Débat présidentiel : ce qu’il faut retenir de la première confrontation de la campagne
Fillon, Hamon, Le Pen, Macron, Mélenchon ont débattu, lundi, pendant plus de trois heures… mais ils sont restés discrets sur les « affaires ».
LE MONDE | 21.03.2017 à 01h20 • Mis à jour le 21.03.2017 à 04h11 |
Par Service politique, Service société, service international et Le Monde.fr
C’était leur première occasion de débattre ensemble, mais pas tous ensemble : lundi 20 mars, les cinq candidats à la présidentielle les mieux placés dans les sondages, François Fillon, Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, ont débattu durant trois heures sur TF1.
Les présentateurs Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray étaient chargés de l’animation des échanges.
Les six autres candidats – Nicolas Dupont-Aignan, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jacques Cheminade, Jean Lassalle, François Asselineau – en avaient donc été exclus.
Les présents, qui avaient pourtant accepté les règles du jeu, n’ont pas manqué de critiquer cette décision, dans leurs propos liminaires. A commencer par François Fillon : « Je voudrais dire un mot sur l’organisation du débat, on est onze candidats, il y en a cinq ici, ça pose une question démocratique, je sais que les sondages ont une grande vertu mais avec cette règle je n’aurais pas pu participer à la primaire. »
Les candidats ont ensuite abordé les grandes thématiques prévues : d’abord les sujets de société (éducation, sécurité, laïcité, mais aussi institutions et environnement), puis l’économie (protection sociale, rôle de l’Etat, libre-échange), et enfin l’international (Europe et place de la France dans le monde).
Un premier accrochage Hamon-Le Pen sur la sécurité
Le débat a démarré par les questions d’éducation, les candidats déroulant leurs propositions, sans grand débat, dans les cinq minutes d’émission consacrées à cette thématique. Tout juste ont-ils eu le temps d’agiter leurs slogans favoris, sur une ligne attendue, bien ancrée dans leur camp respectif. Mais sans guère de propositions concrètes.
Retour aux « fondamentaux », uniforme et développement de l’apprentissage pour François Fillon, recrutement d’enseignants pour Jean-Luc Mélenchon. La proposition de Marine Le Pen de supprimer l’enseignement des langues d’origine et de consacrer « 100 % » du temps aux « apprentissages fondamentaux » a provoqué une vive réaction du côté des deux candidats de gauche, notamment Benoît Hamon : « Pour qu’il y ait la paix à l’école, encore ne faut-il pas la prendre en otage d’un débat assez nauséabond comme Marine Le Pen vient de l’illustrer sur les langues d’origine. » Ce dernier veut concentrer les moyens nouveaux sur les classes de CP, CE1 et CE2 (notamment en zones prioritaires), car « c’est là où se joue l’apprentissage des fondamentaux ».
Les candidats ont ensuite été invités à réagir à la proposition de François Fillon d’abaisser la majorité pénale à 16 ans, une mesure dénoncée par MM. Hamon, Macron et Mélenchon. Mme Le Pen a dit se souvenir que M. Fillon « avait déjà proposé cela en 2006 », se demandant pourquoi il ne l’avait pas mise en œuvre lorsqu’il était premier ministre.
A la présidente du Front national (FN) qui venait d’évoquer une « explosion de l’insécurité, de la violence, des cambriolages », conséquence, selon elle, d’années de « laxisme », et qui s’était dite favorable à « la suppression des aides sociales aux parents de mineurs récidivistes quand les parents ont fait preuve de carence éducative », M. Hamon a vertement répliqué :
« Je me disais : que vous soyez une droguée aux pages faits divers c’est une chose, mais vous êtes candidate à la présidence de la République. Et je trouve que ce n’est pas très sérieux.
– Ça vous oblige à ouvrir les yeux M. Hamon », a-t-elle répliqué.
