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| Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet | |
| Auteur | Message |
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Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7549 Pays : France R E L I G I O N : catholique
| Sujet: Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet Mer 05 Aoû 2020, 5:06 am | |
| Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet
En 1962, vingt enfants tibétains débarquent discrètement à Orly sans leurs parents. Un projet du dalaï-lama, ficelé dans le plus grand secret en accord avec le plus haut sommet de l’État français. La République doit former ces gamins pour qu’ils deviennent les cadres d’un Tibet indépendant. L’histoire en a voulu autrement… Dossier à retrouver dans le numéro de « La Croix L’Hebdo » en kiosque dès le vendredi 7 août.
Ugen Tenzing aime à passer ses vacances à Zermatt. La ville suisse, nichée à 1 600 mètres d’altitude, lui rappelle son Tibet natal. C’est peut-être ce fond de fraîcheur qui résiste à l’été, quand Lausanne, où il travaille comme art- thérapeute, peut étouffer. À moins que ce ne soient les neiges éternelles du Cervin, le Matterhorn dit-on là-bas, cette pyramide qui vrille jusqu’au ciel comme un stupa. Ou le silence, préservé par l’absence de voitures, interdites dans cette commune du Valais. Des voitures, il n’y en avait pas non plus au Tibet. La première fois qu’Ugen en a vu, c’était fin 1961, à la frontière népalaise. À l’époque, son karma prévoyait-il déjà qu’il deviendrait ce randonneur en chemise légère, au français précis, toujours en quête du mot juste ? → PODCAST. « Tibet : j’ai retrouvé les «enfants» du dalaï-lama » Il en était si loin… Ugen avait alors 5 ans et sortait sa tête brune d’un panier sanglé au dos d’un yak. Ses parents l’y avaient dissimulé. Déguisés en commerçants, ils cherchaient avec plusieurs familles à rejoindre l’Inde pour fuir l’occupation chinoise au Tibet. Un périple vertigineux à travers l’Himalaya, mené de nuit par sécurité, toujours guetté par l’inconnu. - Citation :
- Certains, rieurs, saluent l’objectif, d’autres le scrutent, interdits.
« Au Népal, les aînés m’ont dit que dans les voitures, il y avait de petits êtres qui me conduiraient partout si j’avais un bon karma, se rappelle Ugen, sur la terrasse d’un appartement de Zermatt prêté par un ami. Je les ai cherchés, ces petits êtres ! » De cette première rencontre avec les transports modernes, il garde un souvenir amusé. La seconde, elle, continue de le sidérer.Dix garçons et dix fillettes au pied d’un avionNeuf mois après son arrivée en Inde, ce n’est pas à bord d’une voiture mais d’une Caravelle pour Paris que le gamin doit embarquer. Sa destinée s’en trouvera bouleversée. Sans le savoir, Ugen s’apprête à devenir l’acteur d’un projet politique conçu au plus haut niveau par la France et le Tibet. Un projet réalisé avec tant de discrétion que, soixante ans plus tard, il ne figure dans aucun livre d’histoire. Tout juste fait-il ici ou là l’objet de récits lacunaires, troués par le silence et le temps. Ugen lui-même ne peut tout rassembler.Gamin, il fixe le hublot à bord de la Caravelle. « J’avais déjà été envoyé au monastère à l’âge de 3 ans pour étudier, raconte-t-il. Dans l’avion, je me suis rappelé des textes évoquant des bouddhas dans l’espace. Je me suis dit que, comme eux, j’avais atteint une autre sphère. » Il observe si bien le conseil des aînés de « rester attaché » qu’il s’interdit d’aller aux toilettes. À son arrivée à Paris, sa culotte est trempée : « Sur la photo, j’essaie de me cacher. »À l’époque du projet, Pékin s’applique à mettre en oeuvre la révolution culturelle au Tibet. Dans le village de Chuschul, des habitants observent des artistes peindre le portrait de Mao en septembre 1959. / AFPUgen n’est pas seul sur ce cliché. Répartis en deux colonnes, dix garçons et dix fillettes posent au pied d’un avion, un drap sombre autour de la taille, un balluchon en main pour la plupart. Certains, rieurs, saluent l’objectif, d’autres le scrutent, interdits. De jeunes et modestes voyageurs qui se nomment Jigme, Delek, Passang, Pema, Timley…Ugen peut tous les identifier. Ils ont entre 5 et 10 ans, et, comme lui, sont tibétains. Comme les deux adultes debout derrière eux : M. et Mme Norgay, leurs tuteurs. Le randonneur de Zermatt connaît aussi le lieu et la date de la photo : Orly, 19 octobre 1962. Pour le reste, il faut souvent se contenter d’hypothèses. Comment cette troupe du pays des neiges a-t-elle pu se retrouver à Paris ? Qui l’attend à l’aéroport ? Qui a décidé de son voyage ? L’a organisé, l’a financé ?Le jeune dalaï-lama se lie avec un officier de marine françaisLa plupart des décisionnaires de l’époque ont disparu. Pour comprendre la présence des vingt visages joufflus à Orly, il faut donc d’abord s’en remettre aux archives. Celles du ministère des affaires étrangères reposent en partie à La Courneuve, au nord de Paris. Là, dans une chemise cartonnée, un télégramme diplomatique du 4 septembre 1962 autorise l’ambassade de France à New Delhi à « prélever (…) la contre-valeur de 3 296 nouveaux francs (…) destinée à régler les frais de voyage pour la France des vingt enfants tibétains ». Un autre annonce leur départ de New Delhi le 18 octobre 1962, par le vol Air France 171.Dans la même liasse de papiers ternis, une note d’avril 1961 mentionne le « vœu » du dalaï-lama « d’envoyer en Europe pour leur éducation des groupes d’enfants ». Elle émane du ministère de la marine et comporte la signature d’un amiral : Paul Ortoli.Comment la mer et les cimes du Tibet peuvent-elles ainsi se rencontrer ? Une partie de l’explication se niche sur les contreforts nuageux de l’Himalaya, à Dharamsala, la ville indienne qui accueille le dalaï-lama depuis sa fuite de Lhassa. Bref retour en arrière : en 1959, l’exode du jeune chef spirituel et politique des bouddhistes tibétains – 23 ans à l’époque –, menacé par la Chine communiste, suscite l’émotion jusqu’en France.Un télégramme diplomatique à l’ambassade de France à New Delhi du 4 septembre 1962 organise l’arrivée des vingt enfants tibétains en France. / Coll. Personnelle/Sven Ortoli//Archives MAEIl y noue rapidement des contacts, entretenant notamment une correspondance avec le fils d’un sous-préfet corse engagé dans la marine, compagnon de la Libération, dont la bravoure le fit rallier de Gaulle outre-Manche : Paul Ortoli, l’amiral cité dans les archives de La Courneuve. Si proche du général, il en fut le chef d’état-major particulier pendant la guerre et, vingt ans plus tard, occupa le prestigieux poste d’inspecteur général des forces maritimes et aéronavales.Former la future élite pour gouverner le Tibet libéréAu début des années 1960, le Corse et le Tibétain s’écrivent au sujet des vingt gamins. Leurs lettres ne figurent pas dans les annales du Quai d’Orsay, mais La Croix L’Hebdo s’en est procuré des copies. Le 28 août 1961, le dalaï-lama confie ainsi son bonheur à l’amiral sur du papier Bible à en-tête : « Je suis heureux de savoir qu’il est désormais possible d’envoyer vingt enfants tibétains en France grâce à vos efforts incessants pour aider mon peuple. »Empreints d’une même gratitude, également signés « Sa Sainteté », d’autres courriers s’enquièrent de l’état du projet ou proposent l’envoi d’« un couple marié » pour veiller sur les enfants. Leur photo parviendra à Paul Ortoli en décembre 1961.Comment ce dernier a-t-il noué le contact avec le « pontife tibétain » ? Mais d’abord, pourquoi tant d’efforts pour projeter une troupe de montagnards biberonnés au grand air dans la France du pétrole, des avions et des déchirures de la décolonisation ? Une lettre du 9 mars 1965 permet de comprendre le dessein du quatorzième dalaï-lama. Il est politique.Ugen-Tenzing Nubpa est devenu artiste peintre à Lausanne. