La tristesse n'est jamais bien loin de nous. C'est un sentiment qui habite même en nous; il loge, pour ainsi dire, dans cette région obscure de notre âme, où nos attentes de lumière et de chaleur, de bien-être et d'affection, de paix et de joie ne sont pas comblés, ou peut-être frustrés, ou pis encore combattus. Dans notre condition humaine actuelle, la tristesse se tient à l'arrière-plan de la scène de notre vie, prête à prendre le devant de la scène au moindre évènement pénible.
Le sentiment de tristesse vivement ressenti se manifeste ordinairement par les larmes, comme nous l'avons sans doute tous éprouvé à l'occasion de deuils. Les larmes sont un language universel de la nature humaine, mais elles n'expriment pas toujours la tristesse : elles peuvent aussi bien exprimer de fortes émotions d'admiration, de joie, d'amour. Par ses larmes, le petit enfant dit simplement ses besoins, c'est-à-dire sa faim, sa soif, ses malaises, ses souffrances; ses larmes, ses sourires, ses petits cris sont ses premiers mots. Avant l'éveil de sa conscience, les larmes d'un tout-petit ne sont pas l'expression d'un sentiment de tristesse : elles manifestent plutôt des besoins physiques et affectifs. Mais c'est parfois à un âge très tendre qu'un enfant commence à éprouver de véritables sentiments de tristesse ; déjà son âme souffre, et a conscience de souffrir la blessure que lui inflige tantôt un deuil, tantôt un rejet affectif, tantôt un acte de violence, tantôt un danger menaçant, tantôt une profonde insécurité etc. Les maux qui frappent toute personne consciente engendrent naturellement en elle un sentiment de tristesse. Les amis sont véritablement amis, lorsqu'ils sont capables de partager mutuellement et leurs joies et leurs peines. En tout cela, la tristesse n'a rien qui ne soit conforme à la nature, et donc rien qui soit désordonné. Saint Augustin ne revendiquait-il pas le droit de pleurer publiquement sa mère bien-aimée, elle qui avait tant pleuré son fils spirituellement mort ? Il la pleurait visiblement, mais sa tristesse de fils désolé était pleine de cette merveilleuse consolation que la foi et l'espérance donnent aux âmes chrétiennes.
S'il est parfois tout à fait naturel, et en ce sens, normal de s'attrister, il n'est pas du tout normal d'être habituellement tristes, et encore moins de cultiver la tristesse. Une société marquée par la tristesse est une société gravement malade. En 1958, j'eus l'occasion de traverser le mur de Berlin, et de constater comment la ville de Berlin-est, communiste à cette époque, était triste ; comment la tristesse se lisait sur la plupart des visages. Par ailleurs, un peu plus tard dans les années 60, visitant le nord-est du Brésil, où il y avait beaucoup de gens très pauvres, je fus frappé par leur joie communicative, venant sans doute de leur foi chrétienne.
Depuis quelques décades, s'est établie en Occident une culture de la tristesse, surtout dans la musique et la peinture. Quand ces arts laissent dans l'âme un arrière-goût de tristesse, c'est un signe que l'âme est frustrée dans sa quête de beauté et de vérité, auxquelles elle aspire naturellement : frustrée, et par conséquent blessée au plus intime d'elle-même.
C'est que nous ne sommes pas faits pour la tristesse, bien que nous ne puissions y échapper à certains moments de notre vie. L'homme n'a pas été créé par Dieu pour mener une vie triste, mais bien plutôt une vie heureuse. En réalité, Dieu nous a créés à son image et ressemblance pour que nous puissions participer, déjà sur terre, à son propre bonheur, et qu'après l'épreuve de notre pèlerinage terrestre, nous puissions entrer dans sa joie infinie.
Voyons maintenant :
1. la nature de la tristesse
2. quelles en sont les espèces
3. en quoi consiste la maladie de la tristesse
4. quelles sont les causes principales de cette maladie
5. quels en sont les effets
6. quels en sont les remèdes les plus efficaces
En guise de conclusion, nous dirons quelques mots du principe et fondement de la joie chrétienne.
