EVANGILE
Lc 11, 47-54
Jésus disait aux docteurs de la Loi : « Malheureux êtes-vous, parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes, alors que vos pères les ont tués. Ainsi vous témoignez que vous approuvez les actes de vos pères, puisque eux, ils ont tué les prophètes, et vous, vous bâtissez leurs tombeaux.
« C'est pourquoi la Sagesse de Dieu elle-même a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, ils tueront les uns et en persécuteront d'autres. Ainsi cette génération devra rendre compte du sang de tous les prophètes qui a été versé depuis la création du monde, depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, qui a péri entre l'autel et le sanctuaire.
« Oui, je vous le déclare : cette génération devra en rendre compte. Malheureux êtes-vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clé de la connaissance ; vous-mêmes n'êtes pas entrés, et ceux qui essayaient d'entrer, vous les en avez empêchés. »
Après que Jésus fut parti de là, les scribes et les pharisiens se mirent à lui en vouloir terriblement, et ils le harcelaient de questions ; ils étaient à l'affût pour s'emparer d'une de ses paroles.
HOMELIE
Les termes de « justice » et « juste » apparaissent neuf fois dans les neuf versets de l’extrait de la lettre aux Romains qui nous est proposé aujourd’hui en première lecture. Arrêtons-nous donc un instant sur « la justice de Dieu », notion centrale de l’histoire du salut. Spontanément, nous aurions tendance à dire « qu’en Dieu il y a lieu de considérer la justice en vertu de laquelle il punit les pécheurs, et la miséricorde en vertu de laquelle il les délivre » (saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa-IIae, q. 19, a. 1, ad. 2). Ce n’est évidemment pas en ce sens que saint Paul utilise ce vocable, puisqu’il affirme que « Dieu a manifesté sa justice qui nous sauve ». La justice de Dieu apparait - au contraire du langage courant - comme une justice de salut : Dieu est juste, non en tant qu’il condamne les pécheurs, mais en tant qu’en son Fils Jésus Christ, il les délivre gratuitement de l’esclavage du péché, et triomphe pour eux de la mort qui en est la conséquence.
Nous sommes décidément très loin de notre évaluation humaine de la justice. Pour la morale philosophique, la justice dite commutative règle les rapports du donner et du recevoir entre sujets égaux ; la justice distributive consiste à donner à chacun ce qui lui est dû ; dans ces deux cas, on donne par devoir, pour respecter les règles et les conventions sociales. Mais Jésus déclare solennellement dans le discours sur la Montagne, qu’une telle justice ne donne pas accès au Royaume (Mt 5, 20). Par contre il propose à ses disciples l’exemple de la justice qu’il met en œuvre, et qui consiste à se solidariser avec les coupables que nous sommes, au point de prendre sur lui le poids du châtiment que nous avons mérité, afin de nous justifier devant Dieu son Père.
Certes cette surabondance de la miséricorde est propre au Rédempteur et par le fait même inimitable ; mais il n’en est pas moins urgent d’élargir notre conception de la justice. Dans sa récente Lettre encyclique Caritas in veritate, Benoît XVI souligne qu’outre les biens de justice qui naissent d'un devoir, il nous faut prendre en considération les biens de gratuité, qui naissent du seul fait que l’autre m’oblige, par sa seule présence et en raison de sa dignité, à pourvoir à ses besoins essentiels. « Ce sont des biens qui naissent de la reconnaissance que je suis lié à l’autre qui, dans un certain sens, est une partie constitutive de mon être ».
Somme toute, pour le disciple du Christ, la justice n’est autre que la charité.
Père Joseph-Marie