« Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère
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Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7544 Pays : FranceR E L I G I O N : catholique
Sujet: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:21 am
« Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère
Se retirer quelques jours hors des rythmes quotidiens pour prendre le temps de faire le point. Sur sa vie, ses doutes, sa foi. Poser son regard et ses mots pour mieux se laisser libre d’aller à la rencontre. Récit au jour le jour de l’expérience intime d’une première retraite spirituelle à l’abbaye Saint-Guénolé de Landévennec, dans le Finistère.
Pourquoi nous l’avons fait
Faire une pause. Se retirer pour mieux se retrouver. En ces temps de crises où nous sommes contraints de ralentir et de moins consommer, quoi de mieux qu’une retraite spirituelle pour reprendre l’initiative et savourer un nouveau rythme ? Mais comment témoigner de ce qui se passe lors de ces moments et des bousculements qu’ils provoquent ? Il y a déjà eu tant d’articles décrivant le déroulement d’un séjour au monastère. Et tant de nos lecteurs connaissent déjà cette expérience… Il fallait prendre un risque. Celui d’un récit croisé et intime, à la première personne, porté par les regards du journaliste-poète et du photographe que nous sommes. C’était, pour tous les deux, même prénom et même âge, notre toute première retraite, réalisée dans le même lieu à quelques jours d’intervalle, mais sans s’être mis d’accord sur ce qui en ressortirait. Ceci n’est donc pas un reportage. Pas de descriptions précises, pas d’interviews au long cours, pas de thèses étayées. Nous avons seulement essayé de capter au plus juste ce que nous ressentions et de le transmettre en mots et en images. De l’intérieur.
Les auteurs
Né en 1975, Stéphane Bataillon est journaliste et poète. Il vit à Montreuil. Grand reporter à La Croix L’Hebdo, ses recueils de poésie, Où nos ombres s’épousent, Les Terres rares et Contre la nuit, sont publiés aux Éditions Bruno Doucey.
Né en 1976, Stéphane Lavoué est photographe, prix Nièpce 2018. Il est installé dans le Finistère. Parmi ses nombreux travaux, il a réalisé les portraits officiels de la troupe de la Comédie-Française en 2015, puis en 2022. Ses deux derniers livres parus : Les Enchanteurs (Éditions 77) et Gant[t] (Filigranes).
Je pars faire une retraite. C’est la toute première fois.
Stéphane Lavoué, photographe : « Le chemin qui mène des chambres de l’hôtellerie des retraitants au monastère : église, réfectoire et zone de vie des moines. Je l’emprunte plusieurs fois par jour, mon appareil sur trépied, le trépied sur l’épaule. C’est un peu mon chemin de croix, si je puis dire… »
À l’annonce de mon projet, ma femme, après quelques secondes de silence, m’a dit : « D’accord, mais tu reviens ! » Elle me connaît bien.J’ai toujours rêvé d’être dans le retrait des moines. Notre appartement, en banlieue parisienne, est d’ailleurs disposé un peu comme un monastère : retiré de la rue et tournant autour d’un jardin intérieur. Ma bibliothèque regorge des textes des voies spirituelles de l’humanité. Ils sont la source de mes poèmes. J’aimerais passer ma vie à lire tout ce qui a trait à la formulation par l’homme d’une transcendance possible.
Au téléphone, frère Gilles m’a dit de bien me couvrir. Qu’il commence à faire froid. J’ai rencontré le frère Gilles Baudry dans un colloque littéraire l’année dernière. Une amitié est née. Il est chantre à l’abbaye Saint-Guénolé de Landévennec, dans le Finistère, où je vais me rendre, et poète comme moi. « Tu sais, me dit-il, les gens s’imaginent beaucoup de choses. Nous avons une vie finalement très simple, et nous ne serons bientôt plus qu’une douzaine de moines. Il est loin le temps où l’abbaye était pleine. »
Il n’y aura pas d’accès Internet dans les chambres. Je décide de n’emporter mon ordinateur que pour écrire et de n’utiliser mon portable qu’une fois par jour, pour appeler ma femme et mon fils. Se couper des routines, des likes sur les réseaux, des messages SMS, des mails auxquels on se sent coupable de ne pas répondre… Un défi en soi. Alors, se retirer Pour retrouver un calme qui lui, saura y faire
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:27 am
PREMIER JOUR
Lundi 23 janvier
Stéphane Lavoué : « C’est la toute première photo que j’ai faite, au moment où j’ai ouvert la porte de ma chambre. Je tenais à faire cette image, comme un marqueur de temps, le point de la retraite. Je sais dans quel état j’y rentre. Je ne sais pas comment j’en sortirai. »
C’est l’heure du départ. J’ai un peu peur. De m’ennuyer. D’avoir faim. Surtout d’avoir froid. Six pulls devraient suffire. Le train a 55 minutes de retard. En attendant, je tombe sur un test de numérologie dans un magazine féminin. En additionnant par un savant calcul lettres de mon prénom, date de ma naissance et nombre de l’année 2023, je découvre, ébaubi, le chiffre de mon « année personnelle » et celui « de maturité », deux sept. Avec ce commentaire : « L’heure est venue de ralentir et de prendre un retour à soi nécessaire. À l’agitation, vous préférez le silence et la solitude. Vous méditez. (…) Vous cherchez la vérité à travers la contemplation du monde, l’observation d’autrui, c’est votre manière à vous de percer les secrets de l’univers. » Les astres, on dirait, sont avec moi. C’est déjà ça.
