Ces jeunes migrants que l’on enferme en centre de rétention
La loi interdit normalement de placer en rétention en vue d’une expulsion, tout enfant migrant qui n’est pas accompagné de sa famille. Mais de nombreux jeunes non reconnus comme mineurs sont chaque année enfermés et certains sont expulsés.
Il s’appelle Hatam, il est Afghan. Il ne connaît pas sa date de naissance mais dit avoir 15 ans. Après le décès de son père, le jeune homme a quitté son pays pour rejoindre l’Angleterre où il a des oncles. Pour gagner l’Europe, il a traversé la Roumanie et l’Autriche, où il est resté deux mois dans un centre pour mineurs, avant d’arriver en France et de filer vers Calais. Alors qu’il tentait de monter dans un camion pour traverser la Manche, la police l’a interpellé puis l’a placé au Centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles, pour y être expulsé.
Il y est depuis le 3 juillet. « Quand je l’ai rencontré au CRA, il m’a dit : « Je ne dors pas, je ne mange pas. Je suis le plus petit ici, tout le monde est plus grand que moi. Pourquoi je suis ici ? », raconte, Bastien Roland, chercheur et intervenant à la Cabane Juridique, qui vient en aide aux personnes enfermées en rétention.
Que fait Hatam entre quatre murs alors que la loi interdit le placement en rétention de tout mineur non accompagné ? Pour documenter l’âge de Hatam, qui n’a pas de papiers avec lui, Bastien Roland s’est procuré auprès de sa famille à Londres une copie de sa taskira, un document d’identité parfois approximatif mais très répandu en Afghanistan « qui a été fait le 14 juillet 2013 et mentionne alors qu’il a environ 9 ans ». Ce qui lui donnerait 16 ans aujourd’hui.
Mais le document n’a pas convaincu les autorités. « Sa minorité n’a pas été établie, indique ainsi la préfecture du Pas-de-Calais. Cela a été jugé par le juge des libertés et de la détention et confirmé par la cour administrative d’appel de Douai. Par ailleurs, l’intéressé a effectué plusieurs demandes d’asile dans d'autres pays européens pour lesquelles il a indiqué être né en 2001. »
234 mineurs non accompagnés enfermés en 2019
Papier d’identité contre déclarations antérieures, la destinée des jeunes migrants qui, comme Hatam, se disent mineurs, se joue souvent à peu de chose. Car il n’est pas le seul dans son cas. « En ce moment, il y a cinq mineurs enfermés à Coquelles et un autre a été libéré », poursuit Bastien Roland. « L’enfermement des mineurs non accompagnés n’est pas propre à Coquelles, il est aussi fréquent dans des centres comme le Mesnil Amelot ou Hendaye, ajoute Violaine Husson, chargée du sujet à la Cimade. Rien qu’en 2019, 234 ont été placés en rétention en France. »
À Coquelles, il s’agit souvent de jeunes candidats au départ vers l’Angleterre, qui n’ont pas demandé à faire évaluer leur minorité par les départements, responsables de la protection de l’enfance. Mais ailleurs, « on voit beaucoup de jeunes qui ont été déboutés de leur minorité », reprend Violaine Husson. Certains sont même enfermés alors même qu’ils ont fait un recours contre cette décision. Au Mesnil-Amelot, on a eu un jeune qui a été libéré au bout de 88 jours. » Il n’est pas rare en effet que ce type de recours aboutisse à requalifier comme mineur un adolescent débouté.
Recours en cours ou pas, un certain nombre de ces enfermements aboutissent à des expulsions. « À la louche, un tiers » des mineurs non accompagnés placés en rétention sont expulsés chaque année, selon Violaine Husson. Avec parfois des situations ubuesques comme ce jeune Marocain, qui, après avoir été identifié sous divers noms et nationalités, a finalement été expulsé, fin 2019, vers… l’Algérie.
Faux passeports adultes
Beaucoup de ces jeunes qui émigrent le font en effet avec un faux passeport adulte. De sorte qu’ils sont enregistrés comme majeurs dans un fichier. Or le gouvernement souhaite désormais que les départements s’appuient sur les préfectures pour vérifier ce type de fichiers, « ce qui va conduire à débouter automatiquement de la minorité un grand nombre de mineurs, qui deviendront à leur tour expulsables », continue Violaine Husson. Un décret vient de sortir pour sanctionner financièrement les départements qui refusent de mélanger politique de l’enfance et politique migratoire.
Ce sujet sensible ne fera cependant pas partie du périmètre de la proposition de loi du député LREM Florent Boudié, qui devrait être examinée à l’automne. Non soutenu par le gouvernement, ce texte vise à encadrer plus strictement la rétention des familles avec enfants. En 2019, 279 enfants accompagnés ont été placés en rétention, et 60 % des familles concernées ont été expulsées.
« Je prévois d’interdire les rétentions pour les femmes enceintes, de limiter à 5 jours maximum celle des familles et de supprimer la possibilité de rétention dans les 48 heures précédant l’expulsion programmée, considérée une mesure de confort administratif par les associations, ce qui devrait aboutir à diminuer drastiquement l’enfermement des familles », explique le député.
https://www.la-croix.com/France/jeunes-migrants-lon-enferme-centre-retention-2020-07-16-1201105128?