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 Comprendre la phrase

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ERFJSM
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ERFJSM

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MessageSujet: Comprendre la phrase    Comprendre la phrase  Icon_minipostedMer 02 Mai 2012, 4:22 am

Comprendre la phrase

C’est le travail principal du traducteur. Nous verrons dans un chapitre suivant comment se fait cette compréhension à partir des noyaux de pensée sous-jacents à la formulation caractéristique de chaque langue.

« Les mots ont une signification dans un contexte » (Bruce Waltke). Ferdinand de Saussure, appelé le « père de la linguistique moderne » comparait le langage à un jeu d’échecs : la valeur de chaque pion dépend non seulement de sa valeur propre et de sa place, mais aussi de la place des autres pions. Chaque fois qu’un joueur déplace l’un de ses pions, cela affecte tous les autres sur l’échiquier et change leur valeur. La signification d’un mot dépend de l’ensemble des autres mots de la phrase. La phrase : « Le ténor a chanté juste » a un certain sens, mais si j’ajoute « avant le sermon », le début de la phrase prend un sens totalement différent. Tout le monde sait ce que signifie le mot mouche ; mais ce mot n’a plus du tout le même sens dans les expressions : « Prendre la mouche », « faire mouche » ou « pattes de mouches ». C’est pourquoi il est important de décider si l’on veut traduire les mots ou le sens de l’ensemble d’une phrase.

J. C. Margot utilise une autre image pour montrer que les mots ne prennent de sens que par leur contexte : « en examinant une mosaïque, on voit qu’elle est formée de petites pierres ayant des couleurs diverses. Si l’on considère ces pierres isolément, tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’elles sont noires, blanches, rouges, vertes, etc., mais sans avoir une signification particulière ; ce qui leur donne un sens, c’est la façon dont l’artiste les a disposées les unes par rapport aux autres pour représenter la scène qu’il avait en vue. De même, pris isolément,les mots ont chacun une certaine ‘couleur’, ils évoquent les diverses acceptions que mentionne le dictionnaire à leur sujet, mais sans que l’on puisse anticiper sur le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans tel ou tel message. En effet, seule la façon dont on les dispose les uns par rapport aux autres ou, plus précisément, la structure du texte composé par un auteur, est à même d’opérer un tri dans leurs acceptions pour qu’ils deviennent ensemble le support d’un message précis. » « Il est (donc) essentiel de prendre conscience de cette vérité admise par tous les linguistes : c’est la position d’un mot par rapport à son contexte soit syntaxique, soit sémantique, qui détermine l’acception dans laquelle ce mot doit être pris. »

Un passage dont la traduction varie considérablement d’une version à l’autre est #1Co 7.36-37. S’agit-il de marier sa fille ou d’épouser sa fiancée ? ou encore de rester ou non célibataire ? Telles sont les trois options entre lesquelles se partagent les traductions.

Segond traduit : « Si quelqu’un regarde comme déshonorant pour sa fille de

dépasser l’âge nubile, et comme nécessaire de la marier, qu’il fasse ce qu’il veut, il ne pèche point. Mais celui qui a pris une ferme résolution, sans contrainte et avec l’exercice de sa propre volonté, et qui a décidé en son cœur de garder sa fille vierge, celui-là fait bien. Ainsi, celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux. ».

Darby rend ce passage de la manière suivante : « Si quelqu’un estime qu’il agit de manière inconvenante à l’égard de sa virginité, et qu’elle ait passé la fleur de son âge, et qu’il faut que cela soit ainsi, qu’il fasse ce qu’il veut : il ne pèche pas-qu’ils se marient. Mais celui qui tient ferme dans son cœur, et qui n’est pas sous l’empire de la nécessité, mais qui est maître de sa propre volonté et a décidé dans son cœur de garder sa propre virginité, fait bien. Ainsi, et celui qui se marie fait bien, et celui qui ne se marie pas fait mieux. » Pour virginité, Darby met en note : ou : sa vierge. C’est dans ce sens que vont les versions modernes comme la BFC et la BS, qui traduit ainsi : « Mais si un fiancé craint de mal se comporter envers sa fiancée, à cause de ses ardents désirs, et pense que les choses doivent suivre leur cours normal, qu’il fasse ce qui lui semble bon : il ne commet pas de faute. Que ces fiancés se marient donc ! Si un fiancé a pris en lui-même une ferme résolution, sans y être contraint, mais dans la pleine possession de sa volonté, si la décision qu’il a ainsi prise en lui-

même est de rester célibataire, il fera bien. En somme, celui qui épouse sa fiancée fait bien, et celui qui ne se marie pas fera encore mieux. » En note : « L’interprétation de ce verset est difficile. Certains pensent que Paul traite de la responsabilité d’un père à l’égard de sa fille et proposent cette traduction : Mais si quelqu’un juge manquer aux convenances envers sa fille parce qu’elle a passé l’âge et qu’il est de son devoir d’agir ainsi, qu’il fasse ce qu’il veut ; il ne commet pas de faute : qu’on se marie. »