Cette retraite est un vieux rêve né dans la tragédie. Celle de la mort de ma première épouse, à 30 ans. Il y a déjà seize ans. Une trop longue maladie. Après son décès, je n’avais plus que ce seul désir : partir. Volontairement. Pour goûter un silence autre que celui des chambres d’hôpital devenu notre quotidien durant les trois années précédentes. Je voulais me retirer au-delà de ce silence qui criait trop fort. Je me disais que le seul lieu qui pouvait l’étouffer était un monastère. Mais je n’ai pas pu m’y rendre. Trop de choses à régler, un travail à reprendre. Pourtant, ce désir ne m’a jamais quitté.
Dans le train, je mesure la gravité de mon addiction aux réseaux sociaux. J’ai supprimé la quasi-totalité des applications de mon smartphone, mais j’ai du mal à ne pas sortir machinalement le téléphone toutes les deux minutes. Je me surprends à réinstaller Instagram avant d’arriver à Brest et me retiens de poster quelque chose. J’ai beau jeu de tenir des grands discours sur la nocivité du portable à notre fils de 11 ans qui, entré en sixième, nous tanne pour en avoir un.
Je prends un car puis un taxi pour arriver à l’abbaye. Un ciel rougeoyant éclaire la route de Crozon. Mais la nuit tombe très vite. Le taxi me dépose à 18 h 42 à l’entrée du domaine. Tout est éteint. Je vais où ? « Ah mais il n’y a plus personne, tout est fermé à cette heure-ci ! m’explique le chauffeur. C’est l’heure des vêpres, ils sont tous dans l’église, en bas. » Ah ? Et je fais quoi ? « Ben descendez et attendez, les moines vont bien finir par sortir ! »
Je reste seul. Il fait très froid. Dans un paysage qui doit être sublime mais dont je ne vois rien. En contrebas, l’église est bien allumée. J’imagine entrer en plein office et l’interrompre, m’affalant de tout mon long devant mes hôtes avec mon gros sac à dos, tel un Gaston Lagaffe en vadrouille. J’ouvre sans bruit une porte donnant sur un grand hall plongé dans l’obscurité. À peine le temps de la refermer qu’une, puis deux personnes s’avancent vers moi, l’air surpris. Ils sont arrivés dans l’après-midi pour la même chose que moi. Il y a François, chirurgien-dentiste venu quelques jours pour couper d’avec le rythme de sa vie, et Jehan, un jeune pèlerin de 25 ans qui s’arrête dormir ici après un mois de marche en Bretagne, ne sachant pas ce qu’il fera demain. Une habituée des lieux nous conduit dans l’une des deux salles à manger réservées aux retraitants.
Nous attendons en silence. Il n’y a pour se distraire que quelques CD de chants de Taizé et les derniers numéros de La Croix L’Hebdo posés en pile. Saine lecture ! Jehan sort un petit carnet et se met à écrire. Je l’envie. Mais je me suis fixé une règle stricte : ne prendre des notes que le soir, après complies, le dernier office. Soudain, j’aperçois le regard souriant de frère Gilles dans l’entrée. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre. « Viens, viens, prends tes affaires », me dit-il.
Nous nous rendons dans une petite salle, appelée la cafétéria. Frère Gilles me parle de l’histoire de l’abbaye, l’une des plus vieilles de France, bâtie au Ve siècle, des attaques vikings, de saint Guénolé, patron du lieu d’origine galloise célébré jusqu’en Angleterre, de Messiaen, du chant grégorien, de l’écroulement des vocations en Occident. Un tourbillon joyeux et cultivé qui m’enchante. Mais il est l’heure d’aller dîner en compagnie des autres moines.
La salle du réfectoire est grande, la petite dizaine de moines présents est répartie sur deux tables. Les retraitants que nous sommes sur une troisième. Un bénédicité résonne en chœur. Je n’ai pas eu souvent l’occasion de l’entendre mais j’aime cette idée de rendre grâce à ce qui a surgi de la terre, a été préparé, a été servi. Certes, la prière s’adresse à Dieu, mais aussi à toute la chaîne de liens nécessaires, du cultivateur à l’homme qui nous sert. Ce très court temps de gratitude est beau et précieux.