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’Hebdo« Après leurs études, expose-t-il à Paul Ortoli, ils devront tous retourner en Inde pour vivre dans leur communauté et utiliser le savoir qu’ils ont acquis pour enseigner à des milliers d’enfants tibétains qui ont besoin d’une éducation, et pour travailler à l’amélioration de la communauté tibétaine. » En clair, il s’agit de former des hauts cadres à l’étranger. Indispensables à la survie en exil du peuple tibétain, mais aussi à la gouvernance du Tibet libéré. Un horizon certain, à l’époque, pour le dalaï-lama et ses compatriotes.« Je ne savais pas ce qu’était la France »L’histoire en a décidé autrement. Mais Ugen, Passang et les autres débarquent bel et bien à Orly. Ils ont laissé leurs familles en Inde, où elles sont réfugiées, ne parlent pas français et ne savent pas ce qui les attend : un parcours, toujours en groupe, entre les écoles et les internats de l’Hexagone jusqu’à… leurs 18 ans.Le Tibet en 1962En 1962, quand les vingt enfants débarquent à Orly, le Tibet est dans une situation difficile. Douze ans plus tôt, à la suite d’une intervention militaire (qualifiée d’« invasion » par le gouvernement tibétain en exil et de « libération pacifique » par la République populaire de Chine), la Chine a imposé sa souveraineté sur le territoire du Tibet, indépendant de facto depuis 1912.L’accord dit « en 17 points », signé en 1951 entre les Chinois et le 14e dalaï-lama, acte l’incorporation du Tibet au territoire chinois, tout en préservant en théorie une certaine autonomie et une coexistence entre Han et Tibétains.Mais en 1959, un soulèvement éclate à Lhassa, à la suite d’autres révoltes dans d’autre région du pays. L’échec de la rébellion provoque un exil massif de dizaines de milliers de Tibétains, qui suivent le dalaï-lama, parti installer son gouvernement en exil à Dharamsala, en Inde, d’où il dénonce l’accord en 17 points comme imposé par l’invasion, la menace et la tromperie.« Je ne savais pas ce qu’était la France, on m’avait dit que j’avais été choisie pour y aller, que c’était propre et qu’il n’y avait pas de maladie, c’est tout », se souvient Gemalla, 9 ans à l’époque. Pourquoi elle en particulier ? Comme ses camarades, elle ignore encore les raisons de sa sélection parmi les 500 pensionnaires du Tibetan Children Village de Dharamsala, créé par la sœur du dalaï-lama.Le départ ne rime pas pour tous avec déchirement. Dans la robe bordeaux des moines novices, Gemalla en pétille encore : « Les hôtesses de l’air nous ont gâtés avec des maquettes d’avion, c’était la première fois que je buvais du Coca ! Quitter mes parents, cela ne me faisait rien. Je n’ai pas pleuré. » Un détachement qui tient, selon elle, à la nature des relations familiales tibétaines, alors marquées « par un amour profond, mais pas par un attachement physique ». - Citation :
- Les « vingt » n’ont jamais pu accomplir le dessein du dalaï-lama
Autre enfant, autre souvenir… Ugen, lui, endure. « À mon départ, mes parents m’avaient offert une boîte métallique pleine de bonbons, se rappelle-t-il. J’en prenais un quand je pensais à eux. J’ai essayé de les faire durer le plus longtemps possible… » La boîte aura bien le temps de se vider.Pour les petites bouilles d’Orly, l’arrivée en France marque le début d’un exil prolongé. Avec les années, la Chine s’est enracinée au Tibet et l’espoir d’une libération a sombré. Les « vingt », comme ils se désignent eux-mêmes, n’ont jamais pu accomplir le dessein du dalaï-lama à Lhassa.« On est plus frères et sœurs que de vrais frères et sœurs »Aujourd’hui, huit d’entre eux vivent en France, sept en Suisse, un au Royaume-Uni, un autre au Canada… Seule une a choisi l’Inde, siège du gouvernement tibétain en exil. Deux sont décédés. Gemalla et Jigme, qui travaille pour le bureau du Tibet à Paris, ont pris la nationalité française. Chaque été, une grande partie du groupe se retrouve pour un pique-nique autour de M. Norgay, le tuteur, veuf et remarié, plus de 90 ans désormais. Un rituel, une réunion de famille. « On est plus frères et sœurs que de vrais frères et sœurs », dit Passang. - Citation :
- La plupart des « vingts » acceptent leur destin en ligne brisée
Retraitée après une carrière de secrétaire trilingue en Suisse, Passang sait bien que le choix du dalaï-lama l’a transformée. « Au fond de moi, il y a ce manque d’une cellule familiale étroite, confie-t-elle. Je suis très sensible. Mon mari me dit que j’ai besoin de beaucoup de tendresse. » Pourtant, elle ne s’indigne pas, ne cherche pas réparation. Elle constate. « C’est la conséquence des manques que j’ai vécus, mais dont je n’ai pas souffert. » La plupart des vingt affichent une même acceptation de leur destin en ligne brisée. Certains même refusent d’en parler.Mr. Norgay, 93 ans, dans son appartement de Lengnau, en Suisse. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’Hebdo« C’est le karma, c’est comme ça. Ce qui nous arrive est toujours un mieux », résume Gemalla dans un mélange de pudeur et, peut-être, d’autocensure. Un choix de Sa Sainteté ne se critique pas… Ugen n’a pas oublié sa bénédiction avant le grand départ. « Il nous a dit : ”Un oiseau doit pouvoir voler avec deux ailes.” Cela signifiait que nous avions besoin de notre culture et de la culture occidentale. J’ai eu le sentiment d’appartenir à un groupe de privilégiés. » Un même sentiment a pu conduire les parents à consentir à lâcher leur progéniture.Quand les vingt débarquent à Orly, l’un des quatre Tibétains alors recensés en France les attend à l’aéroport : Dagpo Rimpotché, 88 ans aujourd’hui, un regard doux, un sourire parfois malicieux et, surtout, un immense respect dans sa communauté. Le « vénérable », doté du très prestigieux statut de « tulku » (réincarnation d’un grand maître), n’a pas oublié le souhait formulé jadis par le dalaï-lama lors de leurs entretiens réguliers : « Envoyer des jeunes à l’étranger pour développer la culture tibétaine et les faire revenir au Tibet. »De Gaulle a-t-il personnellement approuvé le projet ?Un vœu que Dagpo Rimpotché réalisera lui-même en se rendant en France, où il vit depuis 1960, grâce à une bourse. Il y deviendra l’assistant d’un célèbre tibétologue, Rolf Stein, dans ses cours de tibétain à l’École pratique des hautes études. La classe compte une élève du nom de… Ortoli. L’épouse de l’amiral des archives.« Nous faisons connaissance », raconte Dagpo Rimpotché, chemise parme et pull en V, dans le salon de sa maison de Seine-et-Marne, où il reçoit ses nombreux disciples. Le tulku noue peu à peu le contact avec M. Ortoli par l’intermédiaire de son épouse. Un soir, l’amiral lui envoie son chauffeur à pompon rouge. Il est invité à dîner chez le couple, dans son appartement du Paris haussmannien.Le Tibétain finit par s’ouvrir du projet de faire venir de jeunes compatriotes. La note de l’amiral dans les archives s’explique… Sa correspondance avec le dalaï-lama aussi. « J’ai demandé à l’amiral de demander au général de Gaulle, il lui a transmis », poursuit Dagpo Rimpotché. Dans la foulée, Paul Ortoli se rendra à Dharamsala. - Citation :