1. La nature de la tristesse
Saint Thomas d'Aquin définit la tristesse comme étant la douleur de l'âme. Cette douleur spirituelle, qui peut accompagner la douleur physique, s'en distingue quant à son mode de perception et quant à son objet. Elle se distingue d'abord de la douleur physique en ce qu'elle est saisie, non par les sens extérieurs, mais par l'imagination et la raison. Appréhendée par l'intelligence, elle consiste en une réaction douloureuse de la volonté vis-à-vis du mal, qui contrarie ce vers quoi elle tend comme vers son bien ; de sorte qu'elle réside proprement dans la volonté qui souffre d'être contrariée. C'est pourquoi la tristesse, comme telle, ne peut être ressentie par les tout-petits non encore parvenus à une vie consciente. ce qui ne veut pas dire que ces tout-petits ne puissent souffrir. Les bébés, même les embryons, peuvent être physiquement broyés par la souffrance.
D'autre part, la tristesse se distingue de la douleur physique quant à son objet. L'objet de la douleur physique est un mal qui est physiquement présent. Tandis que l'objet de la tristesse est un mal qui n'est pas nécessairement présent physiquement, mais qui, comme cause de douleur spirituelle, peut être passé ou futur. Cela signifie que le mal engendrant la tristesse repose sur une perception subjective sans doute actuelle, qui rend présent dans la conscience un mal qui n'est pas nécessairement présent physiquement. Par où l'on comprend que, dans la tristesse, l'imagination peut jouer un rôle plus ou moins grand. C'est ainsi, par exemple, que l'amertume est une tristesse qui plonge ses racines dans le passé, et que l'anxiété est une tristesse qui se rapporte à l'avenir. La tristesse, étant de nature spirituelle, n'est donc pas comme la douleur physique, liée au temps déterminé où le mal est extérieurement présent.
En elle-même la tristesse, comme réaction à la douleur de l'âme, n'est ni bonne ni mauvaise moralement. Elle est la réponse de notre sensibilité au mal dont l'âme a pris conscience. Elle est un signal d'ordre sensible que quelque chose ne va pas selon le désir de notre volonté en quête de bien. Elle est aussi parfois en nous comme un appel à chercher du secours pour retrouver la joie, car comme nous l'avons dit, nous ne sommes pas faits pour la tristesse mais pour la joie. Cela signifie que la tristesse, comme réaction naturelle au mal qui nous afflige, a besoin d'être contenue dans certaines limites; elle a besoin d'être modérée et équilibrée par la raison, c'est-à-dire par la vertu cardinale de force, qui s'exprime principalement par le courage et la patience. Si elle n'est en aucune façon maîtrisée par ces vertus, elle tend à prendre le contrôle de nos facultés sensibles d'abord, puis de nos facultés intellectuelles. Une très grande fragilité s'installant dans la personnalité est le résultat d'une tristesse incontrôlée, c'est-à-dire à laquelle on n'oppose aucune retenue venant de la raison. S'il est naturel de pleurer à cause d'une très vive peine, il n'est pas naturel de pleurer pour rien, d'être toujours à gémir, à se lamenter à la moindre contrariété.
2. Les espèces de tristesses
Jusqu'ici nous n'avons parlé de la tristesse que comme une réaction naturelle de l'âme devant un mal qui l'afflige, et nous avons dit que, comme telle, la tristesse n'est ni bonne ni mauvaise moralement. Elle commence à être mauvaise, lorsque, dans son excès, elle se ferme au contrôle que les vertus morales ont pour mission d'exercer sur ce que les anciens appellent les passions de l'âme (qui sont ses mouvements intérieurs sensibles en réaction aux évènements extérieurs). En regard de l'ordre moral, la tristesse peut donc être bonne ou mauvaise, comme l'enseigne saint François de Sales. Ce grand maître spirituel, qui tenait son âme toujours égale en elle-même dans la joie de servir Dieu et son prochain, affirme, en effet, dans son Introdution à la vie dévote, qu'il y a deux sortes de tristesses, une bonne et une mauvaise, c'est-à-dire la tristesse selon Dieu, qui opère la pénitence pour le salut, et la tristesse du monde, qui opère la mort. Ces mêmes expressions se retrouvent littéralement chez saint Grégoire de Nysse.
