1 Les Témoins de la vérité pendant les siècles de ténèbres
1.1 Les témoins de la vérité au Moyen Âge
Il était nécessaire de présenter les erreurs fatales qui caractérisent l’Église de Rome, parce que nous vivons au milieu d’elle, et qu’il importe pour nous de voir combien, tout en assumant le nom de chrétienne, elle s’est écartée des enseignements de Christ et des apôtres. Elle a annulé, par son idolâtrie, le culte qui ne doit être rendu qu’à Dieu et à son Fils, et a mis à la place du salut par la grâce de Dieu, le salut par des œuvres qui ne peuvent justifier le pécheur. Et il est non moins important d’être mis en garde contre elle, par le fait qu’elle a beaucoup d’attraits pour le cœur naturel par une apparence religieuse qui répond à certains besoins de l’âme, par son culte pompeux qui parle aux sens, et par une certaine piété et souvent un grand dévouement chez plusieurs de ses membres. Mais, dit l’apôtre, « la pensée de la chair est inimitié contre Dieu » (Rom. 8:7), et les ordonnances selon les enseignements et les commandements des hommes n’ont qu’une apparence de sagesse en dévotion volontaire et en humilité, en ce qu’elles n’épargnent pas le corps ; mais c’est pour la satisfaction de la chair (Colossiens 2:21-23). De plus, cette Église se présente comme revêtue d’une autorité qu’elle assume faussement, il est vrai, mais qui convient à la paresse de beaucoup d’âmes. Et c’est ainsi qu’elle « séduit, entraîne et égare ».
Nous n’avons parlé que très peu de cette autre grande fraction de la chrétienté qui s’appelle l’église orthodoxe grecque. Les patriarches (c’est-à-dire les principaux prélats) des églises de l’Orient, et spécialement celui de Constantinople, ne voulurent jamais reconnaître la suprématie du pape de Rome. De là vint une séparation qu’on appelle « le schisme oriental », et qui fut consommée en 1054. Au 19° siècle, la plus nombreuse partie de l’Église grecque se trouvait en Russie, soumise au tsar qui la gouvernait par un synode dont il nommait les membres. Mais l’Église grecque est aussi idolâtre que l’Église romaine. Si elle rejette les images sculptées, elle a ses icônes ou images peintes des saints, de la Vierge, du Seigneur, et même de Dieu le Père ! Elles sont répandues partout, depuis la hutte du pauvre paysan, jusqu’aux palais des grands, et malheur à qui ne les révère pas ! Les fausses doctrines de la transsubstantiation, des prières pour les morts et d’autres, existent là comme dans l’Église romaine, et là aussi c’est le clergé qui domine sur les consciences.
Il faut reconnaître que soit l’une, soit l’autre, de ces deux grandes églises rivales, envoyèrent des missionnaires dans les contrées encore païennes de l’Europe du centre et du nord, et en d’autres pays. C’étaient en général des moines, hommes pieux, dont on ne peut méconnaître le courage et le dévouement, et dont plusieurs aimaient vraiment le Seigneur. Nous avons mentionné quelques-uns d’entre eux. Le nom de Jésus Christ fut ainsi peu à peu porté chez tous les peuples de l’Europe qui ne le connaissaient pas encore. Mais Rome imposa aux nations qu’elle évangélisa ainsi, son autorité avec sa hiérarchie, ses formes religieuses et ses superstitions, et l’Église grecque ne fit pas autrement. De plus, on ne chercha pas la conversion du cœur chez ceux qu’on évangélisait. Ceux qui y consentaient étaient baptisés, et ils étaient chrétiens ! Souvent c’était par la force des armes qu’on forçait les peuples à se faire chrétiens par le baptême. D’autres fois, c’était le roi d’un pays qui, par politique, abandonnait le paganisme, et persuadait ou obligeait son peuple à le suivre. Les païens laissaient leurs idoles et leur culte pour d’autres idoles et d’autres cérémonies. L’Europe fut ainsi christianisée, c’est-à-dire devint chrétienne de nom. L’Église devint ce grand arbre dont parle le Seigneur en Matthieu 13, d’une grande apparence, mais abritant dans son opulent feuillage toutes sortes de choses mauvaises. Et c’est ce que nous voyons actuellement. Et dans ce monde ainsi christianisé, si quelqu’un veut être sauvé, il faut qu’il soit vraiment converti, tout comme s’il eût été païen, et qu’il quitte le chemin large de la simple profession chrétienne, pour entrer par la porte étroite du salut, la foi au Seigneur Jésus Christ.
Il faut encore dire qu’outre ces missionnaires dont nous parlions, il y eut dans l’Église romaine, durant les siècles d’obscurcissement du Moyen Âge, des hommes vraiment pieux. Nous en citerons deux des plus remarquables. L’un fut Anselme, qui vécut dans la seconde moitié du 11° siècle, et fut archevêque de Canterbury en Angleterre. Il écrivit, entre autres, un traité sur la Rédemption avec ce titre : « Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? ». Il y enseigne que le Fils de Dieu est devenu un homme, afin de souffrir à la place du pécheur pour satisfaire à la justice de Dieu. « Par sa mort », dit-il, « le Fils de Dieu offrit une satisfaction d’un prix infini, et par là même suffisante pour couvrir les péchés de toute l’humanité ». Et il exhortait les mourants à regarder uniquement aux mérites de Jésus Christ.
