Poutine achète des figurants pour son meetingÀ Moscou, de notre envoyé spécial Marc Mahuzier et de notre correspondant Paul Gogo
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ACTUALITÉUn billet de 500 roubles récompensait ceux qui s’étaient engagés à venir au stade de Moscou, ce samedi, pour le premier rassemblement électoral de Vladimir Poutine.C’est la radio l’Écho de Moscou qui a levé le lièvre, et ce n’est pas étonnant. L’Écho de Moscou est l’un des rares médias libres de Russie. Un des seuls à pouvoir donner cette information : Vladimir Poutine propose de l’argent pour assister à son meeting
Des femmes russes venues soutenir leur candidat. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France) La foule se presse pour entrer dans le stade. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France)En milieu de semaine, des annonces sur internet promettaient 500 roubles (un peu moins de 8 €), à qui viendrait à un grand raout électoral prévu ce samedi au stade de Moscou. En appelant un numéro, on tombait sur une personne qui vous demandait d’envoyer une photo, puis vous fixait un rendez-vous sur place. Pas très moral et difficile à comprendre. Le président qui se présente pour sa réélection le 18 mars court un risque quasi nul d’être battu. Sa popularité est de l’ordre de 80 %.
Samedi, il s’agissait de sa première apparition publique de candidat depuis qu’il s’est lancé dans ce qui est censé être sa campagne électorale. Bref, le grand stade, qui accueillera cet été les matches d’ouverture et de finale de la Coupe du monde de football, promettait d’être bien garni.Le gratin du show-biz Samedi donc, à 14 h, quand les réjouissances débutent, les gradins sont presque combles. On patiente tandis que défile le gratin du show-biz russe. Scénographie bien huilée : chacun pousse sa chansonnette et dit tout le bien qu’il pense du grand homme.
Ce samedi, les gradins du stade de Moscou étaient presque combles. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France)
Puis c’est le tour des athlètes médaillés aux Jeux d’hiver. Une ovation attend les joueurs de hockey, vainqueurs de la finale. Elle redouble quand Vladimir Vladimirovitch fait apparaître sa petite silhouette sur l’estrade aménagée au centre de la pelouse. Le candidat prononce trois minutes de banalités. S’époumone pendant l’hymne national. Serre quelques mains en souriant – ce qui est exceptionnel. Et s’en va.
Poutine n’est resté que très peu de temps sur la scène du stade. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France)
Environ 100 000 personnes ont assisté à l’événement. Parmi eux combien de figurants ? Impossible à dire. Mais on pouvait les voir se faire payer leur dû au pied de la statue monumentale de Lénine, à la sortie du stade. Des petites gens, souvent des retraités, venus pour améliorer leur ordinaire qui n’est pas gras. Une pension en Russie, cela tourne souvent autour de 8 000 roubles (environ 130 €). Le pays des oligarques est aussi celui de la pauvreté, surtout lorsqu’on sort de Moscou et de Saint-Pétersbourg.
Soutien aux athlètes
À vrai dire ce n’est pas la première fois que la presse indépendante relève une telle pratique. Déjà, en février, de curieuses annonces étaient parues sur internet promettant 300 roubles (5 €), à qui honorerait de sa présence une manifestation de soutien aux athlètes sanctionnés pour dopage aux Jeux olympiques d’hiver. Une dizaine de milliers de personnes avaient battu le pavé en bas de la place Rouge, dont un nombre indéterminé venu pour de simples raisons pécuniaires.
Des Tchétchènes avec des drapeaux à l’effigie de Kadyrov. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France)
De telles pratiques sont courantes depuis longtemps en Russie ou ceux qui ont de l’argent organisent des rassemblements gonflés avec des figurants.
Au meeting de samedi, si certains étaient payés, ils étaient beaucoup plus nombreux à avoir été poussés à se déplacer par leurs employeurs, leurs supérieurs. Ainsi, ce petit groupe d’adolescents, membres d’un club d’arts martiaux, reconnaissait sans se faire prier qu’ils avaient obéi à une consigne de leur entraîneur.
"Harcèlement"
L’ONG russe Golos (La Voix) fait la chasse à tous ces manquements aux règles de la démocratie. « Dans les universités, les étudiants sont quasiment obligés d’aller voter sous peine de ne plus retrouver de place sur le campus, assure Vitali Averin, un des permanents de l’antenne de Moscou. Les employés du secteur privé mais aussi des établissements publics, des administrations, subissent un véritable harcèlement de leur hiérarchie », ajoute-t-il.
Au meeting de samedi, si certains étaient payés, ils étaient beaucoup plus nombreux à avoir été poussés à se déplacer par leurs employeurs, leurs supérieurs. (Photo : Marc Mahuzier / Ouest-France)
« Les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer sont pressées par les travailleurs sociaux qui s’occupent d’elles de donner leur voix par procuration. Et la plupart aiment Poutine », précise aussi Alexander Artemyev, qui travaille à Amnesty International et est également scrutateur dans un bureau de Moscou.
Assuré d’être réélu, le président sortant a pour seul objectif une bonne participation. Actuellement celle-ci n’atteindrait pas 60 % alors que l’objectif a été fixé à 70 %. Du coup, ses affidés mettent les bouchées doubles, quitte à en faire un peu trop, sans que cela n’émeuve d’ailleurs personne.- Spoiler:
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