« Je suis né le 8 août 1919, à Bellegarde, dans le Loiret. Mon père était chrétien et de gauche. Membre du Sillon (avec Marc Sangnier), il lisait « l’Aube », journal de tendance chrétienne et…assez gauchiste. Il était compagnon de St François (avec J. Folliet). Mutilé de la guerre de 14, après 3 ans d’hospitalisation et un centre d’apprentissage pour devenir tourneur, il fut embauché à la Compagnie Générale d’Electricité. Il fut un des premiers militants de la CFTC en 1920. A 40 ans, à cause de sa blessure, il dut quitter l’usine et devint chef d’atelier à la Manufacture des Tabacs. Ma mère était fille d’un commerçant de Bellegarde. Elle a eu le mérite extraordinaire d’épouser mon père alors qu’il avait la face complètement déformée à cause de ses blessures de 14.
J’ai fait mes études à Orléans et commencé le séminaire. Mobilisé en 40, j’ai été versé après la débâcle dans l’armée d’armistice. Quand les Allemands ont occupé la zone libre, je suis revenu au séminaire et j’ai été ordonné (très vite) le 24 février 45 par peur d’être réquisitionné pour le STO.
J’ai été nommé vicaire dans une paroisse d’un quartier assez pauvre et ouvrier, pendant 2 ans. J’ai lu « La France pays de Mission ? ». J’avais entendu Augros en 1943 au séminaire. D’ailleurs, je le connaissais bien ; il avait été prof à Orléans. Gamin, j’ai même fait une colo avec lui, à Briare.
En 1947, j’ai passé 6 mois au noviciat des Pères blancs à Alger dans l’intention d’aller vers les milieux musulmans. J’ai compris que ce n’était pas ma voie, et le P. Augros m’a accueilli à Lisieux en janvier 1948, pour me préparer à être prêtre-ouvrier. On était trois par piaule. J’étais avec Claude Wiéner.
En septembre 1948, je suis envoyé avec Francis Vico dans l’équipe P.O. de Limoges, qui avait démarré en 1947, avec Henri Chartreux, Guy Albert (OMI) et Paul Mariotte de Besançon. On était vu comme des clowns – un peu- par l’ensemble des prêtres de Limoges, pas attendus par le clergé, un peu plus par l’évêque, Mgr Rastouil.
J’ai trouvé du boulot assez vite, dans le bâtiment. Par un hasard extraordinaire, j’ai pu entrer, un an plus tard, comme O.S. chez Legrand (matériel électrique). Il y avait 1000 ouvriers. C’était une des plus grosses usines de Limoges. J’étais employé au traitement chimique des pièces mécaniques (nickel, chrome) çà dégageait des vapeurs… j’ai beaucoup dérouillé… On travaillait au cyanure de potassium, à peine avec des gants ; il y avait de quoi empoisonner tout Limoges. J’y suis resté jusqu’en 1955.
A cette époque, on avait des contacts assez fréquents avec la Mission de Paris ; on a fait des retraites communes… Il y avait aussi les sessions avec le père Chenu. Une des grosses questions d’alors, était l’engagement syndical : on s’engage ou pas ? Moi, j’ai été syndiqué assez vite. Au syndicat, un prêtre çà les intéressait. J’ai été assez vite délégué du personnel et membre du Comité d’Entreprise.
En 1954, avec l’interdiction des prêtres-ouvriers, l’évêque n’a pas pris de sanction contre nous, mais le contact fut interrompu. Avec Francis Vico nous avons continué à travailler jusqu’en février 1955, dans un déchirement effroyable. Ce fut une des périodes les plus noires de mon histoire ; j’aurais préféré mourir plutôt que de vivre ce que j’ai vécu à ce moment-là. »
Avec Francis Vico et les autres prêtres-ouvriers de Limoges, André écrivit en 1954 à l’évêque une longue et belle lettre sur le sacerdoce : « Nous pensons que notre sacerdoce n’est ni diminué, ni en péril dans notre mission de prêtres-ouvriers Dans le Mystère du Christ, il demeure ce scandale : Jésus a risqué sa vie, son sang, son sacerdoce éternel et sa divinité infinie pour rentrer en contact avec l’homme et le sauver. Les espèces humbles de l’eucharistie nous le rappellent quotidiennement. Ce pain semblable au pain quotidien demeure Corps éternel et glorieux de Dieu malgré la pauvreté des apparences. Le vêtement de travail, la sueur et le sang de nos bras, l’âpreté des luttes demeurent les espèces imparfaites, déroutantes, de notre éternel sacerdoce. »
« Je suis parti 8-9 mois chez un ami qui élevait des moutons dans le Sud de la Dordogne ; je plantais des piquets de clôture pour des moutons de plein air. Le dimanche, je disais la messe pour les paroissiens.
En 1956, je suis revenu à Limoges. J’ai été accueilli par des frères de la MdF qui étaient à ce moment là, à la paroisse Ste Thérèse : Louis Viry, Norbert Guyot, Paul Manigaud, des militants d’ACO et quelques femmes de la MdF. En eux, j’ai trouvé une Eglise fraternelle, près des petites gens, qui m’a permis de retrouver le goût de vivre et de célébrer la messe.
J’ai fait un stage FPA de plombier, je suis entré dans une première entreprise, puis dans une deuxième plus grande de 200 ouvriers… où je suis resté jusqu’à ma cessation d’activité en août 1979. Avec quelques-uns, nous avons créé un syndicat CGT, après 68.
Je me suis retrouvé avec un nouvel évêque, le P. Guflet, et j’ai embrayé avec le nouveau départ des prêtres-ouvriers en 1965-66. J’ai eu la grâce de trouver dans l’équipe, deux frères de grande valeur spirituelle : Pierre Sauvage, Yves Sauvaget et Jean Deries. Yves nous a quittés jeune et ce fut pour nous une grande épreuve.
Maintenant, je vis en HLM où je retrouve des gens modestes qui vivent avec de petites retraites. La vie y est parfois rude, avec de gros problèmes de santé qui arrivent1.
Par l’Ecriture, je sais que nous sommes « étrangers et voyageurs » sur cette terre des hommes que nous aimons bien. J’attends avec une certaine sérénité le « Passage ».
Je remercie Dieu, la Mission de France et ses différents responsables de m’avoir permis de vivre le Sacerdoce du Christ de cette manière. Si nous sommes partis, après la guerre pour évangéliser les ouvriers, les non-croyants, nous avons été très vite étonnés de voir que l’Esprit nous avait précédés chez un bon nombre de nos collègues de travail ou d’habitat. Nous nous sommes rendus compte combien le Christ aime discrètement tous les hommes, surtout les petites gens, et que assez souvent quelque chose de l’Evangile nous est arrivé par eux. »
André avait depuis longtemps des problèmes de santé. Il a continué à habiter en HLM au milieu des « petites gens ». Une amie de longue date de l’équipe, Fabienne, l’a accompagné jusqu’au bout, elle qui s’était lancée « dans le sillage des premiers prêtres-ouvriers et laissée emporter par ce souffle si puissant de l’Evangile2. »
André est entré en clinique il y a une semaine. Il s’est éteint ce dimanche 5 octobre.
Sa sœur, sa belle-sœur, ses neveux et nièces, les autres membres de sa famille, ses amis prêtres-ouvriers de Limoges, les membres de la Communauté Mission de France vous invitent à se joindre à leur prière.
L’Equipe épiscopale