Le repas se fait en silence. Seuls des sourires et des mercis du bout des lèvres lorsque l’on se sert mutuellement créent le contact entre nous. Ce silence pourrait être pesant. Il ne l’est pas. Tout au long du service, un des frères lit à voix haute la suite d’une biographie de Louis Massignon (islamologue catholique français, 1883-1962) et sa rencontre avec la non-violence de Gandhi. Cette lecture a débuté il y a plusieurs jours, comme un feuilleton quotidien. J’essaie de suivre, les yeux concentrés sur mon assiette. Au menu, du simple mais roboratif : soupe de légumes et pain légèrement sec pour l’y tremper, ce que font mes camarades avec un naturel qui m’intrigue, chou-pommes de terre et fromage fondu, dont le plat disparaît avant que n’ait été avalée la première bouchée, munster, cidre et kiwi. Un petit bruit de cloche marque la fin de ce repas expéditif. Quinze minutes chrono. Tout le monde se lève et part après avoir posé son assiette sur une grande cantine. Pas le temps de s’éterniser ou de trop manger, « car jamais le moine ne doit se laisser surprendre par l’indigestion », selon le chapitre 39 de la Règle de saint Benoît, le texte du VIe siècle qui organise toute la vie du monastère.
Frère Gilles me montre ma chambre. Il fait 14 ˚C mais elle est beaucoup plus spacieuse que ce à quoi je m’attendais. Un bureau avec une Bible de Jérusalem, une grande armoire, un évier séparé et une baie vitrée. « Il y a une belle vue… quand il n’y a pas de brouillard ! » me lance-t-il. Nous sommes bien en Bretagne.
C’est déjà l’heure des complies. Ici, le temps est rythmé par la liturgie des heures.
Six offices, répartis d’avant l’aurore à l’aube, des vigiles aux complies avec deux temps majeurs : les laudes à 8 heures et les vêpres à 18 h 15.
Les complies sont le dernier office pour célébrer l’entrée dans la nuit. À la porte de l’église, les textes de l’office sont à disposition. Je m’avance doucement.
Quelques retraitants sont déjà là. En cette période de l’année, nous ne sommes pas très nombreux. D’autant plus que l’abbaye vient tout juste de rouvrir après une trêve.
Les moines sont loin devant nous, derrière un magnifique sanctuaire en granit sur lequel est posé un autel qui me bouche presque toute la vue. Les complies ne durent qu’une dizaine de minutes. Le temps de chanter quelques hymnes et psaumes. Je me rends compte que je ne sais plus dans quel sens on fait le signe de croix. Pourtant, j’aime ce mouvement qui marque la prise en compte des deux axes reliant le Créateur à son incarnation. Je me trompe deux fois. J’observe les moines. C’est bon, je crois que j’ai compris. Il faut que je passe de la théorie à la pratique, faire jouer les gestes, les sentir opérer. Se relier, aussi, à son corps. Vais-je y arriver ? Dans le doute, j’ai emporté avec moi un livre de qi gong.
Un moine s’en va avant les autres pour sonner les cloches. Un long moment de silence envahit le chœur. Le silence de la nuit. C’est beau. Je me balance lentement, comme un roseau. Un va-et-vient lent qui est le mouvement premier, et discret, d’une certaine harmonie. La dernière cloche sonne, au loin. Nous sortons en silence, je regagne ma chambre. J’écris quelques lignes et me blottis dans mon sac de couchage. J’ai décidé de vivre cette retraite le plus complètement possible, en assistant à tous les offices Je règle le réveil pour les vigiles, à 5 h 20 du matin. Je sais que ça va être dur, mais le nom de ce premier rendez-vous m’enchante : les vigiles. Être attentif aux moindres bruits, veillant et accueillant le nouveau jour. J’en frissonne.
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:30 am
JOUR 2
Mardi 24 janvier
Stéphane Lavoué : « Le premier office auquel j’assiste, les vêpres, quelques minutes après avoir pris possession de ma chambre, me bouleverse : l’entrée des moines en robe noire, l’un après l’autre, autour du chœur, est d’une beauté saisissante. »
J’ai eu froid toute la nuit malgré un duvet chaud et deux couvertures, mais le réveil, programmé à 5 heures, n’a pas été aussi difficile que prévu. Je me rends dans l’église. Je suis seul. Je suis pourtant pile à l’heure. L’un des moines entre et me fait signe de le suivre : « Vous vous êtes trompé de salle, heureusement que j’ai vu la lumière ! » Il m’emmène près du réfectoire, dans une salle plus petite. Nous ne sommes que deux retraitants. Un moine baille. Aujourd’hui, on fête saint François de Sales. Tout au long de la journée, au cours des offices, nous parlerons de sa vie et de ses œuvres. Je retiens cette citation : « Il ne se présente pas souvent des occasions de pratiquer la force, la magnanimité, la magnificence ; mais la douceur, la tempérance, l’honnêteté et l’humilité sont de certaines vertus, desquelles toutes les actions de notre vie doivent être teintes. » À la sortie des vigiles, j’entends le bruit de l’océan. Je fais quelques pas seul dans le domaine, suivant les chemins balisés par les lanternes allumées. Je me sens bien.Néanmoins, je trahis la Règle de saint Benoît, qui interdit de se recoucher et me rendors jusqu’aux laudes de 8 heures.
Durant ce second office, je somnole. Je me laisse bercer par les psaumes qui s’enchaînent sans coupure pour accompagner le jour qui se lève. Comme un chant qui porterait le soleil. À un moment, les mots de la prière n’ont plus d’importance. Seul compte le mouvement de se laisser porter.