- De Gaulle assure le dalaï-lama de « la sympathie de la France envers le peuple tibétain »
Si le rôle de ce dernier ne fait plus de doute, une autre question se pose : le président français a-t-il pris lui-même la décision d’accueillir les petits Tibétains ? Il est en tout cas très probable qu’il l’ait approuvée. Au moment où les vingt débarquent en France, lui et le dalaï-lama s’écrivent depuis plusieurs mois.En 1961, le Tibétain sollicite son appui à l’ONU. En retour, de Gaulle l’assure de « la sympathie de la France envers le peuple tibétain que, de toute évidence, les occupants traitent au mépris des droits de l’homme et de la liberté de pratique religieuse ». En septembre 1962, le dalaï-lama fait parvenir ses mémoires au général. Il le remerciera par courrier.L’État français pourvoit aux besoin des enfantsPourquoi de Gaulle aurait-il dit oui ? Par empathie pour un chef qui, comme lui à Londres vingt ans plus tôt, cherche à mobiliser un peuple par temps de guerre et depuis l’exil ? Pour imiter la Suisse et le Danemark, qui reçoivent à l’époque des enfants tibétains ? Reste que la méthode française sera singulière. Ailleurs, l’accueil relève le plus souvent d’initiatives privées. En France, l’État gère le dossier. Il pourvoit aux besoins des enfants (logement, habillement…), les dote d’une carte de « réfugié apatride d’origine indéterminée » et leur accorde le statut de pupille. Un cas quasi unique. - Citation :
- « M. Ortoli et le Quai d’Orsay avaient pensé que, venant des montagnes, nous devions être dans un environnement montagneux »
Ce choix n’empêchera pas de Gaulle de reconnaître la Chine communiste avec le Tibet dans ses frontières. En 1964, soit deux ans après l’arrivée du groupe d’Orly. Trahison ? Abandon des vingt ? Ni ces derniers ni Dagpo Rimpotché ne s’indignent. « De Gaulle voyait loin, assure le lama. Certes, il a reconnu la Chine en 1964, mais c’était objectif. Elle était déjà très peuplée. » Une acceptation qui tient peut-être au détachement, vertu bouddhique par excellence. À la reconnaissance, aussi, envers l’État français qui, malgré son penchant chinois, pourvoira aux besoins des enfants.Leur tour de France commence par trois années à La Coûme, dans les Pyrénées-Orientales, après quelques nuits à Paris – « dans des draps blancs, chacun dans un lit ! », s’émerveille encore Gemella. Caché au fond d’une vallée, l’établissement occupe un vaste terrain jonché de maquis et doté d’un bois. Le choix de ce bout du monde ne doit rien au hasard. « M. Ortoli et le Quai d’Orsay avaient pensé que, venant des montagnes, nous devions être dans un environnement montagneux », explique M. Norgay, l’ancien tuteur, dans son appartement des environs de Bienne, en Suisse.Pasang Memmishofer, l’une des « vingt », prise en photo dans son village suisse de Birmenstorf, en Suisse, le 23 juin 2020. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’HebdoLa Coûme, c’est une sorte de foyer qui a d’abord accueilli des petits Espagnols chassés par la guerre, puis des enfants souffrant de problèmes psychologiques et familiaux. Sa pédagogie vise l’autonomie sur tous les plans. « Il est bien de garnir le cerveau, mais il faut aussi habituer la main », résume Monique Bétoin, 86 ans, qui y travaillait à l’époque.Cueillette, lessive, balai…, les vingt ne chôment jamais. Chaque jour, on parle une langue différente à table. Allemand, anglais… Déroutant pour les petits Tibétains, tout juste familiarisés avec le français. C’en est trop pour le tuteur. « Sa Sainteté avait envoyé les enfants pour faire des études, pas pour travailler », tranche le vieil homme, la voix fatiguée.Fidélité à la langue tibétaineEn plus du cursus scolaire français, les enfants doivent suivre un programme tibétain. « J’avais un plan pour les faire travailler avant et après la journée à l’école française, pour leur inculquer la pensée bouddhique, la culture et l’histoire tibétaines », explique M. Norgay, avant de désigner, au mur de son salon, une photo dédicacée du dalaï-lama riant aux éclats. Un cadeau pour les 90 ans du tuteur, qui précise : « Lorsque Sa Sainteté vient en Suisse, elle demande toujours à me voir en privé. »Quand il part pour l’Hexagone, il y a près de soixante ans, l’enseignant se charge d’ouvrages tibétains de référence en poésie, histoire, politique… Haut fonctionnaire et patriote dans l’âme, il respectera à la lettre la mission du dalaï-lama : « Former une élite guidant le peuple. » Des mots que M. Norgay prononce en tibétain. Resté fidèle à sa langue comme à son vieil espoir d’un Tibet libéré, il ne parle pas français malgré les années. - Citation :
- Les « vingt » sont ensuite accueillis à Chambon-sur-Lignon par le pasteur Leenhardt, Juste parmi les nations
J ugeant le rythme de La Coûme trop soutenu, ce dernier le fait savoir. L’administration se met alors en quête d’un nouveau toit pour la bande. En juin 1965, elle quitte les Pyrénées-Orientales et passe l’été au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. Le pasteur Leenhardt, à la tête du Collège cévenol, accueille les gamins. Il perpétue l’engagement qui l’a conduit, pendant la guerre, à protéger des enfants juifs et lui vaudra le titre posthume de Juste parmi les nations. Passang, Jigme et toute la « fratrie » habitent une ferme. Parfois, ils descendent se rafraîchir dans le Lignon.Un vélo est envoyé à chacun des enfantsLa parenthèse bucolique se referme en septembre. Durant l’été, des courriers ont circulé entre la Cimade, association d’aide aux réfugiés, l’éducation nationale, le Quai d’Orsay… Il faut trouver un point de chute aux réfugiés du toit du monde d’ici à la rentrée. Ce sera Bléneau, bourg de 1 500 habitants dans l’Yonne, en raison de la proximité d’une lamaserie. Un car des Rapides de Bourgogne y déposera la troupe juste à temps pour la rentrée. Celle-ci se déroule sans accroc. Les enfants trouvent leurs marques sur les bords du Loing. « On ne devait plus faire la cuisine, se souvient Passang. Et puis on est allés à Paris, voir Peter Pan au cinéma et visiter la tour Eiffel. »Qui, côté français, veille sur ces réfugiés sans famille, mais ni orphelins ni placés en foyer ? À la mairie de Bléneau, des archives l’attestent : une fois la venue des enfants décidée au sommet, les services de l’État ont pris le relais. La Ddass, la préfecture de l’Yonne et la municipalité assurent au quotidien l’engagement français. Il y a aussi les bonnes volontés. André Rouverand, administrateur de la Cimade, s’enquiert du sort des jeunes adolescents. - Citation :
- Dans l’Yonne, la communauté «tente de concilier Bouddha et Johnny Hallyday », selon la presse locale