De la tristesse inspirée de Dieu, saint François de Sales dit qu'elle produit dans l'âme deux bons effets ou vertus, à savoir: la miséricorde et la pénitence. Tandis que la tristesse du monde, - celle qui cherche à se soustraire à l'ordre moral -, engendre dans l'âme six graves maladies, à savoir : l'angoisse, la paresse, l'indignation, la jalousie, l'envie et l'impatience . Au sujet de la tristesse, saint François de Sales rapporte cette parole du Sage: La tristesse en tue beaucoup, et il n'y a point de profit en elle, parce que pour deux bons ruisseaux qui proviennent de la source de tristesse, il y en a six qui sont bien mauvais.
La bonne tristesse
Il est quand même important de retenir qu'il existe une bonne tristesse, qui a pour objet un mal très affligeant lorsqu'on ne refuse pas d'en prendre conscience à savoir le mal du péché, le mal de l'éloignement du bien suprême, absolument essentiel à notre bonheur , qui réside en Dieu. Prendre conscience de ses péchés et de toutes ses misères morales fait mal à l'âme qui ne s'est pas détournée complètement et définitivement du souverain Bien, c'est-à-dire Dieu que, malgré ses faiblesses, elle continue à désirer. Mais si cette prise de conscience est douloureuse pour l'âme, et par conséquent l'attriste, elle lui est très salutaire, car elle la conduit à se repentir et à rompre avec le péché, qui est le plus désastreux de tous les maux. L'âme éprouve alors la tristesse de la pénitence qui est pour elle, en tant que principe de conversion, la source d'une joie très pure. Car cette tristesse, qui fait qu'on s'afflige de ses péchés, réconcilie l'âme avec Dieu. Comme plusieurs pages de la Bible en témoignent, les larmes de cette bonne tristesse qu'est la pénitence lavent l'âme de ses péchés. Les plus beaux exemples sont ceux du saint roi David, de sainte Marie-Madeleine et de saint Pierre. C'est à la tristesse de la pénitence que se rapporte la béatitude : Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
L'autre bonne tristesse est celle de la miséricorde. La miséricorde (il s'agit ici de la miséricorde spirituelle) naît dans l'âme qui s'afflige de voir Dieu offensé par autrui, parce qu'elle l'aime ardemment. Cette tristesse de la miséricorde, qui naît toute entière de la charité et qui allume dans le coeur le zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, est, elle aussi, source d'une très grande joie, et fait également l'objet d'une béatitude évangélique : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
La bonne tristesse, qui s'exprime par la pénitence et la miséricorde, même si elle cause à l'âme une vraie douleur, n'en est nullement une maladie ; elle manifeste bien plutôt que l'âme qui l'éprouve est en bonne santé morale et psychologique. Par contre, une âme qui reste enfermée dans la prison de ses péchés, par un refus obstiné de les considérer comme tels et d'avoir à s'en repentir, est minée par la maladie morale de toutes la plus radicale : celle qui fait perdre le sens du bien et du mal et empêche absolument l'âme d'atteindre sa fin, c'est-à-dire d'entrer en possession du bonheur infini pour lequel elle est faite. Cela montre jusqu'à quel point l'enfermement dans le péché emprisonne l'âme dans une tristesse stérile et désespérante.
3. La maladie de la tristesse
Si l'on considère maintenant la tristesse comme une disposition négative envahissante qui ne peut s'installer dans l'âme, en l'affaiblissant de plus en plus, que sous l'influence du démon, il n'y a pas de doute que cette sorte de tristesse est une maladie, et même selon saint François d'Asssise la pire des maladies de l'âme. En effet, ce saint dont on a écrit qu'il a été l'homme le plus joyeux que la terre ait porté, voyait dans la tristesse un poison spirituel mortel utilisé par Satan, qui n'est jamais si content, disait-il, que lorsqu'il a pu ravir à un serviteur de Dieu la joie de son âme. Il a toujours une réserve de poussière qu'il souffle dans la conscience par quelque soupirail afin de rendre opaque ce qui est pur ; mais dans un coeur gonflé de joie, c'est en vain qu'il essaie d'introduire son mortel poison. Les démons, assurait-il, ne peuvent rien contre un serviteur du Christ qu'ils trouvent plein de sainte allégresse ; tandis qu'une âme chagrine, morose et déprimée se laisse facilement submerger par la tristesse ou accaparer par de faux plaisirs.