Le petit déjeuner, au cours duquel je fais facilement connaissance avec les autres retraitants, s’étire jusqu’à la messe à 11 h 15.
C’est l’office qui attire le plus de monde. Les moines ont troqué la robe de bure noire de leur ordre pour une robe blanche. Le soleil transperce les vitraux. L’Eucharistie arrive. Je reste en retrait. Je n’aime pas ce moment. Je n’ai jamais aimé ce moment. J’ai l’impression de sortir brutalement du jeu. Que l’on m’épie et qu’on me juge. Je me retrouve dans une insécurité que peu, autour de moi, comprennent : je ne peux pas communier. Une citation prononcée à l’instant résonne en moi « Il faut fleurir où Dieu nous a plantés. » Où suis-je planté ? Dans quelle culture ? Quelle religion ? Ma mère, de rite grec-catholique, et mon père, catholique (et ancien Petit Chanteur à la croix de bois), ne m’ont pas fait baptiser. Ce n’était plus au goût du jour après Mai 68. Avec beaucoup de ceux de leur génération, ils ont cessé de transmettre leur religion au nom de la liberté de choix. Je me souviens juste d’une confidence frappante de ma mère, vers mes 10 ans : « J’envie les gens qui ont la foi. »
Au collège, mon meilleur ami m’a fait découvrir le protestantisme réformé et m’a entraîné au groupe de jeunes de sa paroisse. J’y ai trouvé des amis formidables, mes amours, une approche de la religion sans trop de hiérarchie et un rapport au monde qui m’a tout de suite séduit.
Et même si, depuis de nombreuses années, nous n’allons plus à la paroisse, j’aime cette religion dépouillée, son esthétique, son éthique et, peut-être plus que tout, son rapport aux textes, prompt à creuser la Parole jusqu’au profond de soi. Mais ai-je le droit de me dire protestant ? Ma belle-famille, longue dynastie de pasteurs, balaie ces questions de leurs bras grands ouverts. Mais un procès en illégitimité me taraude.Je doute tellement de cette foi jamais acquise. De cette chaleur, qui parfois ne vient pas. De cette vibration qui parfois ne vibre pas. J’aimerais tellement m’assurer de cette appartenance. Peut-être pour rattraper le temps, ou terrasser le pire, en reprenant le fil. Librement.
Au déjeuner, une nouvelle lecture nous ravit. Il s’agit d’un livre de Timothy Radcliffe, Choisis la Vie ! Une introduction vivante et malicieuse à l’imaginaire chrétien, parue au Cerf. Avec Jehan, nous nous délectons dans un regard d’une citation du cardinal Newman : « Ne craignez pas que votre vie prenne fin, craignez plutôt qu’elle n’ait jamais de commencement. »
Je pars marcher en direction de la mer. À la vue du paysage que je surplombe en compagnie du soleil, je me dis que l’enclos, ici, n’est pas géographique. C’est le temps qui est cadré, tout à la fois quotidien et sacralisé. Il fait beau. Le soleil me réchauffe enfin. Au retour, je photographie, à l’entrée de l’abbaye, une belle croix en pierre, bercée de verdure et éclairée par un rayon de soleil tout droit sorti des légendes du roi Arthur. L’idée d’un poème me fait sortir le petit carnet que j’ai emporté, suivant l’exemple de Jehan :
Pas besoin de rose de cœur, de Christ En la Croix le point d’intersection suffit à m’envahir.
Dans ces lignes, suis-je enfin à ma place ? Durant chaque office, je remarque un temps de silence particulièrement long. Il n’est pas inscrit au programme. C’est le plus beau. Le plus libre. Le plus profond. J’ai bien fait de venir ici.
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:34 am
JOUR 3
Mercredi 25 janvier
Stéphane Lavoué : « Face à l’incompréhension que suscite souvent chez moi la lecture des psaumes, je me connecte aux offices grâce aux chants des moines. »
Je ne suis pas dedans, je suis à contretemps. À la différence d’hier, je me sens très loin des mots et des chants prononcés durant les laudes. À la sortie, Jehan fait la moue. Il n’a pas apprécié non plus l’office, lui qui vit dans une communauté non confessante, déployant une spiritualité imprégnée d’écologie. Ce jeune restaurateur et animateur d’un tiers lieu culturel dans la Creuse est révolté par les phrases violentes entendues dans les psaumes. Il n’adhère pas à ces paroles apparemment guerrières et violentes, à ces textes racontant la conversion soudaine et improbable de saint Paul, ancien bourreau, que l’on fête aujourd’hui.
François me propose une balade vers la mer. Il me raconte son rapport à la religion. Baptisé, scout, d’une famille très pratiquante, il a mis de la distance avec tout cet héritage. Il se retient de faire les gestes durant les offices. Il pense que l’universalité d’une essence divine est au-delà des rites et des formulations. Il a bien remarqué que je faisais le signe de croix de la main gauche et en sens inverse. Au téléphone, ma femme me rappellera, amusée, que les protestants réformés ne font jamais le signe de croix. Je me disais aussi ! Mon dernier culte remonte décidément à trop loin.
