S'il ne faut pas philosopher, il faut encore philosopher, disait Aristote.
En somme tout humain , dès lors qui fait son métier d'humain, est un métaphysicien en puissance.
Contrairement à l'adage ''Primum vivere, deinde philosophari'', il faut penser pour vivre, et toute action est grosse d'une idée.
Du fait que nous sommes embarqués, même sans l'avoir voulu, dans l'existence, nous sommes tenus de prendre position, et dans cette attitude antérieure à toute réflexion une philosophie est en germe.
Il n'est donc pas possible d'agir sans se référer à chaque instant à une vision particulière du monde, à ce que les Allemands appellent une Weltanschauung
L'homme fait de ma métaphysique comme il respire.
Il conçoit le monde et le domine par l'intelligence. Il s'élève de même au-dessus du moment présent, de ses sensations éphémères, pour envisager sa vie dans son ensemble et la juger.
Si humble soit-il, l'homme a donc le privilège de penser sa vie.
On peut le définir, avec Heidegger, un être qui réfléchit sur son destin.
Nous sommes cependant en droit de nous poser une question préalable:
Est-il nécessaire, pour être humain, d'adopter une métaphysique ?
Ne peut-on s'en passer?
Beaucoup de gens ne vivent-ils pas, et fort bien, semble-t'il, sans philosophie, sans religion, sans croyance d'aucune sorte?
Bien plus, à supposer qu'on veuille se former des convictions, n'est-il pas impossible d'aboutir ?
Le monde ne ressemble-t'il pas à un chaos, et la vie à une énigme ?
Ceux qui prétendirent en déchifrer le sens ont-ils fait autre chose que de se contredire les uns les autres?
Il n'y a pas de vérité, dit-on, et en même temps, on affirme la vérité du septicisme.
On enseigne qu'il faut douter de tout, mais on ne permet pas de douter qu'il faille douter de tout.
Étrange contradition !
Car enfin, si ne ne puis posséder aucune certitude, je ne puis être certain de n'être jamais certain de rien.
Vivre en effet c'est agir, et agir c'est choisir.
Or comment choisir, préférer ceci à cela, telle conduite à telle autre, si toute vérité absolue, toute science objective des valeurs m'est inaccessible ?
S'il faut s'abstenir de juger, il faut également s'abstenir d'agir.
Le scepticisme, poussé dans ses conséquences logiques, conduirait à l'inertie, à l'immobilité, à la mort, comme il advint de ce philosophe qui, pour être fidèle à ses principes, se défendait de remuer même le petit doigt.