Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7539 Pays : France R E L I G I O N : catholique
| Sujet: Le prince héritier d’Arabie saoudite veut « retourner à un islam modéré » Mer 25 Oct 2017, 5:17 am | |
| Le prince héritier d’Arabie saoudite veut « retourner à un islam modéré »Anne-Bénédicte Hoffner , le 25/10/2017 à 17h06 Devant des investisseurs et journalistes étrangers, le jeune prince héritier saoudien a affirmé vouloir « détruire l’extrémisme ». Une manière d’asseoir son pouvoir, encore fragile, en interne et surtout vis-à-vis de l’étranger. ZOOM Le Prince Mohammed bin Salman au Sommet du G20 le 4 septembre 2016, à Hangzhou, en Chine / Etienne Oliveau/AP Décidément, l’Arabie saoudite ne cesse de faire la « une » des journaux. Après l’autorisation de conduire donnée aux femmes – en réalité sous strictes conditions –, cette fois c’est le jeune et bouillonnant prince héritier Mohammed ben Salmane qui a tenu des propos peu habituels dans un pays considéré comme le bastion de l’islam rigoriste.
« Nous voulons vivre une vie normale. Une vie où notre religion signifie tolérance et bonté », a-t-il répondu à une journaliste devant un parterre d’investisseurs et de journalistes étrangers réunis mardi 24 octobre à Ryad pour une conférence économique internationale. « 70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous n’allons pas passer 30 ans de plus à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant et tout de suite ».
Se démarquer du terrorisme islamiste « Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions », a-t-il encore assuré. Une formule intéressante à plusieurs titres : d’abord parce qu’elle reprend cette antienne de l’islam « modéré » – ou du « juste milieu » – dont se revendiquent aujourd’hui à peu près tous les courants musulmans – y compris les plus littéralistes – pour se démarquer du terrorisme islamiste. Ensuite, parce qu’elle constitue une sorte de « réécriture de l’histoire du wahhabisme », estime l’historien et politologue Nabil Mouline, chargé de recherches au CNRS (1).
Dans sa réponse, le prince héritier date en effet de 1979 – année de la révolution iranienne – l’essor de l’extrémisme mais en utilisant le mot arabe sahwa (réveil), sorte de synthèse entre le wahhabisme et le courant des Frères musulmans dont relevaient la plupart des opposants récemment emprisonnés (lire ci-dessous). Une façon d’inviter les pays occidentaux à tourner leurs regards plutôt vers les Frères musulmans et leur défenseur… le Qatar.
Quête de légitimité Pour les rares bons connaisseurs du dossier, ces déclarations tonitruantes sont à replacer dans leur contexte : celui de la quête éperdue de légitimation de Mohammed Ben Salmane – « MBS » – depuis sa récente désignation comme prince héritier, à tout juste 32 ans, par son père. « Il est arrivé au pouvoir après une incroyable succession de révolutions de palais – le royaume a changé cinq fois de prince héritier depuis 2012. Pour le moment, il bénéficie de l’appui de son père. Mais la situation risque de se compliquer lorsque le roi Salmane (NDLR : âgé de 81 ans) décédera », analyse Nabil Mouline.
Cette quête de légitimité s’observe sur tous les plans. Diplomatique, avec la guerre contre le Yémen, la lutte d’influence en Syrie ou en Irak, ou encore ce que le chercheur qualifie de « lutte puérile contre le Qatar ». Économique et social, avec ce fameux « plan 2030 » censé pallier la baisse des revenus du pétrole. Et également religieux.
Sur le site Orient XXI, le chercheur Stéphane Lacroix a bien décrit ce changement en cours et comment le système saoudien – jusque-là « tout entier bâti sur l’idée d’une certaine horizontalité » – est aujourd’hui « mis à bas avec la montée en puissance d’un unique homme fort », Mohammed Ben Salman, réformateur mais « par le haut ».
Le risque de mécontenter les milieux religieux conservateurs Ses déclarations s’adressent donc principalement aux pays étrangers, dont le prince héritier souhaite faire des alliés. Mais dans un pays confronté à de profonds bouleversements sociétaux – explosion démographique, démocratisation de l’accès à l’information, etc. –, il veut aussi s’attirer les faveurs de la jeune génération.
Poussé par ses conseillers, il a visiblement pris le risque de mécontenter les milieux religieux conservateurs – dont les membres de la famille du fondateur du wahhabisme, Mohammed ben Abdelwahhab –, qui lui préféraient de toute façon son prédécesseur, son cousin Mohammed Ben Nayef, écarté en juin.
Là encore, l’évolution est toute relative. La semaine dernière, le roi Salmane lui-même a décrété la création à Médine d’un institut portant son nom, tout entier dédié aux « hadith du prophète », autrement dit à ces milliers de paroles ou de gestes prêtés à Mohammed, à l’historicité souvent douteuse mais auxquels l’ensemble de la sphère salafiste (et donc les wahhabites) prête une valeur parfois supérieure au Coran. « Une réalisation historique dans la promotion de la sunna (NDLR : la tradition prophétique) », a salué Saudigazette, en précisant que l’institution promet déjà « la distribution gratuite » de recueils de hadith « dans le monde entier ».
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« Le wahhabisme n’a pas attendu la sahwa pour être conservateur » Stéphane Lacroix, politologue, professeur associé à Sciences-Po
« Pour désigner cet extrémisme qu’il veut détruire, le prince héritier a utilisé le terme sahwa, ce mouvement de politisation de l’islam saoudien à partir de 1979, sous l’influence des Frères musulmans venus d’Irak ou de Syrie et accueillis par le royaume. Il est en tout cas difficile de résumer à ce mouvement “composite” les causes de l’extrémisme saoudien. D’une part, parce que les conceptions religieuses du clergé saoudien ne sont pas plus modérées. Et d’autre part, parce que cela équivaut à en reporter la responsabilité sur des idées étrangères. »
Anne-Bénédicte Hoffner
(1) Le califat : histoire politique de l’islam (Flammarion) et Les clercs de l’Islam ; autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie saoudite (PUF).
https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Le-prince-heritier-dArabie-saoudite-veut-retourner-islam-modere-2017-10-25-1200887088 |
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