Au Quai d’Orsay, une certaine Lucie Masbrenier en fait ses protégés. Un jour, elle envoie un vélo à chacun. M. Norgay, lui, a droit à un Solex. Chaque mois, les tuteurs reçoivent 4 000 francs de l’époque de la part du Quai d’Orsay (2 000 francs chacun) et les vingt, un peu d’argent de poche. Deux fois par an, ils choisissent leurs vêtements dans les locaux de la Ddass, à Auxerre.« Leur adaptation à notre région et à nos habitudes semble parfaite maintenant », se félicite le maire de Bléneau, M. Touzeau, dans une lettre à l’automne 1966. La communauté, « qui tente de concilier Bouddha et Johnny Hallyday » selon la presse locale, joue parfois au foot avec les enfants du village. En septembre 1967, elle danse au rendez-vous international de folklore de Vichy et rafle le premier prix.Exil permanentLes gamins grandissent. En 1968, ils ont entre 10 et 15 ans. Ils ne peuvent alors ignorer qu’ils sont promis à un destin qu’ils n’ont pas choisi. En toute occasion, le tuteur martèle leur mission : revenir un jour au Tibet. La rengaine les maintient dans une position d’éternels transitaires. « M. Norgay nous a tellement conditionnés à rentrer que notre esprit n’était pas posé en France », explique Jigme.Queue-de-cheval et veste polaire, Jigme hésite d’abord à poursuivre sur l’éventuel malaise de cette enfance délocalisée au nom d’une cause négligée. Surtout, ne pas critiquer. « Notre tuteur s’est sacrifié », justifie-t-il. Être accueilli en France, quelle chance… Mais peu à peu, il consent à s’ouvrir et, par un après-midi d’hiver, explore ses jeunes années dans une antichambre de la pagode du bois de Vincennes, à Paris. Il vit juste à côté.Jigme Dordje, l'un des « Tibetains de la République », dans la Grande Pagode Boudhiste du bois de Vincennes, où il réside. / B. ARBESU pour La Croix L’HebdoCette double éducation a pesé sur Jigme. « Le matin, on se levait à six heures et le soir, on se couchait à dix, il n’y avait pas de place pour les loisirs, raconte-t-il, la voix un peu sourde. M. et Mme Norgay nous inculquaient les bases du bouddhisme, la compassion, le détachement… À l’école française, c’était l’inverse. » Un entre-deux dont Jigme se contentera longtemps. À sa majorité, il peut prendre la nationalité française mais préfère conserver une carte de séjour. Plus tard, il changera d’avis. « À un moment, on coupe la poire en deux. » - Citation :
- Après l’abandon par le dalaï-lama de son projet, M. Norgay se dit « un peu déçu »
Jusqu’à quand les vingt ont-ils cru à leur destin au Tibet ? En 1972, ils s’envolent pour Dharamsala avec leurs tuteurs, afin d’y rencontrer leurs familles. Le dalaï-lama, qui les reçoit, a renoncé à son projet. « Je voulais faire le point, savoir si le gouvernement en exil avait besoin des enfants, se souvient M. Norgay. On m’a dit non, à part quelques traducteurs, et qu’ils pouvaient donc rentrer en France et faire les études de leur choix. » Déconvenue pour le tuteur, qui s’autorise une rare critique. « J’étais un peu déçu. »Les « vingt » accueillis à Valpré, près de LyonJigme n’en tient pas rigueur à Sa Sainteté. «Il a été pragmatique. » À l’époque, Pékin s’applique à mettre en œuvre la révolution culturelle au Tibet. L’horizon d’une libération s’éloigne… Ugen l’avait pressenti : « Il y avait eu la reconnaissance de la Chine, puis Mai 68. Notre cher de Gaulle était vacillant. Il était clair que nous ne serions pas des fonctionnaires d’un État tibétain en tant que tel. »Mais encore une fois, le monde ne s’écroule pas pour ces âmes qui croient au karma. Les vingt et leurs tuteurs rentrent en France et, le collège fini, quittent Bléneau, dépourvu de lycée. Écully, commune limitrophe de Lyon, sera leur nouveau point de chute. Ils y sont hébergés à Valpré, domaine détenu par la congrégation des augustins de l’Assomption (propriétaire de Bayard Presse, éditeur de La Croix L’Hebdo). À l’époque, il accueille des groupes associatifs et confessionnels, surtout chrétiens, depuis quelques années. - Citation :
- « Ils nous avaient laissé un coin pour notre pratique dans la chapelle »
Les pensionnaires bouddhistes sortent du lot, mais un modus vivendi se met en place. « Ils nous avaient laissé un coin pour notre pratique dans la chapelle, se souvient Jigme. Ils ont accueilli ce que nous étions. » Parfois, on se taquine. « On lançait de petites vannes sur le concept de dieu, car dans notre croyance, il n’y en a pas », poursuit Jigme. Mais les rapports ont leurs limites. « C’était plus une juxtaposition qu’une intégration », rapporte le père Claude Maréchal, ancien supérieur général de la congrégation.L’aide de l’État s’arrête à la majorité des vingt enfantsÀ l’époque, le père Christian Delorme n’a pas 30 ans, il est chef scout à Lyon et rencontre quelques-uns des vingt par l’intermédiaire de l’aumônier de leur lycée. Leur souvenir enthousiasme encore ce héraut du dialogue interreligieux : « On était dans le souffle de l’après-Vatican II, il y avait un autel de Bouddha dans la chapelle de Valpré ! » En 1982, il crée avec certains d’entre eux l’association Amitiés franco-tibétaines et conduit sa 4L jusqu’à Digne-les-Bains, où il rencontre le dalaï-lama dans la maison de l’exploratrice Alexandra David-Néel.Le P. Christian Delorme rencontre quelques-uns des vingt alors qu’ils sont accueillis à Valpré, près de Lyon. / C. MERCIER/CIRICD’autres causes happeront l’organisateur de la « marche des beurs », qui n’a pourtant rien oublié des vingt. « Ils vivaient en symbiose avec leurs tuteurs, mais il était visible qu’ils ne deviendraient pas ce pourquoi ils étaient programmés», se souvient-il.En effet… À leur majorité, l’Hexagone cessera comme prévu d’apporter son soutien administratif et financier aux vingt. Certains poursuivront des études à leurs frais. Ils ne seront pas les cadres d’un Tibet libéré mais secrétaire, assistante sociale, travailleront dans un laboratoire, trouveront un petit boulot… - Citation :
- « Dans le bouddhisme, il n’y a pas cette histoire de regret. Le passé, on ne peut pas le changer. »
Soixante ans après leur arrivée, les vingt ne se tiennent pourtant pas si loin des desseins de Sa Sainteté. À défaut de servir son pays sur place, Passang s’y est consacrée en Suisse en présidant la communauté tibétaine. En organisant des visites du dalaï-lama en Europe, Ugen, lui aussi, a œuvré pour sa patrie. Celle-ci emplit le quotidien de Jigme, qui travaille pour le bureau du Tibet à Paris. Aucun d’entre eux ne se demande quelle aurait été sa vie s’il n’avait pas été choisi. « Dans le bouddhisme, il n’y a pas cette histoire de regret, explique Jigme. Le passé, on ne peut pas le changer. » Le bouddhisme, au nom duquel son destin a été bouleversé, l’a aussi sauvé. « Sans lui, confie-t-il, je ne sais pas où je serais. »https://www.la-croix.com/France/enfants-Dalai-Lama-projet-secret-entre-France-Tibet-2020-08-04-1201107711?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_content=20200805&utm_campaign=newsletter__crx_rel_edito&utm_term=2165&PMID=72594f97fde1658e57cb0e542c4b8ded |
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Date d'inscription : 01/06/2011 Messages : 19287 Pays : FRANCE R E L I G I O N : CATHOLIQUE
| Sujet: Re: Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet Mer 05 Aoû 2020, 6:10 pm | |
| - Capucine a écrit:
- Spoiler:
Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet
En 1962, vingt enfants tibétains débarquent discrètement à Orly sans leurs parents. Un projet du dalaï-lama, ficelé dans le plus grand secret en accord avec le plus haut sommet de l’État français. La République doit former ces gamins pour qu’ils deviennent les cadres d’un Tibet indépendant. L’histoire en a voulu autrement… Dossier à retrouver dans le numéro de « La Croix L’Hebdo » en kiosque dès le vendredi 7 août.