Le second de ces hommes distingués est Bernard de Clairvaux, ainsi nommé parce qu’il fut abbé du monastère de ce nom. Il vivait dans la première moitié du 12° siècle, et avait été élevé par une mère pieuse, dont les enseignements le gardèrent loin des plaisirs du monde. Dès l’âge de vingt-deux ans, il entra dans la vie monastique et devint bientôt célèbre par sa puissante éloquence et son activité infatigable. Il acquit ainsi une grande influence dans l’Église, parlant avec hardiesse aux grands de la terre comme aux petits. Il était d’ailleurs d’une charité inépuisable envers les pauvres. Il aimait la Bible et en faisait sa lecture favorite, et, pour lui, ni jeûnes, ni pénitences, ne sauvaient le pécheur, mais Christ seul. Il était aussi poète, et composa plusieurs hymnes latines. L’une d’elle en particulier nous montre l’amour qu’il avait pour Jésus. On l’a traduite, mais bien imparfaitement, en français ; en voici deux strophes :
Chef (*) couvert de blessures,
Tout meurtri, tout en sang,
Chef accablé d’injures,
D’opprobres, de tourments ;
Chef, des gloires divines
Autrefois couronné,
C’est maintenant d’épines
Que ton front est orné.
Ah ! pour ton agonie,
Pour tes grandes douleurs,
Je veux toute ma vie
Te bénir, mon Sauveur !
Ta grâce est éternelle,
Et rien, jusqu’à la fin,
Ne pourra, cœur fidèle,
Me ravir de ta main.
(*) Chef signifie ici tête
Mais avec leur piété, leur charité, leur dévouement, ces hommes, et d’autres tels qu’eux, ne soutenaient pas moins l’Église romaine, ses erreurs et ses superstitions. On se rappelle ce que saint Bernard disait relativement à la Vierge : « Si tu es effrayé de la majesté de Jésus, recours à Marie ! » Et il sévissait avec rigueur contre de prétendus hérétiques, car c’est ainsi qu’il nommait ceux qui, s’attachant à la parole de Dieu, se séparaient de Rome.
Il est vrai que bien des hommes pieux de l’Église romaine déploraient et dénonçaient les vices du clergé, des moines et des papes, et cherchaient à les réformer. Ils s’efforçaient de corriger les mœurs dissolues des moines en introduisant dans les couvents des règles sévères, et en fondant de nouveaux ordres. Mais ce n’était pas couper le mal à la racine. Les nouveaux ordres monacaux, tels que les franciscains et les dominicains, ne firent que fortifier, par l’appui qu’ils lui prêtèrent, l’autorité de l’Église de Rome, et, sous différents noms, les diverses congrégations, en une certaine mesure, dominèrent et dominent encore le chef même de l’église, le pape.
Dans ces ténèbres d’erreur et de superstition, et sous cette domination du clergé, que devenait la vérité de Dieu, qu’il avait donnée aux hommes ? Cette vérité ne peut jamais périr, et Dieu eut toujours des témoins pour la maintenir. Mais ce fut au milieu et au prix de beaucoup de souffrances, car l’Église romaine les poursuivait partout, ne pouvant supporter qu’on se dérobât à son autorité. Dans l’état de choses représenté par l’assemblée de Thyatire, ils étaient ceux dont le Seigneur reconnaissait les œuvres, la foi, l’amour, le service et la patience, le résidu qui ne suivait pas la doctrine de Jésabel et ne connaissait pas les profondeurs de Satan (Apocalypse 2:19, 24).
Il y avait bien, dans quelque cellule d’un couvent, un moine ou une nonne qui déplorait la corruption de l’église, et se réfugiait comme consolation auprès du Sauveur qu’il aimait. Tel, par exemple, ce pauvre chartreux qui écrit sa confession en ces termes. « Ô Dieu très charitable ! Je sais que je ne puis être sauvé et satisfaire ta justice autrement que par le mérite, la passion très innocente et la mort de ton Fils bien-aimé. — Pieux Jésus ! tout mon salut est dans tes mains. Tu ne peux détourner de moi les mains de ton amour, car elles m’ont créé, formé et racheté. Tu as inscrit mon nom d’un style de fer, avec une grande miséricorde et d’une manière ineffaçable, etc ». Et il ajouta : « Si je ne puis confesser ces choses de la langue, je les confesse du moins de la plume et du cœur ». Puis il plaça sa confession dans une boîte de bois qu’il renferma dans un trou fait à la muraille de sa cellule. Plusieurs siècles après, en 1776, on abattit un corps de logis qui avait fait partie de ce couvent, et on trouva la confession du frère Martin. Un autre adressait chaque jour au Seigneur cette prière : « Ô mon Seigneur Jésus Christ ! Je crois que tu es seul ma rédemption et ma justice ». N’est-il pas doux de penser que le Seigneur, dans ces temps ténébreux, avait des âmes cachées pour qui il était leur trésor ? Mais elles demeuraient silencieuses et soumises, et gardaient pour elles-mêmes la lumière intérieure qui illuminait et réjouissait leur cœur.
Mais il y eut d’autres fidèles qui ne craignirent pas de confesser hautement leur foi, rompant avec l’erreur et s’attachant uniquement à la parole de Dieu. Ils forment une ligne non interrompue de témoins jusqu’aux jours de la Réformation. C’est d’eux que nous avons à nous occuper maintenant.
Pour lire l'intégralité de l'ouvrage :
L’ÉGLISE : UNE ESQUISSE DE SON HISTOIRE PENDANT VINGT SIÈCLES
Adrien Ladrierre
Aller sur : http://www.bibliquest.org/