Connotations affectives
Des mots qui n’ont pas de sens en eux-mêmes ont cependant souvent une connotation affective-positive ou négative. Personne ne sait ce que signifie Abracadabra, mais tout le monde comprend immédiatement qu’il s’agit de magie et se voit transporté à l’heureux temps où, enfant, il entendait des histoires pleines de merveilles. « Mon cher » et « chéri » ont peut-être le même sens-mais pas la même connotation affective. Si vous en doutez, essayez de substituer le second au premier en vous adressant à l’un de vos collègues ! L’expression « bien-aimés », que nous trouvons souvent dans les versions classiques des lettres de Paul, peut être comprise comme équivoque.
Il en est de même sur le plan négatif. Si je dis : « Femme » à une personne féminine, elle ne le prendra certainement pas pour un terme d’affection. Cela a beau avoir été le cas au temps de JESUS en Palestine (#Jn 2.4; 19.26), le lecteur-et surtout la lectrice-d’aujourd’hui ne le percevra plus ainsi. E. A. Nida dit que le mot « femme » impliquait à la fois le respect et l’affection. « En fait, utiliser le mot ‘femme’ était plus affectueux que si JESUS avait employé le mot plus formel de ‘mère’. Cela peut nous sembler incroyable, mais nous ne devrions jamais commettre l’erreur fatale de juger les autres langues par les normes de la nôtre. » Donc, pour rendre correctement la connotation affective originale du mot « femme », il ne faut surtout pas utiliser ce mot français qui a une tout autre connotation. Plusieurs versions laissent simplement tomber l’appellation (TEV, NIV, LB, BS).
Certaines expressions sont indissolublement liées à un certain genre littéraire indépendamment de leur sens littéral. On pourrait traduire le début de bien des récits bibliques par « Il était une fois ». Le traducteur conscient de la connotation de cette expression l’évitera soigneusement, même si elle correspondait exactement aux mots originaux, sinon le récit sera pris pour un conte.
Les mots maison et foyer ont des sens très voisins, mais leur connotation affective est très différente, les sentiments évoqués par le mot foyer sont bien plus riches que ceux que suscite le mot maison.
Dans le même ordre d’idées, un traducteur qui pense à ses lecteurs d’aujourd’hui ne se permettra plus de farcir le texte biblique de termes qui ont pris un sens péjoratif ou équivoque (les entrailles, la verge, baiser … ). Parler à Abraham de son fils tant attendu comme de « celui qui sortira de tes entrailles » fait plutôt incongru. Lorsque la version de la Pléiade fait dire aux Israélites s’adressant à Moïse et Aaron : « Vous avez rendu notre odeur infecte aux yeux de Pharaon en mettant dans leur main l’épée pour nous tuer » (#Ex 5.21), nous avons là ce que les stylistes appellent un exemple typique de « métaphore heurtée et brisée » (J. C. Margot).
C’est l’une des raisons qui nous a fait choisir, pour la BS le mot « l’Eternel » plutôt que Yahvé. D’abord, parce que les Juifs ne prononçaient jamais ce nom ; ils le remplaçaient par Adonaï (le Seigneur). Ensuite, comme le note J. C. Margot : « Yahvé connote l’idée d’une divinité étrangère, lointaine, appartenant à l’époque primitive, ou encore un certain pédantisme de la part de ceux qui l’utilisent » (p.113).
Il en est de même de l’expression « les Juifs » dans l’évangile de Jean qui désigne régulièrement les adversaires de JESUS. En l’employant telle quelle, on risque facilement de faire taxer les auteurs du Nouveau Testament d’antisémitisme. Il vaut donc mieux donner une précision que ne donne pas le texte original, mais qui était dans l’esprit de l’auteur : les chefs des Juifs ou les autorités juives.
On pourrait classer aussi dans ce chapitre ce qui a été dit au chapitre 5 des euphémismes.