Comme saint François d'Assise, saint François de Sales pense que la tristesse est un outil privilégié dont Satan se sert spécialement dans le combat qu'il mène contre les bons. Voici l'explication qu'il donne de la tactique diabolique vis-à-vis des bons :
L'ennemi se sert de la tristesse pour exercer ses tentations à l'endroit des bons; car, comme il tâche de faire réjouir les mauvais en leur péché, aussi tâche-t-il d'attrister les bons en leurs bonnes oeuvres ; et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faisant trouver agréable, aussi ne peut-il détourner du bien, qu'en le faisant trouver désagréable. Le malin se plaît en la tristesse et mélancolie, parce qu'il est triste et mélancolique et le sera éternellement, et il voudrait que chacun fût comme lui.
4. Les causes de la tristesse-maladie
La tristesse ne devient une maladie spirituelle, qui vide progressivement l'âme de toute force, que lorsqu'elle se laisse déprimer par le mal qui s'impose à elle, de quelque source qu'il vienne. Il est certes naturel de ressentir de la peine ou de la tristesse, quand on est privé d'un bien important qui est nôtre ou que nous désirons, parce qu'il concourt à notre bonheur, comme notre santé, notre réputation, nos parents, nos amis, notre emploi, nos biens matériels, et tout ce qui a véritablement raison de bien pour nous. Tout ce qui contrarie notre volonté dans la recherche de son bien ou de son attachement au bien est la cause d'une tristesse naturelle. Ainsi, l'absence d'amour, de communion, l'insécurité, le rejet, le mépris, la haine, l'indifférence, la discorde, la violence, la guerre sont des causes naturelles de tristesse. De même, les espoirs déçus, les échecs, le délai d'un bien désiré, et aussi la peur, l'anxiété devant le mal à venir, que l'imagination représente comme présent. Et aussi le doute, l'incertitude, la confusion dans la pensée, qui contrarient la soif de vérité dans l'intelligence. Tous ces maux, remplissant l'attention de la conscience actuelle, même s'ils étaient passés ou à venir, sont causes naturelles de tristesse.
Il n'y a maladie spirituelle que lorsque la volonté se laisse dominer ou abattre par l'un ou l'autre de ces maux, en raison d'une déficience des vertus morales de patience et de force, et par dessus tout des vertus surnaturelles de foi, d'espérance et de charité. Les maux passés, présents et à venir, faisant l'objet d'une appréhension actuelle par l'imagination et l'intelligence, mettent à dure épreuve les vertus par lesquelles nous pouvons les surmonter moralement et spirituellement. Le démon intervient toujours dans la maladie spirituelle de tristesse, parce qu'il agit sur notre sensibilité nous représentant comme insurmontables les maux auxquels nous devons faire face, et en même temps il lutte contre nos vertus en travaillant à les affaiblir ou à les détruire. Il tâche de communiquer à l'âme, non suffisamment pourvue de l'énergie des vertus, sa propre tristesse, qui accompagne toujours le triomphe du mal dans un être spirituel fait pour le bien.
5. Les effets du mal de la tristesse
La maladie de la tristesse trouble l'âme, elle l'inquiète. Elle lui inspire de fausses peurs. Elle la dégoûte de la prière. Elle engourdit et accable l'esprit. Elle est une ennemie sournoise de l'intelligence, en lui fermant la voie du discernement et en l'empêchant de porter un jugement objectif sur la réalité. Par suite, elle gêne la liberté de la volonté, lorsqu'il s'agit de faire des choix, de prendre des résolutions, et de s'engager dans une action positive. Elle éteint le courage, ruine les forces vives de l'âme, qu'elle plonge finalement dans une extrême faiblesse. Elle est, affirme saint François de Sales, comme un dur hiver qui fauche toute la beauté de la terre et engourdit tous les animaux; car elle ôte toute suavité de l'âme, et la rend presque percluse et impuissante en toutes ses facultés.
