Mouvement ATD Quart Monde
Délégation générale du Mouvement International
9 février 2010
Chers amis,
« Courage, courage, vous n'êtes pas seuls. - écrit Guillaume, ami de longue date du Mouvement en
Centrafrique aux amis de Haïti - Je fonds en larmes quand je vois ce qu'il s'est passé chez vous.
Nous Centrafricains pensons beaucoup à vous. Si vous étiez proches, on pourrait vous abriter chez
nous ».
Nous continuons à être en lien chaque jour avec les membres du Mouvement en Haïti.
Vous le savez, six d'entre nous sont partis renforcer l'équipe depuis une semaine.
En vous adressant ce que nous avons exprimé lors de la marche du Mouvement du 8 février nous
aimerions aussi partager ce que l'un d'eux nous disait aujourd'hui au téléphone.
« Hier, c'était une journée très spéciale. Pour la première fois depuis la catastrophe l'équipe
réunissait les familles du quartier de manière collective. Il y avait un côté émouvant de se
retrouver comme ça avec tous les gens réunis. On avait mis une grande toile dans la cour pour
se protéger du soleil et on avait décoré les lieux avec les objets apportés de Méry-sur-Oise, les
messages arrivés d'un peu partout dans le monde. La rencontre a commencé par un temps de
prière, ce qui est habituel ici. Ensuite on a fait quelques minutes de silence à la mémoire de
toutes les victimes du tremblement de terre et puis on a chanté. Ensuite, on s'est mis en quatre
groupes pour parler. Les gens ont beaucoup dit où ils étaient le 12 janvier, comment ils ont
cherché leurs enfants, les membres de leur famille. Comment, pour certains, ils ont découvert
leur maison écroulée. Les familles disaient aussi combien les jours où elles ont de quoi faire à
manger, elles partagent avec ceux des environs. Les gens partagent beaucoup de choses. Tout
le monde dort dehors.
Quand on s'est remis tous ensemble, l'équipe a dit ce que le Mouvement a cherché à faire
depuis le 12 janvier, en allant dans les quartiers, en cherchant à prendre des liens avec d'autres
organisations, avec les structures du Gouvernement haïtien pour chercher à ce que l'aide qui
arrive, puisse rejoindre les familles. Elle a parlé de la solidarité qui se manifeste et du projet
de nutrition pour les petits enfants qui est en train de voir le jour en partenariat avec Action
Contre la Faim dans le quartier de Grande Ravine et qui pourrait toucher plus d'un millier
d'enfants. Elle a aussi introduit le fait qu'on avait pu avoir auprès de l'Ambassade du
Venezuela de la nourriture qui serait partagée à la fin, dans les sacs de plastique très colorés
que Saint Jean avait trouvés le matin même.
Et puis Eugen a parlé de tous les membres du Mouvement dans le monde qui s'étaient
manifestés, de tous les messages reçus de partout. Il a raconté combien, peut-être pour la
première fois dans l'histoire du Mouvement avec une telle intensité, tous les membres du
Mouvement étaient unis autour de la peine et du courage des familles en Haïti. Il a terminé en
disant : nous sommes ensemble aujourd'hui, nous serons ensemble toujours. Et puis on a
chanté, c'était très beau. Pendant que l'on chantait, les volontaires haïtiens, Saint Jean,
Nerline, Rosanna, Yannick, Louisamène, Mogène, Marie Ange, qui ont organisé la journée
avec une attention extraordinaire aux détails, qui ont habillé les lieux, ont remis à chaque
famille un sac de nourriture. C'était tout, sauf une distribution. C'était une réunion et à la fois
une rencontre d'amis, où les amis qui sont au loin pensent aux amis qui sont ici et partagent
avec eux des pensées, des paroles, et aussi des choses concrètes qui permettent la vie.
