Une bombe nord-coréenne peut-elle anéantir les USA ?Par Clément Bolano
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(Photo : Reuters / KCNA)
Un rapport adressé au Congrès américain pointe le danger potentiel d’une bombe à impulsion électromagnétique venue de Corée du Nord. Des experts précisent qu’elle pourrait annihiler 90 % de la population américaine et demandent aux parlementaires de prendre
cette menace au sérieux. Les analystes émettent un sérieux doute à ce sujet.
« Une attaque à impulsion électromagnétique (EMP) pourrait anéantir 90 % de la population américaine. » Cette affirmation a de quoi faire froid dans le dos. Elle vient de Peter Vincent Pry, ex-analyste de la CIA et directeur exécutif de la Commission sur la Sécurité Nationale Intérieure EMP, communément appelée commission EMP, chargée d’étudier les risques d’une attaque à impulsion électromagnétique sur le territoire américain.
Dr. Peter Vincent Pry. (Photo : capture d’écran YouTube)
Dans un rapport (sobrement) intitulé « L’attaque nucléaire EMP nord-coréenne : une menace existentielle », ce groupe d’experts, inquiet de l’éventualité d’une telle attaque, a averti le 12 octobre le Congrès américain que cette
« menace est très sérieuse et que des efforts doivent être faits pour sécuriser les réseaux électroniques ».
Selon Frank J. Cilluffo, directeur du Centre de la Cybersécurité nationale à l’Université George-Washington,
« une attaque nucléaire EMP pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l’électricité, les télécommunications, les transports, l’essence, le gaz, ou encore l’eau ». Bref, les dégâts d’une telle attaque seraient inestimables.
Des effets dévastateurs
Une bombe à impulsion électromagnétique (EMP), qu’est-ce que c’est ?
« C’est un type de bombe nucléaire qu’on fait exploser beaucoup plus haut dans l’atmosphère dans l’objectif de détruire des réseaux électroniques d’un pays », explique Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Testée dans les années 1960 par l’URSS et les États-Unis en pleine course à l’armement, en période de guerre froide, elle a pour conséquence de neutraliser les réseaux électriques, en plus des retombées radioactives et des rayons gamma qui résultent de son explosion.
Une bombe EMP est une bombe nucléaire explosant à très haute altitude. (Photo d’illustration : Wikimédia)
Selon le rapport présenté au Congrès américain,
« Une telle attaque ne nécessiterait pas une grande précision […] car le rayon [d’une attaque EMP] peut atteindre des centaines, voire des milliers de kilomètres. » En outre, le rapport souligne que les décharges électromagnétiques de l’explosion pourraient bloquer les réseaux électriques, web, téléphoniques.
Peter Vincent Pry, l’un des auteurs du rapport, racontait dans les colonnes de
Forbes que
« les approvisionnements alimentaires du pays seraient décimés par les radiations, et que 90 % de la population mourrait [de faim, notamment] dans l’année ». Selon le document, cette attaque pourrait être lancée depuis un cargo ou un sous-marin, via plusieurs missiles nucléaires envoyés en rafale à 30 km d’altitude.
Une menace « sous-estimée »
Le même rapport de Pry pointait
« des échecs massifs » de la part des services de renseignement américains, qui auraient
« largement sous-estimé les capacités des missiles à longue portée de Pyongyang, le nombre de leurs armes nucléaires, leur avancée sur la bombe H » et alertait le Congrès que
« la plus grande menace nord-coréenne pour les États-Unis restait inconnue ». La commission pour sûr l’EMP que dirige Pry avertissait déjà le pays, en 2004, que leur
« vulnérabilité actuelle invitait l’attaque ».