Ugen Tenzing aime à passer ses vacances à Zermatt. La ville suisse, nichée à 1 600 mètres d’altitude, lui rappelle son Tibet natal. C’est peut-être ce fond de fraîcheur qui résiste à l’été, quand Lausanne, où il travaille comme art- thérapeute, peut étouffer. À moins que ce ne soient les neiges éternelles du Cervin, le Matterhorn dit-on là-bas, cette pyramide qui vrille jusqu’au ciel comme un stupa. Ou le silence, préservé par l’absence de voitures, interdites dans cette commune du Valais. Des voitures, il n’y en avait pas non plus au Tibet. La première fois qu’Ugen en a vu, c’était fin 1961, à la frontière népalaise. À l’époque, son karma prévoyait-il déjà qu’il deviendrait ce randonneur en chemise légère, au français précis, toujours en quête du mot juste ? → PODCAST. « Tibet : j’ai retrouvé les «enfants» du dalaï-lama » Il en était si loin… Ugen avait alors 5 ans et sortait sa tête brune d’un panier sanglé au dos d’un yak. Ses parents l’y avaient dissimulé. Déguisés en commerçants, ils cherchaient avec plusieurs familles à rejoindre l’Inde pour fuir l’occupation chinoise au Tibet. Un périple vertigineux à travers l’Himalaya, mené de nuit par sécurité, toujours guetté par l’inconnu. - Citation :
- Certains, rieurs, saluent l’objectif, d’autres le scrutent, interdits.
« Au Népal, les aînés m’ont dit que dans les voitures, il y avait de petits êtres qui me conduiraient partout si j’avais un bon karma, se rappelle Ugen, sur la terrasse d’un appartement de Zermatt prêté par un ami. Je les ai cherchés, ces petits êtres ! » De cette première rencontre avec les transports modernes, il garde un souvenir amusé. La seconde, elle, continue de le sidérer.Dix garçons et dix fillettes au pied d’un avionNeuf mois après son arrivée en Inde, ce n’est pas à bord d’une voiture mais d’une Caravelle pour Paris que le gamin doit embarquer. Sa destinée s’en trouvera bouleversée. Sans le savoir, Ugen s’apprête à devenir l’acteur d’un projet politique conçu au plus haut niveau par la France et le Tibet. Un projet réalisé avec tant de discrétion que, soixante ans plus tard, il ne figure dans aucun livre d’histoire. Tout juste fait-il ici ou là l’objet de récits lacunaires, troués par le silence et le temps. Ugen lui-même ne peut tout rassembler.Gamin, il fixe le hublot à bord de la Caravelle. « J’avais déjà été envoyé au monastère à l’âge de 3 ans pour étudier, raconte-t-il. Dans l’avion, je me suis rappelé des textes évoquant des bouddhas dans l’espace. Je me suis dit que, comme eux, j’avais atteint une autre sphère. » Il observe si bien le conseil des aînés de « rester attaché » qu’il s’interdit d’aller aux toilettes. À son arrivée à Paris, sa culotte est trempée : « Sur la photo, j’essaie de me cacher. »À l’époque du projet, Pékin s’applique à mettre en oeuvre la révolution culturelle au Tibet. Dans le village de Chuschul, des habitants observent des artistes peindre le portrait de Mao en septembre 1959. / AFPUgen n’est pas seul sur ce cliché. Répartis en deux colonnes, dix garçons et dix fillettes posent au pied d’un avion, un drap sombre autour de la taille, un balluchon en main pour la plupart. Certains, rieurs, saluent l’objectif, d’autres le scrutent, interdits. De jeunes et modestes voyageurs qui se nomment Jigme, Delek, Passang, Pema, Timley…Ugen peut tous les identifier. Ils ont entre 5 et 10 ans, et, comme lui, sont tibétains. Comme les deux adultes debout derrière eux : M. et Mme Norgay, leurs tuteurs. Le randonneur de Zermatt connaît aussi le lieu et la date de la photo : Orly, 19 octobre 1962. Pour le reste, il faut souvent se contenter d’hypothèses. Comment cette troupe du pays des neiges a-t-elle pu se retrouver à Paris ? Qui l’attend à l’aéroport ? Qui a décidé de son voyage ? L’a organisé, l’a financé ?Le jeune dalaï-lama se lie avec un officier de marine françaisLa plupart des décisionnaires de l’époque ont disparu. Pour comprendre la présence des vingt visages joufflus à Orly, il faut donc d’abord s’en remettre aux archives. Celles du ministère des affaires étrangères reposent en partie à La Courneuve, au nord de Paris. Là, dans une chemise cartonnée, un télégramme diplomatique du 4 septembre 1962 autorise l’ambassade de France à New Delhi à « prélever (…) la contre-valeur de 3 296 nouveaux francs (…) destinée à régler les frais de voyage pour la France des vingt enfants tibétains ». Un autre annonce leur départ de New Delhi le 18 octobre 1962, par le vol Air France 171.Dans la même liasse de papiers ternis, une note d’avril 1961 mentionne le « vœu » du dalaï-lama « d’envoyer en Europe pour leur éducation des groupes d’enfants ». Elle émane du ministère de la marine et comporte la signature d’un amiral : Paul Ortoli.Comment la mer et les cimes du Tibet peuvent-elles ainsi se rencontrer ? Une partie de l’explication se niche sur les contreforts nuageux de l’Himalaya, à Dharamsala, la ville indienne qui accueille le dalaï-lama depuis sa fuite de Lhassa. Bref retour en arrière : en 1959, l’exode du jeune chef spirituel et politique des bouddhistes tibétains – 23 ans à l’époque –, menacé par la Chine communiste, suscite l’émotion jusqu’en France.Un télégramme diplomatique à l’ambassade de France à New Delhi du 4 septembre 1962 organise l’arrivée des vingt enfants tibétains en France. / Coll. Personnelle/Sven Ortoli//Archives MAEIl y noue rapidement des contacts, entretenant notamment une correspondance avec le fils d’un sous-préfet corse engagé dans la marine, compagnon de la Libération, dont la bravoure le fit rallier de Gaulle outre-Manche : Paul Ortoli, l’amiral cité dans les archives de La Courneuve. Si proche du général, il en fut le chef d’état-major particulier pendant la guerre et, vingt ans plus tard, occupa le prestigieux poste d’inspecteur général des forces maritimes et aéronavales.Former la future élite pour gouverner le Tibet libéréAu début des années 1960, le Corse et le Tibétain s’écrivent au sujet des vingt gamins. Leurs lettres ne figurent pas dans les annales du Quai d’Orsay, mais La Croix L’Hebdo s’en est procuré des copies. Le 28 août 1961, le dalaï-lama confie ainsi son bonheur à l’amiral sur du papier Bible à en-tête : « Je suis heureux de savoir qu’il est désormais possible d’envoyer vingt enfants tibétains en France grâce à vos efforts incessants pour aider mon peuple. »Empreints d’une même gratitude, également signés « Sa Sainteté », d’autres courriers s’enquièrent de l’état du projet ou proposent l’envoi d’« un couple marié » pour veiller sur les enfants. Leur photo parviendra à Paul Ortoli en décembre 1961.Comment ce dernier a-t-il noué le contact avec le « pontife tibétain » ? Mais d’abord, pourquoi tant d’efforts pour projeter une troupe de montagnards biberonnés au grand air dans la France du pétrole, des avions et des déchirures de la décolonisation ? Une lettre du 9 mars 1965 permet de comprendre le dessein du quatorzième dalaï-lama. Il est politique.Ugen-Tenzing Nubpa est devenu artiste peintre à Lausanne. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’Hebdo« Après leurs études, expose-t-il à Paul Ortoli, ils devront tous retourner en Inde pour vivre dans leur communauté et utiliser le savoir qu’ils ont acquis pour enseigner à des milliers d’enfants tibétains qui ont besoin d’une éducation, et pour travailler à l’amélioration de la communauté tibétaine. » En clair, il s’agit de former des hauts cadres à l’étranger. Indispensables à la survie en exil du peuple tibétain, mais aussi à la gouvernance du Tibet libéré. Un horizon certain, à l’époque, pour le dalaï-lama et ses compatriotes.« Je ne savais pas ce qu’était la France »L’histoire en a décidé autrement. Mais Ugen, Passang et les autres débarquent bel et bien à Orly. Ils ont laissé leurs familles en Inde, où elles sont réfugiées, ne parlent pas français et ne savent pas ce qui les attend : un parcours, toujours en groupe, entre les écoles et les internats de l’Hexagone jusqu’à… leurs 18 ans.Le Tibet en 1962En 1962, quand les vingt enfants débarquent à Orly, le Tibet est dans une situation difficile. Douze ans plus tôt, à la suite d’une intervention militaire (qualifiée d’« invasion » par le gouvernement tibétain en exil et de « libération pacifique » par la République populaire de Chine), la Chine a imposé sa souveraineté sur le territoire du Tibet, indépendant de facto depuis 1912.L’accord dit « en 17 points », signé en 1951 entre les Chinois et le 14e dalaï-lama, acte l’incorporation du Tibet au territoire chinois, tout en préservant en théorie une certaine autonomie et une coexistence entre Han et Tibétains.Mais en 1959, un soulèvement éclate à Lhassa, à la suite d’autres révoltes dans d’autre région du pays. L’échec de la rébellion provoque un exil massif de dizaines de milliers de Tibétains, qui suivent le dalaï-lama, parti installer son gouvernement en exil à Dharamsala, en Inde, d’où il dénonce l’accord en 17 points comme imposé par l’invasion, la menace et la tromperie.« Je ne savais pas ce qu’était la France, on m’avait dit que j’avais été choisie pour y aller, que c’était propre et qu’il n’y avait pas de maladie, c’est tout », se souvient Gemalla, 9 ans à l’époque. Pourquoi elle en particulier ? Comme ses camarades, elle ignore encore les raisons de sa sélection parmi les 500 pensionnaires du Tibetan Children Village de Dharamsala, créé par la sœur du dalaï-lama.Le départ ne rime pas pour tous avec déchirement. Dans la robe bordeaux des moines novices, Gemalla en pétille encore : « Les hôtesses de l’air nous ont gâtés avec des maquettes d’avion, c’était la première fois que je buvais du Coca ! Quitter mes parents, cela ne me faisait rien. Je n’ai pas pleuré. » Un détachement qui tient, selon elle, à la nature des relations familiales tibétaines, alors marquées « par un amour profond, mais pas par un attachement physique ». - Citation :
- Les « vingt » n’ont jamais pu accomplir le dessein du dalaï-lama
Autre enfant, autre souvenir… Ugen, lui, endure. « À mon départ, mes parents m’avaient offert une boîte métallique pleine de bonbons, se rappelle-t-il. J’en prenais un quand je pensais à eux. J’ai essayé de les faire durer le plus longtemps possible… » La boîte aura bien le temps de se vider.Pour les petites bouilles d’Orly, l’arrivée en France marque le début d’un exil prolongé. Avec les années, la Chine s’est enracinée au Tibet et l’espoir d’une libération a sombré. Les « vingt », comme ils se désignent eux-mêmes, n’ont jamais pu accomplir le dessein du dalaï-lama à Lhassa.« On est plus frères et sœurs que de vrais frères et sœurs »Aujourd’hui, huit d’entre eux vivent en France, sept en Suisse, un au Royaume-Uni, un autre au Canada… Seule une a choisi l’Inde, siège du gouvernement tibétain en exil. Deux sont décédés. Gemalla et Jigme, qui travaille pour le bureau du Tibet à Paris, ont pris la nationalité française. Chaque été, une grande partie du groupe se retrouve pour un pique-nique autour de M. Norgay, le tuteur, veuf et remarié, plus de 90 ans désormais. Un rituel, une réunion de famille. « On est plus frères et sœurs que de vrais frères et sœurs », dit Passang. - Citation :
- La plupart des « vingts » acceptent leur destin en ligne brisée
Retraitée après une carrière de secrétaire trilingue en Suisse, Passang sait bien que le choix du dalaï-lama l’a transformée. « Au fond de moi, il y a ce manque d’une cellule familiale étroite, confie-t-elle. Je suis très sensible. Mon mari me dit que j’ai besoin de beaucoup de tendresse. » Pourtant, elle ne s’indigne pas, ne cherche pas réparation. Elle constate. « C’est la conséquence des manques que j’ai vécus, mais dont je n’ai pas souffert. » La plupart des vingt affichent une même acceptation de leur destin en ligne brisée. Certains même refusent d’en parler.Mr. Norgay, 93 ans, dans son appartement de Lengnau, en Suisse. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’Hebdo« C’est le karma, c’est comme ça. Ce qui nous arrive est toujours un mieux », résume Gemalla dans un mélange de pudeur et, peut-être, d’autocensure. Un choix de Sa Sainteté ne se critique pas… Ugen n’a pas oublié sa bénédiction avant le grand départ. « Il nous a dit : ”Un oiseau doit pouvoir voler avec deux ailes.” Cela signifiait que nous avions besoin de notre culture et de la culture occidentale. J’ai eu le sentiment d’appartenir à un groupe de privilégiés. » Un même sentiment a pu conduire les parents à consentir à lâcher leur progéniture.Quand les vingt débarquent à Orly, l’un des quatre Tibétains alors recensés en France les attend à l’aéroport : Dagpo Rimpotché, 88 ans aujourd’hui, un regard doux, un sourire parfois malicieux et, surtout, un immense respect dans sa communauté. Le « vénérable », doté du très prestigieux statut de « tulku » (réincarnation d’un grand maître), n’a pas oublié le souhait formulé jadis par le dalaï-lama lors de leurs entretiens réguliers : « Envoyer des jeunes à l’étranger pour développer la culture tibétaine et les faire revenir au Tibet. »De Gaulle a-t-il personnellement approuvé le projet ?Un vœu que Dagpo Rimpotché réalisera lui-même en se rendant en France, où il vit depuis 1960, grâce à une bourse. Il y deviendra l’assistant d’un célèbre tibétologue, Rolf Stein, dans ses cours de tibétain à l’École pratique des hautes études. La classe compte une élève du nom de… Ortoli. L’épouse de l’amiral des archives.« Nous faisons connaissance », raconte Dagpo Rimpotché, chemise parme et pull en V, dans le salon de sa maison de Seine-et-Marne, où il reçoit ses nombreux disciples. Le tulku noue peu à peu le contact avec M. Ortoli par l’intermédiaire de son épouse. Un soir, l’amiral lui envoie son chauffeur à pompon rouge. Il est invité à dîner chez le couple, dans son appartement du Paris haussmannien.Le Tibétain finit par s’ouvrir du projet de faire venir de jeunes compatriotes. La note de l’amiral dans les archives s’explique… Sa correspondance avec le dalaï-lama aussi. « J’ai demandé à l’amiral de demander au général de Gaulle, il lui a transmis », poursuit Dagpo Rimpotché. Dans la foulée, Paul Ortoli se rendra à Dharamsala. - Citation :