Tous les interprètes s’accordent à reconnaître que ces versets « présentent un nombre extraordinaire de difficultés d’ordre lexicographique, grammatical et exégétique. Ils sont parmi les plus ardus de cette épître et des autres » (P. Allo). Leon Morris le confirme et dit qu’« aucune explication n’est libre de difficultés ». F.F. Bruce dit à ce sujet : « Nous sommes désavantagés ici en comparaison des Corinthiens. Ils savaient de quoi l’apôtre parlait, puisque ce sont eux qui lui ont posé la question à laquelle il commence à répondre au verset 25. Mais nous, nous sommes comme des gens qui écoutent ce qui se dit à l’une des extrémités d’une conversation téléphonique, nous avons à deviner ce qui est dit à l’autre bout du fil pour reconstruire la situation. »

Les commentateurs se partagent essentiellement entre l’interprétation que la BS a mise dans le texte et celle qu’elle reproduit en note. La troisième option a été avancée par certains exégètes et traducteurs : c’est celle que suggère Darby et qui a été transcrite ainsi par PV : « 36 Si quelqu’un pense qu’il y a trop d’inconvénients à rester célibataire, si ses désirs le subjuguent et qu’il s’estime déshonoré en dépassant seul la fleur de l’âge, qu’il suive l’inclination de son cœur et fasse ce qui lui semble bon : il ne pèche pas. Que ces gens-là se marient donc ! 37 Mais, d’un autre côté, si quelqu’un se sent libre de toute contrainte extérieure et qu’il est arrivé en son for intérieur à la ferme décision de rester célibataire, il fait bien. En somme, celui qui se marie fait bien et celui qui renonce au mariage fait mieux encore. » C’est aussi l’interprétation de la version de Mülheim.

Comment est-il possible d’arriver à des interprétations si divergentes ? Le mot sensible dans ce texte est celui de parthenos (vierge). Il peut être indifféremment masculin ou féminin (voir v.25, 28; #Ap 14.4) ; il peut aussi avoir un sens neutre (A. Bailly : Dictionnaire grec-français p.667). On peut donc traduire garder sa vierge par garder sa fille (vierge) c’est-à-dire ne pas la marier, ou garder sa fiancée (vierge) c’est-à-dire ne pas l’épouser, ou garder sa virginité, c’est-à-dire rester célibataire. Cette troisième option, cependant, qui s’accorderait bien avec le contexte et s’inscrirait le mieux dans la situation actuelle, n’est généralement pas retenue par les exégètes (sauf W. Barclay). Restent donc les deux premières ; les anciens commentaires penchent pour la première solution : le père qui marie sa fille (qui était celle de S. Jean Chrysostome), les nouveaux pour la deuxième. Le traducteur devra se décider pour l’une ou l’autre interprétation avant de rédiger son texte.

Dans son commentaire de 1 Corinthiens, Chr. Senft résume ainsi les arguments contre la première interprétation, celle du père qui marie sa fille :

1. Jusqu’ici Paul s’adresse aux partenaires d’un éventuel mariage ; peut-il introduire le père par un simple tis ?
2. Pourquoi ce père, qui a résolu d’imposer le célibat à sa fille, a-t-il subitement le sentiment d’une « conduite indécente » envers elle, quand elle est huperakmos, c’est-à-dire (comme il faut alors comprendre) quand elle a dépassé la maturité ?
3. N’est-il pas singulier que Paul loue la fermeté de cœur d’un père qui ne s’impose aucun sacrifice, mais qui persiste à abuser de sa puissance paternelle ?
4.S’il s’agit d’un père et de sa fille, est-il naturel de dire : « Qu’ils se marient » ? Le P. Allo masque la difficulté en traduisant : « qu’on se marie » ;
la Bible de la Pléiade altère le texte : « Qu’il la marie » (1 Corinthiens Delachaux 1979, p.108).


