-il. Ce syndicaliste prône même la transformation de l’éducation islamique en éducation religieuse pour l’ouvrir à d’autres religions. Le ministre de l’éducation nationale avait semblé soutenir cette évolution mais a fait machine arrière, cet été, devant les protestations de l’association des professeurs d’éducation islamique. Mohammed Sghir-Janjar espère de son côté que les réformes se poursuivront :
« La religion est partout dans la société, il est difficile de l’extraire, de l’isoler. Il faut une réforme en profondeur du système éducatif, de la recherche scientifique. Une théologie nouvelle. En somme, il faut développer l’esprit critique, l’autonomie, le comparatisme. »–––––––––––––________________________Les manuels scolaires expurgés des mentions « discriminatoires »
L’opération n’a pas la même portée que la réforme de l’éducation islamique mais elle a concerné cette fois les manuels de toutes les matières. Avant la rentrée, le ministère de l’éducation nationale a fait la chasse aux discriminations présentes dans 364 manuels homologués, 147 d’entre eux étant épinglés. Discriminations de genre, de handicap, de géographie… ont été supprimés. Les manuels de maths représentaient, par exemple, presque uniquement des garçons. Un manuel d’arabe dépeignait, lui, un aveugle en mendiant. « C’est la moindre des choses, commente le président de l’ONG de défense des droits de l’homme, Fettah Bennani. Il faut aussi surveiller les questions du bac, qui posent parfois problème. »
Rémy Pigaglio, à Casablanca (Maroc)