En 2004, deux généraux russes ont averti la commission EMP américaine que des plans d’une tête de missile, capable de générer une puissante impulsion électromagnétique de 200 000 volts par mètre, avaient
« accidentellement » fuité vers la Corée du Nord, du fait de la présence de scientifiques russes dans le pays, dirigé à l’époque par Kim Jong-il. En 2013, des sources militaires chinoises affirmaient que la Corée du Nord s’était dotée d’armes nucléaires EMP.
Il y a quelques années encore, les experts n’imaginaient pas que la Corée du Nord se doterait d’une bombe à hydrogène si rapidement. (Photo : AFP / KCNA)
Ce que la commission souhaitait pointait du doigt aux parlementaires américains était surtout le manque de protection du réseau électrique du pays, et l’urgence de le sécuriser. Selon la Commission fédérale de régulation de l’Énergie américaine et le département de la Défense américain, ce réseau ne serait en effet pas préparé à une éventuelle attaque de ce type.
L’attaque EMP ? « Un scénario ubuesque »
La menace électromagnétique brandie par la commission EMP devant le Congrès américain a de quoi faire rire de nombreux observateurs de la Corée du Nord. Comme Jeffrey Lewis et Jack Liu, deux éminents analystes, contributeurs notamment du très sérieux site internet
38 North. Les deux experts estimaient que l’éventualité d’une telle attaque relevait de la
« science-fiction ».
Antoine Bondaz, chercheur à la FRS et spécialiste de la Corée du Nord, avertit :
« Cette étude [de la commission EMP] est à prendre avec des pincettes. C’est un scénario ubuesque car une attaque EMP n’est rien d’autre qu'une attaque nucléaire », ajoute-t-il. Les experts des armes à impulsion électromagnétiques sont en effet assez rares, et les réseaux électriques des pays développés sont pensés pour résister à de nombreux types d’incidents, y compris des attaques nucléaires.
Le chercheur pointe également la crédibilité d’un tel scénario apocalyptique.
« Ce chiffre de 90 % provient d’une étude qui comprend plusieurs scénarios, dont celui-ci, qui serait le pire. Une seule bombe nord-coréenne, y compris si elle neutralisait les réseaux électriques et entraînait des problèmes d'approvisionnement en vivres comme annoncé dans l'étude, ne tuerait pas 90 % des Américains », relativise Antoine Bondaz.
Une réplique immédiate des USA en retour
La Corée du Nord n’aurait aucun intérêt à envoyer un missile à impulsion à électromagnétique sur le territoire américain,
« à moins que le régime soit devenu suicidaire », imagine-t-il. Une agression à l’arme nucléaire de la part du régime de Pyongyang entraînerait inévitablement une réponse immédiate de Washington. De facto, un conflit nucléaire causerait la perte du régime nord-coréen.
Envoyer une arme nucléaire sur les États-Unis, qu'elle vise à détruire physiquement une partie du territoire ou à neutraliser des réseaux électroniques, reviendrait à un « suicide du régime » nord-coréen, estime le chercheur Antoine Bondaz. (Photo : Reuters / KCNA)
Le fameux chiffre de 90 % a fait les gros titres des médias américains et anglo-saxons lorsque la commission a livré son rapport au Congrès, entretenant une psychose ravivée par les velléités militaires très récentes de Donald Trump face à Kim Jong-un.
« Les armes nucléaires visant une impulsion électromagnétique marquent les esprits, car elles semblent sortir d'un film de science-fiction. Les Nord-Coréens se sont servis de l'inquiétude occidentale en mentionnant que leur bombe H testée en septembre pouvait servir à cette fin, afin de renforcer la crédibilité de leur dissuasion et accroître la perception de menace », explique Antoine Bondaz.
Ce qui est certain, c’est que si les dommages causés par l’explosion d’une bombe à impulsion électromagnétique dans l’air pouvaient causer la mort de centaines de personnes, un tel scénario serait plus crédible à Hollywood que dans la réalité géopolitique actuelle.
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/11301/reader/reader.html?t=1509033805282#!preferred/1/package/11301/pub/16246/page/6