Autres objections : « sa propre vierge » est une expression curieuse pour « sa fille » (L. Morris, qui opte pour l’autre solution) ; huperakmos peut signifier « au-delà de la maturité », mais le sens habituel du mot est : trop passionné (Moffatt : « si sa passion sexuelle est trop forte », F.F. Bruce : « si ses passions sont trop fortes »).

L’idée que le père commettrait un péché en ne mariant pas sa fille est singulière. Elle se comprend mieux s’il s’agit de gens qui auraient fait un vœu de ne pas avoir de relations sexuelles en vivant ensemble et qui auraient peur de pécher en rompant ce vœu. Gordon Fee attire l’attention sur tout ce que Paul dit de l’homme. Quatre fois il répète que cet homme doit agir avec une pleine conviction personnelle :

1. s’il a résolu dans son cœur (kardia),
2. sans pression (anagkè),
3. s’il a autorité sur sa volonté (exousia),
4. s’il a décidé dans son cœur (ke kriken en idia kardia).


Il pouvait donc y avoir des influences extérieures capables de l’amener à une décision contraire à celle qu’il prendrait s’il n’y avait pas de pression, s’il pouvait décider en son cœur avec une pleine autorité sur sa volonté en contrôlant, en maîtrisant ses désirs (« having his desire under control » F.F. Bruce). Cette insistance est vraiment curieuse pour un père qui décide de garder sa fille vierge. Elle se comprend beaucoup mieux s’il s’agit de quelqu’un qui prend la décision de « rester célibataire » (BS). Paul prend toutes ces précautions parce qu’il y avait à Corinthe un courant d’opinion qui prônait le célibat comme supérieur au mariage (#1Co 7.1).

Dans les versets 32 à 34, Paul a présenté les avantages du célibat comme permettant de mener « une vie bien ordonnée » pour être « attaché au Seigneur sans partage ». Il semblait parler à des gens qui ont la liberté de choisir entre le célibat et le mariage, disant par exemple que la jeune fille qui rest célibataire n’a « d’autre souci que les intérêts du Seigneur, pas d’autre désir que de se dévouer à lui corps et esprit » (v.34). Ne serait-ce pas un peu se moquer des gens si, ensuite, l’apôtre donnait au père les pleins droits pour décider à sa place, en laissant la jeune fille complètement en-dehors de la question ? Ne serait-ce pas une manière de contrevenir à l’exhortation qu’il adresse aux Colossiens : « Pères, n’exaspérez pas vos enfants » (3.21).

L’idée de « fiancés spirituels » a légitimement de quoi nous hérisser. Pourtant, cette habitude existait bien dans l’Eglise ancienne. Hermas en Parle - élogieusement — dans son Pasteur (Sim. IV, 11). Elle fut finalement interdite par l’Eglise « à cause des abus de plus en plus fréquents qu’elle entraînait » (J. Hering, 1 Corinthiens Delachaux 59 p. 61). Il semble que cela ait correspondu aussi à certaines habitudes dans le monde païen. G. Fee cite l’exemple de Callisthène qui demande à un père la main de sa fille et lui promet de « ne pas la toucher jusqu’à ce qu’elle le désire elle-même ». Rétroactivement, il dit au père : « J’ai gardé ta fille vierge » en utilisant la même formule que l’apôtre Paul ici.

Nous nous demandons bien sûr : Pourquoi l’apôtre n’a-t-il pas réagi contre cette habitude ? Mais, au fond, y avait-il là une situation de péché (il y en avait déjà tant contre lesquels il a été obligé de réagir dans cette lettre) ? Si ces jeunes se comportaient en toute pureté comme des fiancés, rien à redire. S’ils ne pouvaient plus maintenir ce statut : « Qu’ils se marient ». Rien à redire non plus. Ces versets gardent leur valeur au 20e siècle dans cette option (contrairement à l’autre, qui fait accuser le christianisme d’encourager le paternalisme autoritaire) : après tout, c’est le conseil que nous donnons à tous les fiancés : restez purs pendant toutes les fiançailles (j’en ai connus qui sont restés fiancés — et purs — pendant 7 ans). Mais si vous sentez que « vos passions sont trop fortes » (hyperakmos), avancez la date de votre mariage : « mieux vaut se marier que de se consumer en désirs insatisfaits » (v.9).

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MessageSujet: Re: Comprendre la phrase    Comprendre la phrase  Icon_minipostedMer 02 Mai 2012, 9:16 pm

ERF2011 a écrit:
Comprendre la phrase

C’est le travail principal du traducteur. Nous verrons dans un chapitre suivant comment se fait cette compréhension à partir des noyaux de pensée sous-jacents à la formulation caractéristique de chaque langue.

