«Ici on ne peut pas entrer»
Les mystères de La Villedieu
Ils vivent reclus dans une ferme de Charente-Maritime en attendant l'Apocalypse. Le Grand Logis de Dieu est une des sectesles plus dangereuses de France
Lorsque Bernard Briaud s'installe, en 1982,avec son épouse et ses quatre enfants, dans une vieille maison de La Villedieu, en Charente-Maritime, il n'est encore qu'ingénieur agronome. Il travaille non loin de là, pour le CNRS, dans la forêt de Chizé. C'est un nouvel administré modèle pour le maire de cette minuscule commune promise au dépeuplement. Aujourd'hui, Bernard se prénomme Bernhardt. Il a créé sa propre religion. Il est devenu gourou. Rebaptisée le Grand Logis de Dieu, la grande ferme saintongeaise a désormais fière allure. Elle a été entièrement restaurée par les 75 fidèles qui s'y sont réfugiésdepuis l'été de 1989. Epoque où «le Voyant»(incarné par la belle-sur du gourou) avaitprédit l'avènement de la «grande tourmente».Ce devait être l'Apocalypse. La fin du monde dont seuls les habitants du Grand Logis de Dieu, les élus de la Lumière, sortiraient vivants. «Ils avaient hissé un drapeau sur le toit et barricadé toutes les ouvertures avec des planches de bois, raconte le père d'une adepte. A l'intérieur, ils stockaient plusieurs tonnes de nourriture et des centaines de paires de chaussures destinées à la longue marche qui les conduirait, une fois l'humanité anéantie, vers le Manoir du Graal situé au sommet de l'"Ile bleue", hors des cataclysmes de l'Univers. Ce cinéma a duré deux semaines. Et puis tout est redevenu normal.»
Un repaire de farfelus, le Grand Logis de Dieu? Non! Selon la direction centrale des Renseignements généraux, c'est une vraie secte. Qui plus est, considérée comme l'une des plus dangereuses pour la sécurité de ses adeptes, qui, se croyant persécutés, pourraient bien un jour où l'autre devenir de véritables martyrs.
C'est en 1990 que le Grand Logis de Dieu a fait pour la première fois parler de lui. Après avoir passé quelques mois à La Villedieu avec son épouse et leur fille alors âgée de 11ans, Claude S., commerçant fortuné, décide de revenir à la vie civile et de récupérer la petite Gaëlle, qu'il considère prisonnière de sa mère au Grand Logis de Dieu. L'affaire fait grand bruit et occupe l'écran d'un «Ciel mon mardi» une soirée durant. Les gendarmes et la justice commencent à s'intéresser aux activités du devin Bernhardt. Une psychologue est déléguée par les tribunaux pour examiner l'état psychique de Gaëlle, qui, comme la vingtaine d'enfants de la secte, suit une scolarité dispensée sur place.
Son rapport est accablant. Apparemment, la petite fille semble heureuse et équilibrée. Son niveau scolaire est plus que satisfaisant. Mais cet équilibre est bien précaire. La diabolisation du monde extérieur et l'injonction à une obéissance aveugle que délivrent les messages réglementant la vie de la communauté, ainsi que l'enfermement et la désocialisation conduisent ses membres vers la paranoïa et le délire de persécution. La ferme modèle au grand jardin fleuri cache en réalité un volcan sous pression.
Après un long conflit juridique et médiatique, Gaëlle est placée chez son père, qui, pour finir... la rend à la secte et à sa mère. La grille d'entrée du domaine du Grand Logis de Dieu s'est depuis refermée sur son mystère. Gaëlle a aujourd'hui 16 ans, et plus personne ne se préoccupe de son sort. «Que voulez-vous, dit René Villeneuve, le maire de La Villedieu, personne ne peut entrer. On ne peut voir ce qui se passe que de l'extérieur. Et comme de là on ne voit rien, on fait comme sil ne se passait rien!»
Sylvie Véran
Sylvie Véran
Le Nouvel Observateur