6. Les remèdes à la tristesse
Le premier remède à la tristesse est la prière, une prière humble et confiante qui n'ait de cesse qu'avec le retour de la joie dans l'âme. C'est à ce remède que saint François d'Assise voulait qu'on fît recours dès le premier signe de tristesse s'insinuant dans l'âme. Quand il sentait que la tristesse commençait à filtrer dans son âme, écrit Thomas de Célano, il avait aussitôt recours à la prière. Au premier trouble, disait-il, le serviteur de Dieu doit se lever, se mettre en prière et demeurer face au Père tant que ce dernier ne lui aura pas fait retrouver la joie de celui qui est sauvé. Mais s'il persévère dans la tristesse, alors grandira en lui le mal babylonien recouvrant le coeur d'une rouille tenace que les larmes sont seules capables de déterger.
Recourir d'abord à la prière, c'est aussi l'avis de saint François de Sales fondé sur le conseil d'un apôtre: «Quelqu'un est-il triste, dit saint Jacques, qu'il prie». La prière est un souverain remède, car elle élève l'esprit en Dieu, qui est notre unique joie et consolation. mais en priant, conseille-t-il, usez d'affections et paroles, soit intérieures, soit extérieures, qui tendent à la confiance et amour de Dieu, comme : « O Dieu de miséricorde, mon très bon Dieu ! mon doux Sauveur ! Dieu de mon coeur! ma joie, mon espérance, mon cher époux, le bien-aimé de mon âme ! » et semblables.
En plus du recours à la prière, il faut s'opposer vivement aux sentiments de tristesse qui dépriment l'âme en cultivant des sentiments contraires, et cela avec persévérance.
Chanter des cantiques spirituels, comme le recommandait déjà saint Paul, est aussi un excellent moyen pour se débarrasser de la tristesse.
De même, faire de bonnes oeuvres. Du moins, s'occuper de quelque travail que la santé permet de faire pour distraire l'esprit des préoccupations qui l'attristent.
Et comme nos actions extérieures exercent une influence sur nos pensées et sentiments, il faut s'aider d'actes extérieurs de ferveur, même si on n'en a pas le goût. Saint François de Sales suggère, à titre d'exemples: embrasser l'image du crucifix, la serrer sur sa poitrine, lui baiser les mains et les pieds, lever les yeux et les mains au ciel, élancer sa voix en Dieu par des paroles d'amour et de confiance, comme celles-ci : «Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. ...O Jésus, soyez-moi Jésus; vive Jésus, et mon âme vivra. Qui me séparera de l'amour de mon Dieu? ».
Pour vaincre la tristesse, n'est nullement à rejeter quelque mortification corporelle car, comme l'enseigne saint Ignace de Loyola, la pénitence jointe à la prière attire efficacement dans l'âme les divines consolations.
S'approcher de Jésus-Eucharistie, source par excellence de la joie, demeurera toujours le plus puissant remède à la tristesse, pourvu que ce pain du ciel, qui contient toute saveur, soit reçu dans un coeur pur et affamé de Dieu.
Un autre remède très efficace pour passer de la tristesse à la joie est l'ouverture totale du coeur à un père ou conseiller spirituel, en lui dévoilant toutes ses difficultés, ses tentations, ses pensées, car une telle ouverture, qui requiert une bonne dose d'humilité, déjoue à tout coup les pièges de l'ennemi et établit l'âme dans la paix. L'ouverture du coeur faite avec simplicité libère souvent l'âme des plus grands obstacles à la joie.