« Les mots ont une signification dans un contexte » (Bruce Waltke). Ferdinand de Saussure, appelé le « père de la linguistique moderne » comparait le langage à un jeu d’échecs : la valeur de chaque pion dépend non seulement de sa valeur propre et de sa place, mais aussi de la place des autres pions. Chaque fois qu’un joueur déplace l’un de ses pions, cela affecte tous les autres sur l’échiquier et change leur valeur. La signification d’un mot dépend de l’ensemble des autres mots de la phrase. La phrase : « Le ténor a chanté juste » a un certain sens, mais si j’ajoute « avant le sermon », le début de la phrase prend un sens totalement différent. Tout le monde sait ce que signifie le mot mouche ; mais ce mot n’a plus du tout le même sens dans les expressions : « Prendre la mouche », « faire mouche » ou « pattes de mouches ». C’est pourquoi il est important de décider si l’on veut traduire les mots ou le sens de l’ensemble d’une phrase.

J. C. Margot utilise une autre image pour montrer que les mots ne prennent de sens que par leur contexte : « en examinant une mosaïque, on voit qu’elle est formée de petites pierres ayant des couleurs diverses. Si l’on considère ces pierres isolément, tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’elles sont noires, blanches, rouges, vertes, etc., mais sans avoir une signification particulière ; ce qui leur donne un sens, c’est la façon dont l’artiste les a disposées les unes par rapport aux autres pour représenter la scène qu’il avait en vue. De même, pris isolément,les mots ont chacun une certaine ‘couleur’, ils évoquent les diverses acceptions que mentionne le dictionnaire à leur sujet, mais sans que l’on puisse anticiper sur le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans tel ou tel message. En effet, seule la façon dont on les dispose les uns par rapport aux autres ou, plus précisément, la structure du texte composé par un auteur, est à même d’opérer un tri dans leurs acceptions pour qu’ils deviennent ensemble le support d’un message précis. » « Il est (donc) essentiel de prendre conscience de cette vérité admise par tous les linguistes : c’est la position d’un mot par rapport à son contexte soit syntaxique, soit sémantique, qui détermine l’acception dans laquelle ce mot doit être pris. »

Un passage dont la traduction varie considérablement d’une version à l’autre est #1Co 7.36-37. S’agit-il de marier sa fille ou d’épouser sa fiancée ? ou encore de rester ou non célibataire ? Telles sont les trois options entre lesquelles se partagent les traductions.

Segond traduit : « Si quelqu’un regarde comme déshonorant pour sa fille de

dépasser l’âge nubile, et comme nécessaire de la marier, qu’il fasse ce qu’il veut, il ne pèche point. Mais celui qui a pris une ferme résolution, sans contrainte et avec l’exercice de sa propre volonté, et qui a décidé en son cœur de garder sa fille vierge, celui-là fait bien. Ainsi, celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux. ».

Darby rend ce passage de la manière suivante : « Si quelqu’un estime qu’il agit de manière inconvenante à l’égard de sa virginité, et qu’elle ait passé la fleur de son âge, et qu’il faut que cela soit ainsi, qu’il fasse ce qu’il veut : il ne pèche pas-qu’ils se marient. Mais celui qui tient ferme dans son cœur, et qui n’est pas sous l’empire de la nécessité, mais qui est maître de sa propre volonté et a décidé dans son cœur de garder sa propre virginité, fait bien. Ainsi, et celui qui se marie fait bien, et celui qui ne se marie pas fait mieux. » Pour virginité, Darby met en note : ou : sa vierge. C’est dans ce sens que vont les versions modernes comme la BFC et la BS, qui traduit ainsi : « Mais si un fiancé craint de mal se comporter envers sa fiancée, à cause de ses ardents désirs, et pense que les choses doivent suivre leur cours normal, qu’il fasse ce qui lui semble bon : il ne commet pas de faute. Que ces fiancés se marient donc ! Si un fiancé a pris en lui-même une ferme résolution, sans y être contraint, mais dans la pleine possession de sa volonté, si la décision qu’il a ainsi prise en lui-

même est de rester célibataire, il fera bien. En somme, celui qui épouse sa fiancée fait bien, et celui qui ne se marie pas fera encore mieux. » En note : « L’interprétation de ce verset est difficile. Certains pensent que Paul traite de la responsabilité d’un père à l’égard de sa fille et proposent cette traduction : Mais si quelqu’un juge manquer aux convenances envers sa fille parce qu’elle a passé l’âge et qu’il est de son devoir d’agir ainsi, qu’il fasse ce qu’il veut ; il ne commet pas de faute : qu’on se marie. »