Toujours étonnamment à propos, l’extrait quotidien de Timothy Radcliffe aborde la poésie qui permet de s’élever au-dessus des constats raisonnables pour activer notre imagination. De ces vers qui peuvent nous retourner et déchirer, par leur charge, le voile épais du cœur, comme le propose l’hymne sur saint Paul chantée ce matin à la messe. Et si j’étais déjà ce moine-poète, retiré à l’écoute des bruits d’un monde ? Et s’il suffisait de rester en tension, entre deux, pour sentir cette énergie qui circule et apaise quand je compose mes vers ?
Je me mets à rêver à cette éventualité en dégustant un verre de cidre. C’est la boisson unique, servie à tous les repas. La bolée des korrigans, assez légère pour prendre en traître si on ne se tempère pas. None. De 14 heures à 14 h 10. J’aime la brièveté de cet office. Pas la mélodie de la messe, mais une note, une étincelle dans la journée pour annoncer l’après-midi. Le ciel s’éclaircit, il fait presque doux. Je ressens le besoin de toucher les arbres et les plantes du jardin, pour retrouver un peu de matérialité.
Jehan est resté une nuit de plus que prévu. Mais il est l’heure de partir. Il n’a pour tout bagage qu’un minuscule sac à dos. Juste un change et deux slips qu’il lave chaque soir avec du simple savon, et qui sèchent sur un radiateur. Moi qui ai amené deux sacs pleins à craquer de livres en ayant l’impression de me priver… 20 h 20. Un peu en avance pour complies, je regarde la belle crèche toujours installée au fond de l’église. Les Rois mages se pressent dans la grande étable. Le décor, bien qu’en carton-pâte, est réussi. Il me rappelle la chaleur de mon enfance.
Les vacances à écouter des contes de Noël sur les cassettes de la série Raconte-moi des histoires avec mon frère. Tous les enfants devraient avoir droit à ce merveilleux, même s’il prend d’autres formes selon les cultures et les croyances. L’office se conclut sur l’antienne à la Vierge Marie en latin. Je retiens les derniers mots de la journée : « Peccatorum miserere ». « Prends pitié de moi, Seigneur ». Ils rappellent la prière de JESUS récitée par le Pèlerin russe dans ses contes, un de mes livres préférés.
Et si cette retraite consistait à ouvrir, du matin au soir, les portes d’une grande bibliothèque de la Parole ? Mots et silences mêlés, tempérés par le sel de nos gestes. Dans la règle bénédictine, ce discernement mettant bruit et silence en harmonie parfaite porte le beau nom de discretio. Je m’endors sur lui. Au secret.
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:37 am
JOUR 4
Jeudi 26 janvier
Stéphane Lavoué : « Bien décidé à ritualiser aussi ma pratique, je photographie tous les soirs, en sortant du réfectoire,à la même heure, le fond de la rade de Brest que surplombe le monastère. Ici, le temps s’allonge aussi en photo : 128 secondes de temps de pose pour saisir ce clair de lune. »
Aujourd’hui, pas de fête particulière. Durant les laudes, j’entends un oiseau chanter. Je me demande d’où il peut venir. Les psaumes représentent 90 % du contenu des offices. Ils rappellent à chaque instant l’importance de l’écoute.Lorsque le psaume est chanté à deux voix, le respons ne vient pas avant la fin de l’écho. C’est une suspension d’un silence habité par la parole. C’est peut-être là, dans cette suspension habitée, ce vide plein, cet entre-deux, que se cache le secret de la présence. Une faille, infime espace d’infini.
Après le petit déjeuner, je sors pour jeter les miettes à l’extérieur. Elles seront pour les oiseaux.
Relié par l’essentiel le rouge-gorge s’approche de plus en plus de moi ou des miettes de pain.
J’entre dans la salle d’attente pour le repas avec une minute de retard. Germain aussi. Arrivé hier, cet homme imposant, fermier et entrepreneur, a connu un burn-out sévère. Depuis juillet dernier, il vient fréquemment ici pour se ressourcer et imaginer la suite de sa vie.
J’entends l’écho du bénédicité venant du réfectoire. Nous tentons une entrée discrète. Le regard réprobateur du frère hospitalier nous rappelle à l’ordre pour le reste du séjour. On ne plaisante pas avec une ponctualité dont le respect est ici la première et peut-être principale exigence.
Avec Germain et François, nous nous demandons ce que cette retraite va changer dans notre vie. Germain nous dit que c’est après la première retraite qu’il a pris la décision radicale de vendre ses affaires et de prendre sa vraie retraite pour retrouver de l’oxygène et du désir. François, sur le départ, a déjà quelques idées en tête ; la lecture de textes pendant les repas, notamment, l’a enchanté, au point de vouloir essayer d’en faire un rituel quotidien.
