Une équipe lilloise a mis au point un modèle animal pour étudier les conséquences de l’infection par le SARS-CoV‑2 sur la composition du microbiote intestinal. Les travaux conduits grâce à ce modèle suggèrent qu’une dysbiose intestinale secondaire à l’infection modifie la sévérité de l’inflammation responsable des symptômes associés à la Covid-19.
La Covid-19 est une infection dont l’expression clinique est variable. Si la majorité des personnes infectées présentent une forme légère à modérée de la maladie, elles sont environ 15 % à développer une forme grave ou critique, qui peut notamment être associée à des complications cardiaques ou cérébrales. À ce jour, il est encore difficile de prédire quels sont les malades les plus exposés à ce risque. Un certain nombre d’essais cliniques suggèrent un lien entre des modifications du microbiote intestinal et la sévérité de la Covid-19. Mais ces études portent sur un faible nombre de patients et sont hétérogènes. De plus, des paramètres individuels (comme les traitements reçus) empêchent d’établir avec certitude un lien de causalité entre la qualité du microbiote des patients et la symptomatologie de leur maladie. Pour avancer, des études fondamentales et des expérimentations conduites sur des modèles précliniques sont indispensables. D’où la démarche entreprise par François Trottein* et son équipe de Lille, en étroite collaboration avec celle de Harry Sokol** à Paris.
« On parle beaucoup de l’axe intestin-cerveau, mais l’axe intestin-poumon joue un rôle tout aussi déterminant », souligne François Trottein. L’interaction entre le microbiote et son hôte est bien connue pour influencer de nombreuses fonctions physiologiques comme la digestion, le métabolisme, l’intégrité de la barrière intestinale, ou encore le bon fonctionnement immunitaire. Par ailleurs, « il existe de plus en plus de preuves de l’influence du microbiote intestinal sur l’immunité pulmonaire, poursuit le chercheur. Dans des travaux antérieurs, nous avons par exemple montré que le virus de la grippe conduit à un déséquilibre de la flore intestinale, ou dysbiose, qui peut lui-même modifier le risque de surinfections d’origine bactérienne. L’objectif du travail conduit ici visait à évaluer si des mécanismes comparables survenaient avec le SARS-CoV‑2 ».
Des courbes de dysbiose et de biomarqueurs inflammatoires parallèles
Les chercheurs ont choisi de travailler avec le modèle du hamster, pertinent pour l’étude de la Covid-19. Dans celui-ci, l’infection par le SARS-CoV‑2 entraîne une altération de la composition du microbiote intestinal. Certaines bactéries comme les Enterobacteriaceae et les Desulfovibrionaceae sont plus abondantes, tandis que d’autres, comme les Ruminococcaceae et les Lachnospiraceae deviennent plus rares par rapport à ce qu’on observe chez des hamsters sains. « La cinétique d’évolution de ces bactéries est corrélée à certains biomarqueurs de l’inflammation, mais aussi à la sévérité des symptômes de la Covid-19 », rapporte François Trottein. Ces résultats corroborent et confortent les observations faites chez l’humain.
Par ailleurs, certains des microorganismes intestinaux dont la présence se raréfie durant la Covid-19 sont connus pour produire des acides gras à chaîne courtes (AGCC) : ces composés ont un rôle important pour le bon fonctionnement intestinal et bien d’autres fonctions. Les chercheurs ont donc voulu savoir si un apport en AGCC pouvait améliorer les symptômes des hamsters. « Cette supplémentation n’a pas eu d’effet sur l’infection. Mais considérant la richesse incroyable de notre microbiote et des métabolites qu’il produit, ce résultat négatif n’écarte pas l’éventuel intérêt de certains prébiotiques. »
François Trottein souhaite continuer à explorer les liens entre le microbiote intestinal et la dysbiose chez le hamster. Il veut notamment évaluer si la dysbiose, une anomalie plus fréquente chez les personnes obèses et/ou âgées, peut expliquer (au moins en partie) pourquoi elles ont plus de risque de développer une forme plus grave de Covid-19. « Nous avons mis au point des modèles spécifiques pour étudier cette question. » Le chercheur envisage aussi d’expérimenter le transfert de flore fécale, depuis un animal infecté vers un animal sain, pour savoir si cette flore peut engendrer des troubles à distance, au niveau pulmonaire par exemple. « Il est possible que des bactéries pathogènes émergent au cours de l’infection et participent à la sévérité de la maladie. » Si ces travaux permettent d’identifier une souche particulièrement importante pour maintenir le bon fonctionnement intestinal, il sera alors possible d’envisager des essais de prévention.
Notes :
*unité 1019 Inserm/CNRS/Institut Pasteur de Lille/Université de Lille/CHU de Lille, équipe Grippe, immunité et métabolisme, Centre d’infection et immunité de Lille (CIIL)
**unité 938 Inserm/Sorbonne Université, Centre de recherche Saint-Antoine, Paris
Source : V Sencio et coll. Alteration of the gut microbiota following SARS-CoV‑2 infection correlates with disease severity in hamsters. Gut Microbes, édition en ligne du 29 décembre 2021. Doi : 10.1080/19490976.2021.2018900