Sur l’immigration, pas de grande surprise. Chacun des candidats a présenté « la » ou « les » propositions principales de son programme. Marine Le Pen, brossant un pays croulant sous des flux continus de migrants, a rappelé sa limitation à 10 000 premiers titres de séjour annuels, sans expliquer comment elle pouvait arriver à ce chiffre, alors qu’aujourd’hui la France délivre plus de 220 000 premiers titres de séjour. François Fillon, lui, a défendu ses « quotas votés chaque année au Parlement », quand Jean-Luc Mélenchon a rappelé qu’il fallait « en finir avec les guerres » et « aider au développement ».
Moins à l’aise, Benoît Hamon et Emmanuel Macron. Le premier n’a évoqué que sa proposition pour développer l’asile, une approche aussi mise en avant M. Macron. Essayant de jouer à la fois l’« humanité et la fermeté », le diptyque manié par l’actuel premier ministre Bernard Cazeneuve, le fondateur du mouvement En marche ! prône l’accueil des demandeurs d’asile et le renvoi des déboutés. Mais sans expliquer comment il s’y prendra.
Tensions sur la laïcité
Interrogés sur la laïcité, MM. Macron, Mélenchon et Hamon ont appelé à s’en tenir à la loi de 1905. Mais Marine Le Pen a mis le feu au poudre, en assurant que « la laïcité n’a été contestée par personne pendant un siècle ». Interpellée par M. Mélenchon sur cette erreur historique, elle a insisté sur la « montée du fondamentalisme islamique » et « la pression de ces revendications incessantes qui sont des revendications vestimentaires, alimentaires ».
Sur ce thème de prédilection du FN, la présidente du parti frontiste a ensuite accroché Emmanuel Macron, avec pour conséquence de lui céder la parole !
« Vous ne voulez pas voir la réalité de la gravité de ce qui se passe dans notre pays, mais il n’en demeure pas moins qu’il y a quelques années, il n’y avait pas de burkini sur les plages, je sais que vous êtes pour M. Macron, mais il n’y en avait pas.
– Non, s’il vous plaît, Mme Le Pen, je ne vous fais pas parler, je n’ai pas besoin d’un ventriloque. Si j’ai besoin de dire quelque chose je le dis, c’est mon habitude, a lancé l’ancien ministre, agacé.
– Alors que pensez-vous du burkini ?, l’a relancé Mme Le Pen.
– Je l’ai dit très clairement (…) ça n’a rien à voir avec la laïcité, ce n’est pas cultuel, c’est un sujet d’ordre public », a rétorqué M. Macron.
M. Mélenchon a ensuite lancé à Mme Le Pen : « Vous ne pouvez pas aller jusqu’à établir une police de vêtement dans la rue » et « empêcher les gens qui portent des cheveux verts » ou « ont des jupes courtes ou trop longues ».
Institutions et affaires : Fillon s’en tire bien, Macron attaqué
Alors que la campagne présidentielle est marquée par les affaires touchant François Fillon et Marine Le Pen, M. Bouleau a timidement lancé le débat sur la question en évoquant des dossiers judiciaires touchant « certains » candidats, sans les nommer.
Il a été rappelé à l’ordre par Jean-Luc Mélenchon : « Quand vous dites que le débat a été pollué par les affaires de certains – pardon, pas moi ! Ici, il n’y a que deux personnes qui sont concernées : M. Fillon et Mme Le Pen. Nous n’avons rien à voir avec tout ça, alors ne nous mettez pas dans le même sac. »
Le candidat de La France insoumise a répété ses propositions sur la transparence : « Quiconque est condamné une seule fois est inéligible à vie », interdiction d’exercer un « métier de conseil et de recevoir de l’argent quand on est parlementaire d’une quelconque industrie quelle qu’en soit la forme » ou encore « d’embaucher les membres de sa famille ».
