St Pierre-Julien Eymard (1811-1868)
VI. L'Eucharistie est la vie des peuples.
L'amour du coeur se concentre; on l'emprisonne pour le rendre plus fort: on réunit ses rayons pour faire lentille, comme l'opticien travaille son verre afin de réunir en un seul point toute la chaleur et toute la lumière des rayons solaires. Notre-Seigneur se comprime donc dans le très petit espace de l'hostie ; et comme on allume un grand incendie en appliquant le foyer brillant d'une lentille sur des matières inflammables, ainsi l'Eucharistie fait jaillir ses flammes sur ceux qui y participent et les embrase d'un feu divin... Jésus a dit: « je suis venu apporter le feu sur la terre; tout mon désir est de voir ce feu embraser l'univers. » « Or, ce feu divin, c'est l'Eucharistie », dit saint Jean Chrysostome. Les incendiaires de ce feu eucharistique sont tous ceux qui aiment Jésus; car l'amour véritable veut le règne et la gloire de son bien-aimé.
Oui, l'Eucharistie est la vie des âmes et des sociétés, comme le soleil est la vie des corps et de la terre. Sans le soleil, la terre serait stérile, c'est lui qui la féconde, la rend belle et riche; c'est lui qui donne aux corps l'agilité, la force et la beauté. Devant ces effets prodigieux, il n'est pas étonnant que les païens l'aient adoré comme le dieu du monde. En fait, l'astre du jour obéit à un Soleil suprême, au Verbe divin, à Jésus-Christ, qui illumine tout homme venant en ce monde et qui, par l'Eucharistie, Sacrement de vie, agit en personne, au plus intime des âmes, pour former ainsi des familles et des peuples chrétiens. Ô heureuse et mille fois heureuse l'âme fidèle qui a trouvé ce trésor caché, qui va boire à cette fontaine d'eau vive, qui mange souvent ce Pain de vie éternelle!
La société chrétienne est de plus une famille. Le lien entre ses membres, c'est Jésus-Eucharistie. Il est le père qui a dressé la table de famille. La fraternité chrétienne a été promulguée à la Cène avec la paternité de Jésus-Christ; il appelle ses Apôtres 'mes petits enfants', et il leur commande de s'aimer les uns les autres comme lui les a aimés.
À la sainte table, tous sont des enfants qui reçoivent la même nourriture, et saint Paul en tire la conséquence qu'ils ne forment qu'une famille, un même corps, car ils participent tous au même pain, qui est Jésus-Christ (1 Co 10,16-17). L'Eucharistie donne enfin à la société chrétienne la force de pratiquer la loi de l'honneur et de la charité à l'égard du prochain. Jésus-Christ veut qu'on honore et qu'on aime ses frères. Pour cela, il se personnifie en eux: "Ce que vous faites au moindre des miens, c'est à moi que vous le faites"(Mt 25, 40); et il se donne à chacun d'eux en Communion.
L'Eucharistie leur donne un centre de vie. Tous peuvent se rencontrer sans barrière de race, ni de langue, pour la célébration des fêtes de l'Église. Elle leur donne une loi de vie, celle de la charité dont elle est la source; elle forme ainsi entre eux un lien commun, une parenté chrétienne. Tous mangent le même pain, tous sont convives de Jésus-Christ, qui crée entre eux surnaturellement une sympathie de moeurs fraternelles.
L'idéal que le père Eymard confie à ses fils spirituels est de "mettre le feu de l'amour eucharistique aux quatre coins de la terre". Et dans les Constitutions, il recommandait à ses religieux que "le Seigneur Jésus soit toujours adoré dans son sacrement et glorifié socialement dans le monde entier". C'est là le sens de l'expression règne de l'Eucharistie qui revient si souvent sous la plume du saint. Ainsi, dans un article intitulé "Le siècle de l'Eucharistie" rédigé en 1864 pour la revue 'Le Très Saint-Sacrement' qu'il avait fondée, Pierre-Julien écrit:
« Nous ne craignons pas de l'affirmer, le culte de l'Exposition est le besoin de notre temps... Il est nécessaire pour sauver la société. La société se meurt, parce qu'elle n'a plus de centre de vérité et de charité. Plus de vie de famille: chacun s'isole, se concentre, veut se suffire. La dissolution est imminente. Mais la société renaîtra, pleine de vigueur, quand tous ses membres viendront se joindre autour de Notre Emmanuel. Les rapports d'esprit se réformeront tout naturellement, sous une vérité commune : les liens de l'amitié vraie et forte se renoueront sous l'action d'un même amour. »
"Le grand mal de notre époque c'est qu'on ne va pas à Jésus-Christ comme à son Sauveur et à son Dieu. On abandonne le seul fondement, la seule loi, la seule grâce de salut... Que faire alors? Revenir à la source de la vie, et non pas au Jésus historique ou au Jésus glorifié dans le ciel, mais bien plutôt au Jésus dans l'Eucharistie. Il faut le faire sortir de l'ombre pour qu'Il puisse de nouveau se mettre à la tête de la société chrétienne... Que vienne de plus en plus le règne de l'Eucharistie, Adveniat regnum tuum!".
Au concept de règne social de Jésus, nous préférons aujourd'hui parler de civilisation de l'amour... (Jean Paul II)