Pour ma part, je suis au milieu de mon séjour et un constat s’impose : impossible de devenir moine en sept jours ! J’ai raté les deux précédentes vigiles, je parle une bonne partie de la journée et je me mets à écrire à mes moments de pause, tant les idées me viennent. Je repense à cette phrase de John Lennon, cité par Radcliffe : « La vie, c’est ce qui arrive quand vous aviez prévu autre chose. »
Il y a une petite croix en bois accrochée au- dessus du bureau de ma chambre, là où j’écris. Une petite croix toute simple, sans Christ. Cela me convient parfaitement. J’aime voir en JESUS un prophète témoignant de la force d’une spiritualité d’amour et de liberté au cœur d’une humanité imparfaite. Mais j’ai du mal avec l’idée d’un « JESUS fils de Dieu » qui dépasserait la portée symbolique et qui me semble, par moments, relever d’une forme d’idolâtrie. C’est l’une des questions, sûrement naïves mais réelles, qui m’ont, jusqu’ici, empêché de demander le baptême. Dans l’après-midi, je m’ouvre à frère Gilles de mes interrogations. « Mais le Christ, c’est Dieu ! », me répond-il avec un grand sourire.
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:39 am
JOUR 5
Vendredi 27 janvier
Stéphane Lavoué : « Frère Florent me fait visiter la petite maisonnée de pierre où sont conservées les pommes du verger. Il accepte que je réalise un portrait de lui. Pendant les quelques minutes de ce face-à-face silencieux, je ressens toute la force de son engagement et le poids de son ancrage. L’intensité particulière de ce moment photographique révèle le sens profond de ma vocation de photographe portraitiste. »
Ce matin, l’hymne donnée à l’entrée des laudes, écrite par frère Gilles, n’est bizarrement pas celle qui est chantée. Elle est pourtant très belle : « Celui qui marche à l’ombre de tes pas / Devient bientôt la route. » Est-ce que, si l’on n’y prend garde, toutes les paroles que nous pouvons entendre au cours d’une journée peuvent résonner ainsi avec ce que nous vivons ? À la sortie, il me prête un grand cahier noir où il note, depuis des années, ses citations préférées concernant JESUS. Il ne me dit rien de plus. C’est un très beau cadeau. Ce soir, je recopierai celles qui résonnent en moi. Transmission d’une parole sans échanger un mot.
Après l’Eucharistie, je m’assieds pour la première fois dans la chapelle, à gauche de l’autel. Encore un autre silence. Au fond, la lueur rouge d’une bougie. Un moine m’a dit que, récemment, des adolescents se demandant la fonction de cette lumière en ont déduit que cela devait être... une issue de secours ! Ils n’avaient peut-être pas tort. Il y a quelque chose de l’appel et de la miséricorde au centre de la liturgie qui se déploie ici. Pour beaucoup, l’occasion d’une retraite découle d’un coup dur de la vie, d’un sentiment de perte. De sens. De soi.
Frère Gilles me montre les plus vieux arbres du domaine. Ils semblent garder l’entrée d’un royaume imaginaire. En avons-nous franchi la porte ? Ici, Perceval n’est jamais loin. Nous entrons dans les ateliers où les fruits du verger attendent pour être transformés. En plus des pâtes de fruit, principale production de l’abbaye, une partie des pommes sert à la fabrication du cidre que nous buvons à table. Les nuages deviennent noirs. Un grand arc-en-ciel apparaît, avec ses deux extrémités qui emplissent le large panorama de la rade. Je suis émerveillé et pense au trésor censé être situé au pied de l’arc, image forte des contes de mon enfance. Peut-être le signe gravé d’une alliance possible.
Après les vêpres, la conversation s’engage vite avec Alix. À 20 ans, ses études de médecine lui laissant un répit, elle est venue sur un coup de tête pour le week-end. Très pratiquante, elle est fascinée par la figure de Carlo Acutis, jeune adolescent italien mort d’une leucémie en 2006, dont l’optimisme et la joie à dire l’Évangile lui ont valu le titre de bienheureux. Je lui raconte mon étonnement de la journée, à savoir qu’un moine ne sort que très peu du monastère, à peine deux ou trois fois dans l’année, et jamais pendant les six premières années de noviciat. « Mais nous aussi, nous ne sortons de nos vies pas beaucoup plus que ça dans l’année ! », répond-elle. Elle a raison. Ici, nous sommes avant tout des touristes intérieurs.