A la fin, Jacqueline et David ont passé du temps avec un groupe de personnes que nous ne
connaissions pas et qui de ce fait n'avaient pas été invitées à la rencontre. Un groupe de jeunes
et d'enfants et un groupe de femmes qui avaient attendu des heures à la porte pour essayer
d'obtenir quelque chose, avec patience, et par moments avec colère. Ils les ont invités à entrer,
à s'asseoir, ils ont parlé avec eux. Et puis ils leur ont donné quelque chose, des biscuits, un
peu de lait, mais dans une relation qui était complètement autre. Jacqueline me disait après : le
pire c'est l'humiliation. On ne peut pas renvoyer chez eux sans rien des gens qui passent trois
heures devant la porte, c'est impossible. On ne peut pas non plus rentrer dans une distribution
avec tous ceux qui arrivent à la porte sinon dans deux heures il y aura trois cent personnes
devant la porte. Il faut prendre le temps et quand c'est le moment faire rentrer les gens comme
on fait rentrer des amis, prendre le temps avec eux. Alors, ils repartent en sentant qu'on a pris
ce temps avec eux, qu'ils ont été accueillis. On n'a pas le droit de faire que leur demande se
transforme en humiliation ».
Il y a presque un mois, la terre tremblait en Haïti. Depuis, les Haïtiens ont dû faire face à tant de
choses, se mobiliser sans répit pour sauver des vies, continuer à bâtir la vie malgré tout. Ils n'ont pas
pu s'arrêter et ils nous disent : « nous avons besoin que le monde se mobilise avec nous pour nous
aider, mais aussi pour pleurer avec nous ».
Le Gouvernement haïtien a proposé que les 12, 13 et 14 février soient des journées de deuil
national. Cherchons, chacun où nous sommes, selon nos contextes quels gestes poser ces jours-là
pour être en lien avec Haïti mais aussi avec tous ceux qui font face chaque jour à l'injustice.
En Haïti, l'équipe voudrait que chacun de ses membres puisse s'arrêter un peu, pour vivre un
moment de répit, aller enfin revoir sa famille, ce que certains n'ont pas encore pu faire tellement ils
ont été pris jour et nuit, participer à des temps collectifs de prière ou de jeûne, retrouver les familles
des quartiers et rejoindre avec elles ce qui se vivra au niveau du pays. Les familles demandaient :
« que ferons-nous cette année, pour le 14 février ? » En Haïti, chaque année les membres du
Mouvement marquaient par un rassemblement cette date anniversaire de la mort du Père Joseph.
Cette année, ils ont décidé de se retrouver dans un lieu significatif pour le pays, au Champs de
Mars, devant le Palais National, avec beaucoup de leurs frères haïtiens.
Peu de temps avant de mourir, le Père Joseph nous a laissé « Les strophes à la gloire du Quart
Monde de tous les temps », dans lesquelles il dit : « Ce n'est pas votre mort que j'évoque aujourd'hui
(…) c'est de votre vie dont je témoigne ». Voilà qui pourrait guider notre façon de vivre ces journées
: mettre entre nous ce que tant d'enfants, de jeunes, de femmes et d'hommes ont apporté d'unique et
de précieux pour rendre notre monde plus humain. Au Centre international du Mouvement, par
exemple, nous nous retrouverons le 12 février autour du Cèdre, porteur des terres de nos vies. Peutêtre
pourrions-nous aussi être attentifs à rejoindre là ou nous vivons, des communautés,
associations, voisins haïtiens pour communier à leur peine et leur témoigner notre amitié...
Cela donne de la force de savoir que les uns et les autres continuent à organiser des rencontres chez
eux, dans des lieux du Mouvement, et ailleurs, pour lire ensemble ces nouvelles et continuer à lier
notre quotidien à Haïti.
Il nous faut chercher les moyens, y compris les moyens financiers, pour pouvoir soutenir l'action et
la présence du Mouvement en Haïti dans la durée. Merci de continuer à en parler autour de vous et
de proposer à vos amis, vos relations, d'aller sur le site du Mouvement.
Avec Eugen à Port-au-Prince,
Diana et Isabelle