- De Gaulle assure le dalaï-lama de « la sympathie de la France envers le peuple tibétain »
Si le rôle de ce dernier ne fait plus de doute, une autre question se pose : le président français a-t-il pris lui-même la décision d’accueillir les petits Tibétains ? Il est en tout cas très probable qu’il l’ait approuvée. Au moment où les vingt débarquent en France, lui et le dalaï-lama s’écrivent depuis plusieurs mois.En 1961, le Tibétain sollicite son appui à l’ONU. En retour, de Gaulle l’assure de « la sympathie de la France envers le peuple tibétain que, de toute évidence, les occupants traitent au mépris des droits de l’homme et de la liberté de pratique religieuse ». En septembre 1962, le dalaï-lama fait parvenir ses mémoires au général. Il le remerciera par courrier.L’État français pourvoit aux besoin des enfantsPourquoi de Gaulle aurait-il dit oui ? Par empathie pour un chef qui, comme lui à Londres vingt ans plus tôt, cherche à mobiliser un peuple par temps de guerre et depuis l’exil ? Pour imiter la Suisse et le Danemark, qui reçoivent à l’époque des enfants tibétains ? Reste que la méthode française sera singulière. Ailleurs, l’accueil relève le plus souvent d’initiatives privées. En France, l’État gère le dossier. Il pourvoit aux besoins des enfants (logement, habillement…), les dote d’une carte de « réfugié apatride d’origine indéterminée » et leur accorde le statut de pupille. Un cas quasi unique. - Citation :
- « M. Ortoli et le Quai d’Orsay avaient pensé que, venant des montagnes, nous devions être dans un environnement montagneux »
Ce choix n’empêchera pas de Gaulle de reconnaître la Chine communiste avec le Tibet dans ses frontières. En 1964, soit deux ans après l’arrivée du groupe d’Orly. Trahison ? Abandon des vingt ? Ni ces derniers ni Dagpo Rimpotché ne s’indignent. « De Gaulle voyait loin, assure le lama. Certes, il a reconnu la Chine en 1964, mais c’était objectif. Elle était déjà très peuplée. » Une acceptation qui tient peut-être au détachement, vertu bouddhique par excellence. À la reconnaissance, aussi, envers l’État français qui, malgré son penchant chinois, pourvoira aux besoins des enfants.Leur tour de France commence par trois années à La Coûme, dans les Pyrénées-Orientales, après quelques nuits à Paris – « dans des draps blancs, chacun dans un lit ! », s’émerveille encore Gemella. Caché au fond d’une vallée, l’établissement occupe un vaste terrain jonché de maquis et doté d’un bois. Le choix de ce bout du monde ne doit rien au hasard. « M. Ortoli et le Quai d’Orsay avaient pensé que, venant des montagnes, nous devions être dans un environnement montagneux », explique M. Norgay, l’ancien tuteur, dans son appartement des environs de Bienne, en Suisse.Pasang Memmishofer, l’une des « vingt », prise en photo dans son village suisse de Birmenstorf, en Suisse, le 23 juin 2020. / N. Ackermann/Lundi13 Pour La Croix L’HebdoLa Coûme, c’est une sorte de foyer qui a d’abord accueilli des petits Espagnols chassés par la guerre, puis des enfants souffrant de problèmes psychologiques et familiaux. Sa pédagogie vise l’autonomie sur tous les plans. « Il est bien de garnir le cerveau, mais il faut aussi habituer la main », résume Monique Bétoin, 86 ans, qui y travaillait à l’époque.Cueillette, lessive, balai…, les vingt ne chôment jamais. Chaque jour, on parle une langue différente à table. Allemand, anglais… Déroutant pour les petits Tibétains, tout juste familiarisés avec le français. C’en est trop pour le tuteur. « Sa Sainteté avait envoyé les enfants pour faire des études, pas pour travailler », tranche le vieil homme, la voix fatiguée.Fidélité à la langue tibétaineEn plus du cursus scolaire français, les enfants doivent suivre un programme tibétain. « J’avais un plan pour les faire travailler avant et après la journée à l’école française, pour leur inculquer la pensée bouddhique, la culture et l’histoire tibétaines », explique M. Norgay, avant de désigner, au mur de son salon, une photo dédicacée du dalaï-lama riant aux éclats. Un cadeau pour les 90 ans du tuteur, qui précise : « Lorsque Sa Sainteté vient en Suisse, elle demande toujours à me voir en privé. »Quand il part pour l’Hexagone, il y a près de soixante ans, l’enseignant se charge d’ouvrages tibétains de référence en poésie, histoire, politique… Haut fonctionnaire et patriote dans l’âme, il respectera à la lettre la mission du dalaï-lama : « Former une élite guidant le peuple. » Des mots que M. Norgay prononce en tibétain. Resté fidèle à sa langue comme à son vieil espoir d’un Tibet libéré, il ne parle pas français malgré les années. - Citation :
- Les « vingt » sont ensuite accueillis à Chambon-sur-Lignon par le pasteur Leenhardt, Juste parmi les nations
J ugeant le rythme de La Coûme trop soutenu, ce dernier le fait savoir. L’administration se met alors en quête d’un nouveau toit pour la bande. En juin 1965, elle quitte les Pyrénées-Orientales et passe l’été au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. Le pasteur Leenhardt, à la tête du Collège cévenol, accueille les gamins. Il perpétue l’engagement qui l’a conduit, pendant la guerre, à protéger des enfants juifs et lui vaudra le titre posthume de Juste parmi les nations. Passang, Jigme et toute la « fratrie » habitent une ferme. Parfois, ils descendent se rafraîchir dans le Lignon.Un vélo est envoyé à chacun des enfantsLa parenthèse bucolique se referme en septembre. Durant l’été, des courriers ont circulé entre la Cimade, association d’aide aux réfugiés, l’éducation nationale, le Quai d’Orsay… Il faut trouver un point de chute aux réfugiés du toit du monde d’ici à la rentrée. Ce sera Bléneau, bourg de 1 500 habitants dans l’Yonne, en raison de la proximité d’une lamaserie. Un car des Rapides de Bourgogne y déposera la troupe juste à temps pour la rentrée. Celle-ci se déroule sans accroc. Les enfants trouvent leurs marques sur les bords du Loing. « On ne devait plus faire la cuisine, se souvient Passang. Et puis on est allés à Paris, voir Peter Pan au cinéma et visiter la tour Eiffel. »Qui, côté français, veille sur ces réfugiés sans famille, mais ni orphelins ni placés en foyer ? À la mairie de Bléneau, des archives l’attestent : une fois la venue des enfants décidée au sommet, les services de l’État ont pris le relais. La Ddass, la préfecture de l’Yonne et la municipalité assurent au quotidien l’engagement français. Il y a aussi les bonnes volontés. André Rouverand, administrateur de la Cimade, s’enquiert du sort des jeunes adolescents. - Citation :
- Dans l’Yonne, la communauté «tente de concilier Bouddha et Johnny Hallyday », selon la presse locale
