[b]LETTRE AU PERE NOEL[/b]
[b]d'Adrien Candiard
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(Qui a écrit un livre sur l’espérance qui est un petit bijou !)
Cher Père Noël, J’ai passé l’âge d’écrire au Père Noël, puisque je suis né il y a plus de deux mille ans, dans un petit village de Palestine. Mais comme je suis éternel, je n’ai pas vraiment d’âge. Et comme je suis Dieu, je fais ce que je veux ; et il me plaît, à moi, de rester éternellement un petit enfant.
Je t’écris parce que cela va être mon anniversaire. Il va y avoir des fêtes partout. Les gens vont faire des bons repas et échanger des cadeaux, et ils vont aussi se réunir à l’église pour ma fête d’anniversaire. Ce n’est pas exactement comme un goûter d’anniversaire, mais je sais par exemple qu’à Maadi, des musiciens vont mettre tout leur talent pour aider à chanter, et les gens seront heureux. Il faut dire qu’ils en ont besoin, les gens. L’actualité n’est pas très drôle. Il y a partout des attentats et des guerres, une violence abominable, et ils ont envie d’en sortir. En plus, ils sont fatigués par le travail, par l’école, et ils ont besoin de se changer les idées.
Alors ils aiment bien réentendre l’histoire de ma naissance : chaque année, c’est la même histoire, avec les mêmes personnages, Marie et Joseph qui cherchent une place qu’on leur refuse, les mêmes bergers, les mêmes anges, avec les mêmes chants de Noël pour accompagner tout ça. Cette permanence les rassure, comme s’il existait un monde à part que la violence du monde ne peut pas détruire, une espèce de refuge. Ils appellent cela l’esprit de Noël.
Moi, je t’avoue que ça me gêne un peu, parce que je ne suis pas venu pour leur donner de belles histoires rassurantes mais fausses, des gentils mensonges qui font chauds au cœur mais qui en fait n’existent pas, un peu comme toi par exemple, cher Père Noël.
Je suis venu pour habiter leur vie, leur vraie vie, celle où il y a des attentats et des gens violents, celle où il y a du stress et des mauvaises notes, des soucis d’avenir et des problèmes de couple, celle où il y a aussi de la joie — Dieu merci ! —, mais où il est si difficile d’aimer et d’être aimé. Pas une vie en carton-pâte qu’on ressort tous les ans avec la crèche, mais une vie de chair et de sang. S’ils pouvaient me laisser entrer vraiment dans leur vie, ils verraient que je peux leur apporter un peu plus que ce bonheur nostalgique de l’enfance qu’ils aiment tant. Ils verraient que je peux leur apporter la joie véritable, celle qui brûle, celle qui donne des raisons de vivre.
Mais ce n’est pas pour te raconter tout cela que je t’écris. Il y a un petit truc qui me tracasse chaque année, quand on vient fêter Noël. Ils disent que c’est mon anniversaire, mais je suis le seul à ne pas avoir de cadeaux. Ils en offrent à tout le monde, sauf à moi. C’est pourquoi cette année j’ai décidé de t’écrire pour te demander, pour moi aussi, un cadeau. Un seul, je ne suis pas très exigeant. Tu ne seras pas surpris d’apprendre ce que je veux.
Les anges l’ont déjà crié le soir de ma naissance, et on le répète à chaque fois : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime. » Pour la gloire de Dieu dans le ciel, ça va, on se débrouille plutôt bien. Mais c’est plutôt pour la paix sur la terre que cela marche moins. Alors voici ce que j’aimerais comme cadeau de Noël, ou comme cadeau d’anniversaire, puisque pour moi c’est pareil : la paix.
Je ne sais pas si c’est un cadeau que tu as l’habitude d’apporter aux gens. Il paraît que tout le monde veut la paix, mais je ne suis pas si sûr que ce soit vrai, parce qu’ils ne sont pas nombreux à la chercher vraiment ; ils ne sont pas si nombreux, les artisans de paix. Bien sûr, je connais les phrases habituelles : c’est pas moi, et puis c’est loin, et puis moi je ne peux rien faire. Je pensais pourtant leur avoir bien expliqué comment faire. Ils continuent à croire que, pour faire la paix, il faut être le plus fort et le mieux protégé. Je pensais qu’en venant les voir, moi le Tout-puissant, le Créateur de l’univers, sous la forme d’un petit enfant, ils comprendraient que c’est le contraire. Je me suis fait vulnérable pour qu’ils apprennent à poser leurs armes ; je me suis fait inoffensif, pour qu’ils apprennent à ne plus avoir peur ; je me suis fait insignifiant, pour qu’ils cessent leurs compétitions et comprennent qu’ils n’ont rien à prouver.
Car si on veut la paix, il n’y a qu’une chose à faire : désarmer. Déposer ses armes, toutes ses armes. Celles qui tuent en Syrie et celles qui blessent dans les familles. Les armes qui attaquent, mais aussi celles qu’on garde pour se défendre — même se défendre des gens qu’on aime. Parce que la paix ne peut s’accueillir que comme on accueille un petit enfant : les mains vides et le cœur attendri.
Le cadeau qui me rendrait heureux, cher Père Noël, ce serait que pendant une journée, tout le monde essaie de baisser les armes. Tout le monde, ou du moins quelques-uns, un petit groupe, la paroisse de Maadi, par exemple. Ce serait déjà quelque chose, ce serait même quelque chose d’immense, si pendant une journée entière, ils pouvaient accepter d’être vulnérables, et s’accueillir comme ils sont, sans poursuivre les vieilles rivalités, sans raviver les vieilles blessures, sans rester sur leur garde parce qu’on ne sait jamais. Ce serait formidable de passer une journée entière sans penser à se défendre, parce qu’alors ils goûteraient combien c’est bon.
Ils commenceraient alors à aimer la paix. Ils n’auraient plus envie de reprendre leurs petites guerres, contre le voisin et surtout contre eux-mêmes. Mais le plus beau ce serait qu’en baissant les armes, en faisant la paix en eux-mêmes, ils montreraient autour d’eux que la paix est possible, et peu à peu tout le monde aurait envie d’y goûter, autour d’eux puis de proche en proche, jusque là où on pense qu’elle est impossible.
Bien sûr, il y a un problème : c’est que toi, Père Noël, tu te retrouverais bientôt au chômage. Plus personne ne t’enverrait de listes de cadeaux. Parce que s’ils essayaient vraiment d’accueillir la paix, les gens s’apercevraient que ce n’est pas seulement un cadeau qu’ils me font, pour me faire plaisir, mais que c’est aussi le seul cadeau qu’ils peuvent donner aux gens qu’ils aiment, bien meilleur qu’un train électrique ou un Thermomix. Que c’est le seul cadeau qu’ils peuvent faire au monde. Ils s’apercevraient aussi c’est le cadeau que moi je leur donne, et que c’est le seul cadeau qui compte vraiment. Joyeux Noël !
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