M. Fillon a été épargné par ses rivaux sur la question de sa mise en examen – le mot n’a pas été prononcé. Ce n’est que plus tard, lors de la discussion sur les finances publiques, que Benoît Hamon a évoqué le sujet : « Vous, c’est 500 000 fonctionnaires en moins. Vous êtes fort en soustraction, un peu moins en addition quand il s’agit de votre propre argent ! »
Le candidat Les Républicains a proposé de mettre sur pied une commission chargée de faire des propositions en matière de transparence de la vie publique, confiée « au vice-président du Conseil d’Etat, au premier président de la Cour des comptes et au procureur près la Cour de cassation ».
Au final, c’est donc Emmanuel Macron qui a davantage été la cible des autres candidats sur les questions de moralisation de la vie publique. M. Hamon a évoqué « ces lobbies industriels [qui] pèsent sur la décision publique, la clarté avec laquelle nous faisons campagne, la clarté avec laquelle nous montrerons que nous n’avons pas de dons provenant de grands groupes. » Une allusion voilée à la polémique sur l’identité des donateurs du mouvement En marche !
« J’ai lancé un mouvement politique qui renouvelle la vie politique » et qui est davantage dépendant des dons faute de subventions, a fait valoir M. Macron. Des dons allant de « 1 000 à 7 500 euros », comme le « prévoit la loi », avec « 32 000 personnes qui ont donné » et un « don moyen » de « 50 euros », a-t-il précisé.
« Je vous fais confiance », a répondu M. Hamon, qui a toutefois demandé à son rival de prendre « l’engagement » qu’il n’y avait pas, parmi ses donateurs, des cadres « d’entreprises pharmaceutiques » ou « pétrolières ».
Mme Le Pen a repris le flambeau : « Cette campagne a un avantage : elle fait découvrir qu’il y a des candidats qui défendent des intérêts privés, de grands groupes et non pas les intérêts des Français. (…) Quelque chose me choque : le pantouflage, on est formés dans les grandes écoles de la République pour devenir fonctionnaire, on devient banquier puis on redevient politique. »
« Je ne vais pas me fatiguer à répondre à ces actes ad hominem, a répliqué M. Macron, énarque et ancien banquier. Il y a une justice dans notre pays. Dieu merci, elle est indépendante et elle le montre. J’y tiens beaucoup et j’en renforcerai l’indépendance. Ce que vous avez décrit, ce sont des conflits d’intérêts et ça se caractérise pénalement. Donc, soit ce que vous venez de faire Mme Le Pen, c’est de la diffamation, soit soyez plus précise et allez devant la justice. [Elle] fera son office, comme elle est en train de le faire avec plusieurs candidats. »
François Fillon a lancé le volet économique et social en dénonçant « une situation en matière de chômage inacceptable qui dure depuis 25 ans ». Il a défendu la « liberté dans les entreprises » en ce qui concerne le temps de travail ; des propositions proches de celles de Emmanuel Macron, qui propose de renvoyer la question aux accords de branche ou d’entreprise.
Benoît Hamon a assuré être « le candidat du travail, de la feuille de paie et d’une rémunération décente » grâce à son revenu universel qui « permettra d’augmenter de 200 euros le smic net sans toucher au smic brut ». Jean-Luc Mélenchon a défendu son droit opposable à l’emploi et une « politique de la demande », avec 100 milliards d’euros d’investissements. Les deux tendances, MM. Fillon et Macron d’un côté, et MM. Hamon et Mélenchon de l’autre, se sont aussi affrontées sur la légitimité du modèle allemand et la référence légale du temps de travail, Marine Le Pen dénonçant « un débat d’ultralibéraux pour savoir qui aura la solution la plus violente » et défendant son « patriotisme économique
Le clivage a réapparu autour de la proposition de revenu universel de M. Hamon, « seule idée innovante de la campagne » selon lui. « Avec M. Hamon, c’est 32 heures, le revenu universel dans un pays qui a 2 000 milliards [d’euros] de dettes, chacun sait que ces promesses-là ne peuvent pas être tenues », a répliqué M. Fillon, qui propose de relancer l’investissement et de baisser les charges sur les bas salaires pour augmenter le pouvoir d’achat des Français.