Une agitation fébrile s’empare du monastère. Ce soir, les 14 membres du conseil municipal de Landévennec et le maire de ce village de 300 habitants viennent prendre le repas et tout n’est pas encore prêt. Au dîner pris dans la salle commune, on nous sert un plat étrange, qui pourrait être une purée de marrons un peu fade, agrémentée de légumes. On m’a dit que certains frères de l’abbaye, vietnamiens, préparent avec cœur et minutie des plats de leur pays. Cela doit en être un bon exemple. À la sortie, je fais part de mon analyse gastronomique à Germain qui marque un temps de silence perplexe. « Mais c’était du far breton ! »
Capucine MODERATION
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Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:40 am
JOUR 6
Samedi 28 janvier
Stéphane Lavoué : « À cette période de l’année, les rayons du soleil, rasant, traversent parfaitement les vitraux de l’église. Du matin au soir, j’observe cette “poursuite” lumineuse accompagner les offices. Tantôt pointée sur les moines, tantôt braquée sur le Christ ou sur les bancs des fidèles. »
Un mot revient sans cesse depuis quelques jours, dans les psaumes, les hymnes, les lectures et les discussions : celui de miséricorde. Je me rends compte que je n’en ai qu’une idée vague, comme un sentiment d’amour mêlé de pitié. Dans la salle de bibliothèque du pavillon, je lis les trois belles pages consacrées à ce mot dans le Vocabulaire de théologie biblique : une ouverture à l’autre qui passe, d’abord, par la reconnaissance de nos propres failles, de ce que nous n’avons pas pu réussir. Une brisure du cœur pour oser la confiance. En si grande résonance avec ces quelques jours. Pas de Radcliffe au déjeuner aujourd’hui. Le samedi, c’est la revue de presse : quatre éditoriaux tirés de Ouest-France et de La Croix. Réforme des retraites, intelligence artificielle ou troubles au Burkina Faso... cette recension sélective du fil de la semaine est une bonne solution contre la fatigue informationnelle. C’est au tour de Germain de partir. Il rentre rejoindre son fils. J’angoisse un peu de me retrouver seul. Mais ma petite voix me dit de ne plus m’inquiéter. De faire confiance à ce qui fonctionne depuis mon arrivée ici : écouter, marcher, sourire et laisser faire la rencontre.
Je veux voir le cimetière, où frère Gilles m’a dit que chaque moine reçoit un emblème personnalisé qui sera gravé sur la croix de sa tombe. En passant par l’accueil, je rencontre Karin, femme d’origine allemande vivant en Bretagne. C’est elle qui sculpte les croix. Quatre frères sont partis l’année dernière. Le travail sur ces tombes est pour elle comme un hommage. Ancienne orfèvre, elle s’est formée toute seule à ce type spécial de sculpture en ciment, dans les ateliers de l’abbaye. « Au début, c’était juste pour les moines, puis pour mes propres morts. Maintenant, c’est pour tous les morts que je les réalise. » Karin me raconte qu’elle aussi a perdu son mari, il y a trois ans. C’est lui qui l’avait poussé, une fois à la retraite, à se mettre à la photo. Elle me montre des clichés où il joue les modèles. Je suis très touché par la tendresse joyeuse avec laquelle elle parle de lui. Sa première exposition dans le musée de l’abbaye aura lieu prochainement.
Alix se joint à nous. Je lui propose de m’accompagner pour aller voir ce fameux cimetière, situé à quelques pas de l’entrée principale. Après quelques marches de pierres, un chemin de sous-bois mène dans une grande clairière où les tombes surmontées de croix sont disposées symétriquement. Les derniers partis sont sur la première ligne. Nous comparons les symboles gravés : là une ancre, là quatre cœurs, là un magnifique Triskel, croix celtique dynamique. Avoir rencontré Karin tout à l’heure ôte tout côté macabre à cette contemplation. L’endroit respire la paix.
Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7544 Pays : FranceR E L I G I O N : catholique
Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:43 am
JOUR 7
Dimanche 29 janvier
Stéphane Lavoué : « Au sommet de la butte qui protège l’abbaye des vents dominants, le cimetière des moines. Au pied de cette même butte, le cimetière des bateaux de la marine nationale. »
Au petit déjeuner, je rencontre Cassandre. La trentaine, elle accompagne des entrepreneurs sociaux dans des incubateurs et se pose la question d’accepter ou non le nouveau poste qu’on lui propose. Elle vient ici chaque année pour se ressourcer. Comme Jehan, elle écrit un journal sur de multiples cahiers, ce qui me donne envie de faire de même.
La messe est magnifique. Plus de cinquante personnes sont là. Si on m’avait dit avant de partir que j’assisterais à près de deux heures et demie d’offices par jour sans les voir passer, pas sûr que j’y aurais cru ! Le cadrage rigoureux du temps par les sept offices quotidiens permet de mieux goûter les moments vécus entre chaque temps de prière. Comme si chaque instant de notre existence se voyait distingué.