Au Quai d’Orsay, une certaine Lucie Masbrenier en fait ses protégés. Un jour, elle envoie un vélo à chacun. M. Norgay, lui, a droit à un Solex. Chaque mois, les tuteurs reçoivent 4 000 francs de l’époque de la part du Quai d’Orsay (2 000 francs chacun) et les vingt, un peu d’argent de poche. Deux fois par an, ils choisissent leurs vêtements dans les locaux de la Ddass, à Auxerre.« Leur adaptation à notre région et à nos habitudes semble parfaite maintenant », se félicite le maire de Bléneau, M. Touzeau, dans une lettre à l’automne 1966. La communauté, « qui tente de concilier Bouddha et Johnny Hallyday » selon la presse locale, joue parfois au foot avec les enfants du village. En septembre 1967, elle danse au rendez-vous international de folklore de Vichy et rafle le premier prix.Exil permanentLes gamins grandissent. En 1968, ils ont entre 10 et 15 ans. Ils ne peuvent alors ignorer qu’ils sont promis à un destin qu’ils n’ont pas choisi. En toute occasion, le tuteur martèle leur mission : revenir un jour au Tibet. La rengaine les maintient dans une position d’éternels transitaires. « M. Norgay nous a tellement conditionnés à rentrer que notre esprit n’était pas posé en France », explique Jigme.Queue-de-cheval et veste polaire, Jigme hésite d’abord à poursuivre sur l’éventuel malaise de cette enfance délocalisée au nom d’une cause négligée. Surtout, ne pas critiquer. « Notre tuteur s’est sacrifié », justifie-t-il. Être accueilli en France, quelle chance… Mais peu à peu, il consent à s’ouvrir et, par un après-midi d’hiver, explore ses jeunes années dans une antichambre de la pagode du bois de Vincennes, à Paris. Il vit juste à côté.Jigme Dordje, l'un des « Tibetains de la République », dans la Grande Pagode Boudhiste du bois de Vincennes, où il réside. / B. ARBESU pour La Croix L’HebdoCette double éducation a pesé sur Jigme. « Le matin, on se levait à six heures et le soir, on se couchait à dix, il n’y avait pas de place pour les loisirs, raconte-t-il, la voix un peu sourde. M. et Mme Norgay nous inculquaient les bases du bouddhisme, la compassion, le détachement… À l’école française, c’était l’inverse. » Un entre-deux dont Jigme se contentera longtemps. À sa majorité, il peut prendre la nationalité française mais préfère conserver une carte de séjour. Plus tard, il changera d’avis. « À un moment, on coupe la poire en deux. » - Citation :
- Après l’abandon par le dalaï-lama de son projet, M. Norgay se dit « un peu déçu »
Jusqu’à quand les vingt ont-ils cru à leur destin au Tibet ? En 1972, ils s’envolent pour Dharamsala avec leurs tuteurs, afin d’y rencontrer leurs familles. Le dalaï-lama, qui les reçoit, a renoncé à son projet. « Je voulais faire le point, savoir si le gouvernement en exil avait besoin des enfants, se souvient M. Norgay. On m’a dit non, à part quelques traducteurs, et qu’ils pouvaient donc rentrer en France et faire les études de leur choix. » Déconvenue pour le tuteur, qui s’autorise une rare critique. « J’étais un peu déçu. »Les « vingt » accueillis à Valpré, près de LyonJigme n’en tient pas rigueur à Sa Sainteté. «Il a été pragmatique. » À l’époque, Pékin s’applique à mettre en œuvre la révolution culturelle au Tibet. L’horizon d’une libération s’éloigne… Ugen l’avait pressenti : « Il y avait eu la reconnaissance de la Chine, puis Mai 68. Notre cher de Gaulle était vacillant. Il était clair que nous ne serions pas des fonctionnaires d’un État tibétain en tant que tel. »Mais encore une fois, le monde ne s’écroule pas pour ces âmes qui croient au karma. Les vingt et leurs tuteurs rentrent en France et, le collège fini, quittent Bléneau, dépourvu de lycée. Écully, commune limitrophe de Lyon, sera leur nouveau point de chute. Ils y sont hébergés à Valpré, domaine détenu par la congrégation des augustins de l’Assomption (propriétaire de Bayard Presse, éditeur de La Croix L’Hebdo). À l’époque, il accueille des groupes associatifs et confessionnels, surtout chrétiens, depuis quelques années. - Citation :
- « Ils nous avaient laissé un coin pour notre pratique dans la chapelle »
Les pensionnaires bouddhistes sortent du lot, mais un modus vivendi se met en place. « Ils nous avaient laissé un coin pour notre pratique dans la chapelle, se souvient Jigme. Ils ont accueilli ce que nous étions. » Parfois, on se taquine. « On lançait de petites vannes sur le concept de dieu, car dans notre croyance, il n’y en a pas », poursuit Jigme. Mais les rapports ont leurs limites. « C’était plus une juxtaposition qu’une intégration », rapporte le père Claude Maréchal, ancien supérieur général de la congrégation.L’aide de l’État s’arrête à la majorité des vingt enfantsÀ l’époque, le père Christian Delorme n’a pas 30 ans, il est chef scout à Lyon et rencontre quelques-uns des vingt par l’intermédiaire de l’aumônier de leur lycée. Leur souvenir enthousiasme encore ce héraut du dialogue interreligieux : « On était dans le souffle de l’après-Vatican II, il y avait un autel de Bouddha dans la chapelle de Valpré ! » En 1982, il crée avec certains d’entre eux l’association Amitiés franco-tibétaines et conduit sa 4L jusqu’à Digne-les-Bains, où il rencontre le dalaï-lama dans la maison de l’exploratrice Alexandra David-Néel.Le P. Christian Delorme rencontre quelques-uns des vingt alors qu’ils sont accueillis à Valpré, près de Lyon. / C. MERCIER/CIRICD’autres causes happeront l’organisateur de la « marche des beurs », qui n’a pourtant rien oublié des vingt. « Ils vivaient en symbiose avec leurs tuteurs, mais il était visible qu’ils ne deviendraient pas ce pourquoi ils étaient programmés», se souvient-il.En effet… À leur majorité, l’Hexagone cessera comme prévu d’apporter son soutien administratif et financier aux vingt. Certains poursuivront des études à leurs frais. Ils ne seront pas les cadres d’un Tibet libéré mais secrétaire, assistante sociale, travailleront dans un laboratoire, trouveront un petit boulot… - Citation :
- « Dans le bouddhisme, il n’y a pas cette histoire de regret. Le passé, on ne peut pas le changer. »
Soixante ans après leur arrivée, les vingt ne se tiennent pourtant pas si loin des desseins de Sa Sainteté. À défaut de servir son pays sur place, Passang s’y est consacrée en Suisse en présidant la communauté tibétaine. En organisant des visites du dalaï-lama en Europe, Ugen, lui aussi, a œuvré pour sa patrie. Celle-ci emplit le quotidien de Jigme, qui travaille pour le bureau du Tibet à Paris. Aucun d’entre eux ne se demande quelle aurait été sa vie s’il n’avait pas été choisi. « Dans le bouddhisme, il n’y a pas cette histoire de regret, explique Jigme. Le passé, on ne peut pas le changer. » Le bouddhisme, au nom duquel son destin a été bouleversé, l’a aussi sauvé. « Sans lui, confie-t-il, je ne sais pas où je serais. »https://www.la-croix.com/France/enfants-Dalai-Lama-projet-secret-entre-France-Tibet-2020-08-04-1201107711?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_content=20200805&utm_campaign=newsletter__crx_rel_edito&utm_term=2165&PMID=72594f97fde1658e57cb0e542c4b8ded
Merci chère Capucine,
Pour ton évocation de cet épisode peu connu de l'histoire du Tibet...
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