Un remède préventif de la tristesse est de veiller sur ses fréquentations et conversations, comme du reste sur les spectacles qu'on regarde, de sorte à éviter dans la mesure du possible les influences négatives portant l'âme à la tristesse, et au contraire de chercher le contact de personnes qui, par leurs convictions spirituelles, communiquent la confiance, le courage, l'enthousiasme. La victoire sur la tristesse est grandement aidée par le soutien moral de véritables amis.
L'ultime remède à la tristesse est une foi inébranlable en la divine Providence, s'exprimant en un abandon total entre les mains de Dieu, qui dirige tous les évènements de notre vie pour notre plus grand bien. Si dans sa miséricorde infinie Dieu permet, pour nous purifier et sanctifier, l'épreuve de la douleur morale, il saura bien en temps opportun changer notre tristesse en une joie que personne ne pourra jamais nous ravir.
Conclusion
Terminons en disant quelques mots sur la source de notre joie. Le Père Gabriel Amorth, célèbre exorciste de Rome écrit : Le croyant, convaincu qu'il vit en présence de la Sainte Trinité et qu'il l'a en lui, sait qu'il est constamment assisté par une Mère qui est la Mère de Dieu; il sait qu'il peut toujours compter sur l'appui des anges et des saints. Comment pourrait-il alors se sentir seul, ou abandonné ou opprimé par le mal ? Dans la vie du croyant, il y aura toujours place pour la douleur, car c'est la voie de la Croix qui nous sauve, mais il n'y aura jamais place pour la tristesse. Il est toujours prêt à témoigner à quiconque l'interrroge de l'espoir qui le soutient.
Le principe et le fondement de la joie chrétienne, qui doit toujours dominer dans notre âme, c'est la joie de la victoire de Jésus Ressuscité en nous, qui est promise à notre foi. Joie de la victoire sur le mal, c'est-à-dire sur le péché et ses conséquences. Joie de la victoire sur Satan, le père du mensonge. Joie de la victoire sur les erreurs du monde, c'est-à-dire sur les fausses sciences et les fausses sagesses, qui s'opposent à la vérité et à la sagesse de Jésus-Christ.
Le Coeur ouvert de Jésus crucifié et ressuscité est la souce vive d'où jaillit la joie infinie de Dieu sur les âmes qui croient en Lui. Cette source de joie divine, actuellement jaillissante au sein de l'Église, communiquera toujours aux pauvres âmes languissantes toute la fraîcheur et la pureté du premier matin du monde.
Le Coeur immaculé de Marie nous relie immédiatement à cette source première de la grâce et de la joie qu'est le Coeur de Jésus. Elle est la première croyante, celle qui, la première, a remporté une parfaite victoire sur le mal, sur Satan, sur tous les mensonges et toutes les erreurs. C'est pourquoi, en son Coeur immaculé s'est écoulée la joie infinie du Coeur de Jésus. Son Coeur immaculé est devenu ainsi non seulement le réservoir de toutes les grâces, mais le grand canal de leur dispensation au monde. C'est par Elle que Jésus nous donne sa joie, car c'est par Elle que Jésus se donne lui-même à nous.
Après la Vierge Marie, et en lien de dépendance d'elle - la pleine de grâce - les anges et les saints, ces grands amis de Dieu, qui entretiennent avec Jésus une relation d'intimité et même de parenté spirituelle, sont autant de sources secondaires de joie pour le monde : sources rattachées à la source première de la joie, qui est le Coeur de Jésus par le Coeur de Marie.
A notre divin Sauveur, et à sa très sainte Mère et notre Mère, qui travaillent sans cesse pour notre bonheur, au sein de l'Église, toute reconnaissance, honneur et gloire ! * AMEN !
Saint Thomas d'Aquin traite de la tristesse dans la Somme Théologique, 1a-2ae, qu. 35 à 38.
Les citations de Thomas de Célano sont tirées de Vie de saint François, les éditions franciscaines, Paris 1967, p.261.
Les textes de saint François de Sales proviennent de son Introduction à la vie dévote, 4° partie, ch. XII
Le texte du Père Gabriel Amorth est tiré de Un exorciste raconte, éd. François Xavier de Guibert, Paris 1997, p.44