À l’heure du café, j’ai rendez-vous avec frère Jean-Michel, le père abbé du lieu depuis quinze ans. Il s’inquiète de la désaffection du christianisme en Occident face au dynamisme qu’il vient d’observer au Vietnam, d’où il revient tout juste et dont sont originaires trois moines de Saint-Guénolé. Face à ma satisfaction d’avoir passé cette semaine sans rien prévoir d’avance, il me rappelle le début de la Règle de saint Benoît : « Écoute, mon fils, et prête l’oreille de ton cœur. »« Il ne s’agit pas d’audition, mais d’accueil à l’autre. Se mettre à l’écoute permet de regarder l’autre en arrêtant de penser à soi. Si tout est planifié dans sa tête, on passe à côté de ce qu’est l’aventure de la vie. »
Je passe l’après-midi à me balader. Je me retrouve entre terre et mer, au cœur des arbres surplombant le rivage. Je pense à ma première femme. Aux derniers instants, à ce que j’ai construit à partir de son absence. La poésie, une nouvelle famille, un nouveau logis. J’essaie de lui parler en regardant une mouette se poser sur le sable détrempé. Je regarde le ciel. Je lui dis que j’espère qu’elle va bien. Où qu’elle soit. Que j’ai fait ce que j’ai pu. Pas tout seul. Je n’entends rien. Je ne ressens rien de plus. Rien d’autre que le bruissement d’un souffle ténu. Mais c’est suffisant. Des souvenirs joyeux de nos voyages remontent. Certains pour la première fois depuis des années. Je prends le temps de les laisser remonter à la surface. Les images et nos rires résonnent face au large. Je pense aussi à ma famille d’aujourd’hui, à tout cet amour qu’il m’est donné de vivre en sa compagnie. À tous ces autres souvenirs dont je n’ai pas encore la triste nostalgie. Je ferme les yeux. Un rayon de soleil me réchauffe comme jamais. J’appelle ma grand-mère, largement centenaire, pour savoir si tout va bien et lui dire que je passerai la voir la semaine prochaine. Son rire fait crier les mouettes.
Après le dîner, avec Alix et Cassandre, nous dissertons joyeusement sur les définitions des mots entendus durant la semaine : miséricorde, pardon. Je me retrouve dans l’émulation de mon adolescence lorsque je passais des nuits à refaire le monde au sein du groupe de jeunes de ma paroisse de Béthanie. Après complies, nous brisons la règle qui intime de ne plus parler après le dernier office. La discussion glisse sur la mort, sa préparation, les soins palliatifs, en échangeant nos expériences. Cela pourrait être triste, mais non. En parlant de la mort, nous parlons de la vie. Je cite la phrase de Romano Guardini recopiée dans le cahier prêté par frère Gilles : « Le christianisme, c’est la transcendance dans l’immanence. »« Eh bien c’est parfait, lance Cassandre. Ça fait deux mots compliqués pour finir la soirée ! » Trois rires fusent sous la lune.
Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7544 Pays : FranceR E L I G I O N : catholique
Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:45 am
DERNIER JOUR
Lundi 30 janvier
Stéphane Lavoué : « Cette image m’évoque la qualité du silence que j’ai ressenti tout au long de la retraite. Épais et rassurant. Nous sommes seuls, tous les deux dans l’église, immense. Quelques instants plus tard, le frère soufflera sur les bougies : fin de l’aventure ! »
Il est temps de partir. Après none, mon dernier office, je m’approche pour prendre la photo du Christ en croix qui devance l’autel. On le voit mieux de côté, décollé de sa croix, légèrement penché et les bras grands ouverts. Dans l’objectif, je me rends compte que sur le mur, une Vierge à l’Enfant le regarde tendrement. Ce point de vue me saisit. Le temps de la mort ne déborde plus.
Le taxi sera là dans un quart d’heure. Frère Gilles m’attend à l’entrée. Je lui rends son cahier, le remercie pour cette suspension qui a permis de clore et d’ouvrir quelque chose en moi. Peut-être ce « je-ne-sais-quoi qui se trouve d’aventure » dont parlait Jean de la Croix. J’ai toujours détesté les expressions « faire son deuil », « tourner la page ». Je préfère poursuivre.
Capucine MODERATION
Date d'inscription : 12/12/2011 Messages : 7544 Pays : FranceR E L I G I O N : catholique
Sujet: Re: « Ma première retraite spirituelle » : récit intime d’une semaine au monastère Ven 14 Avr 2023, 6:47 am
Épilogue
Un mois que ma retraite a pris fin. Pas évident de dire, sans exagération, sans volonté de résultat, ce qui reste de ce temps-là. Assurément, quelque chose a bougé. Une sérénité plus grande, un besoin de reconnaissance qui s’est apaisé. Un souci, plus présent qu’auparavant, de ne pas heurter l’autre avec des paroles à l’emporte-pièce. De prendre encore plus soin de notre langue commune. Avec l’assurance, sans cette culpabilité de ne jamais trop en faire pour l’extérieur, qu’elle se trouve là, ma forme d’engagement au monde.
Samedi dernier, au restaurant, j’ai annoncé à ma femme et à mon fils que j’allais franchir le pas. Demander le baptême. Une idée qui fait son chemin depuis deux ans, sans pression, en compagnie de mon ami pasteur (encore un Stéphane !).
Et tant pis si je ne comprends pas, si je ne maîtrise pas tout. Tant pis et heureusement.
Pour en savoir plus
Un livre
Ils ont fait une retraite spirituelle
Temple bouddhiste ou monastère, en pleine ville ou en plein désert… Avant de choisir où partir en retraite, seul ou en groupe, cet ouvrage vous fera partager 28 témoignages de retraitants d’horizons divers, qui ont tenté l’expérience. Un mode d’emploi d’une retraite réussie complète l’ensemble.
De Véronique Durand et Julie Quaillet, Éditions de La Martinière, 240 p., 15 €