Le candidat LR s’en est pris à sa rivale du FN : « Le vrai “serial killer” du pouvoir d’achat, c’est Marine Le Pen avec la sortie de l’euro, une inflation galopante. » « Ça s’appelle le projet peur. Cela a été utilisé avant le Brexit et l’élection de Donald Trump », a répliqué Mme Le Pen. Plus tard, M. Fillon a derechef attaqué cette dernière sur la question des retraites : « Le programme de Le Pen c’est le programme de la gauche en 1981. »
Le débat ayant pris du retard, les candidats ont survolé les questions de Sécurité sociale et de santé. M. Hamon a défendu une politique de réduction des risques ; M. Mélenchon une Sécu « intégrale qui rembourse 100 % de toutes les dépenses de santé » ; M. Fillon veut « remettre les médecins généralistes au cœur du dispositif ».
Les questions internationales et du terrorisme ont été évacuées en vingt minutes. Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron de « vide absolu, sidéral » : « Vous avez un talent fou, vous arrivez à parler sept minutes, je suis incapable de résumer votre pensée, vous n’avez rien dit. Je voudrais que les Français s’attachent à vérifier qu’à chaque fois que vous prenez la parole, vous dites un petit peu de ceci un petit peu de cela, et jamais vous ne tranchez, on ne sait pas ce que vous voulez et c’est inquiétant.
– Si vous n’avez pas compris que contrairement à vous je ne veux pas pactiser avec M. Poutine... que, contrairement à vous, je veux une politique française forte mais responsable, pas la ruine, pas les dépenses qu’on ne sait pas financer… que contrairement à vous, je veux une France forte dans l’Europe, que j’assume pleinement, c’est notre grand désaccord, a répondu M. Macron.
– C’est de pire en pire », a répliqué Mme Le Pen.
A gauche, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ont affiché leurs divergences. Pour le premier, « l’Europe de la défense, c’est l’Europe de la guerre » alors que le second s’inscrit dans la continuité de la ligne diplomatique de François Hollande : dans le domaine de la défense « moins d’Amérique cela doit signifier plus d’Europe ». Et le candidat de la France insoumise de proposer une grande conférence de l’Atlantique à l’Oural pour rediscuter de toutes les frontières en Europe. Appuyé, en quelque sorte, par François Fillon, qui a rappelé que des frontières ont déjà bougé en Europe, par exemple au Kosovo.
La relation avec la Rusie divise aussi MM. Hamon et Mélenchon. « Il ne sert à rien de se montrer armés jusqu’aux dents en face des Russes, mieux vaut discuter, a assuré le second.
– Jean-Luc Mélenchon, vous serez d’accord avec moi que quand on discute avec M. Poutine, il vaut mieux arriver avec quelques arguments », a répliqué le candidat du PS.
Tous les candidats, à l’exception de M. Mélenchon, ont insisté sur leur volonté d’augmenter le budget de la défense pour arriver jusqu’à 2 % du PIB en 2025, Mme Le Pen clamant même vouloir arriver à 3 %.
Contre le terrorisme, cette dernière a prôné la maîtrise des frontières, M. Fillon l’utilisation de la loi sur « l’intelligence avec l’ennemi » pour les djihadistes. M. Hamon a défendu un recentrage de la politique arabe de la France et une mutualisation des services de renseignement. Quant à M. Macron, il a rappelé que « personne ne peut dire qu’il n’y aura pas de nouveaux attentats ».
Pour conclure, chaque candidat a martelé son credo : « alternance » pour M. Fillon, « vote utile » pour M. Hamon, « indépendance » pour Mme Le Pen, « force du peuple » pour M. Mélenchon et « renouvellement » pour M. Macron.
Puis Gilles Bouleau a clos le débat en détaillant les épisodes de New York, unité spéciale qui allaient suivre, dans l’une de ses interventions les plus longues de l’émission.
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