Tous les interprètes s’accordent à reconnaître que ces versets « présentent un nombre extraordinaire de difficultés d’ordre lexicographique, grammatical et exégétique. Ils sont parmi les plus ardus de cette épître et des autres » (P. Allo). Leon Morris le confirme et dit qu’« aucune explication n’est libre de difficultés ». F.F. Bruce dit à ce sujet : « Nous sommes désavantagés ici en comparaison des Corinthiens. Ils savaient de quoi l’apôtre parlait, puisque ce sont eux qui lui ont posé la question à laquelle il commence à répondre au verset 25. Mais nous, nous sommes comme des gens qui écoutent ce qui se dit à l’une des extrémités d’une conversation téléphonique, nous avons à deviner ce qui est dit à l’autre bout du fil pour reconstruire la situation. »

Les commentateurs se partagent essentiellement entre l’interprétation que la BS a mise dans le texte et celle qu’elle reproduit en note. La troisième option a été avancée par certains exégètes et traducteurs : c’est celle que suggère Darby et qui a été transcrite ainsi par PV : « 36 Si quelqu’un pense qu’il y a trop d’inconvénients à rester célibataire, si ses désirs le subjuguent et qu’il s’estime déshonoré en dépassant seul la fleur de l’âge, qu’il suive l’inclination de son cœur et fasse ce qui lui semble bon : il ne pèche pas. Que ces gens-là se marient donc ! 37 Mais, d’un autre côté, si quelqu’un se sent libre de toute contrainte extérieure et qu’il est arrivé en son for intérieur à la ferme décision de rester célibataire, il fait bien. En somme, celui qui se marie fait bien et celui qui renonce au mariage fait mieux encore. » C’est aussi l’interprétation de la version de Mülheim.

Comment est-il possible d’arriver à des interprétations si divergentes ? Le mot sensible dans ce texte est celui de parthenos (vierge). Il peut être indifféremment masculin ou féminin (voir v.25, 28; #Ap 14.4) ; il peut aussi avoir un sens neutre (A. Bailly : Dictionnaire grec-français p.667). On peut donc traduire garder sa vierge par garder sa fille (vierge) c’est-à-dire ne pas la marier, ou garder sa fiancée (vierge) c’est-à-dire ne pas l’épouser, ou garder sa virginité, c’est-à-dire rester célibataire. Cette troisième option, cependant, qui s’accorderait bien avec le contexte et s’inscrirait le mieux dans la situation actuelle, n’est généralement pas retenue par les exégètes (sauf W. Barclay). Restent donc les deux premières ; les anciens commentaires penchent pour la première solution : le père qui marie sa fille (qui était celle de S. Jean Chrysostome), les nouveaux pour la deuxième. Le traducteur devra se décider pour l’une ou l’autre interprétation avant de rédiger son texte.

Dans son commentaire de 1 Corinthiens, Chr. Senft résume ainsi les arguments contre la première interprétation, celle du père qui marie sa fille :

1. Jusqu’ici Paul s’adresse aux partenaires d’un éventuel mariage ; peut-il introduire le père par un simple tis ?
2. Pourquoi ce père, qui a résolu d’imposer le célibat à sa fille, a-t-il subitement le sentiment d’une « conduite indécente » envers elle, quand elle est huperakmos, c’est-à-dire (comme il faut alors comprendre) quand elle a dépassé la maturité ?
3. N’est-il pas singulier que Paul loue la fermeté de cœur d’un père qui ne s’impose aucun sacrifice, mais qui persiste à abuser de sa puissance paternelle ?
4.S’il s’agit d’un père et de sa fille, est-il naturel de dire : « Qu’ils se marient » ? Le P. Allo masque la difficulté en traduisant : « qu’on se marie » ;
la Bible de la Pléiade altère le texte : « Qu’il la marie » (1 Corinthiens Delachaux 1979, p.108).


Autres objections : « sa propre vierge » est une expression curieuse pour « sa fille » (L. Morris, qui opte pour l’autre solution) ; huperakmos peut signifier « au-delà de la maturité », mais le sens habituel du mot est : trop passionné (Moffatt : « si sa passion sexuelle est trop forte », F.F. Bruce : « si ses passions sont trop fortes »).

L’idée que le père commettrait un péché en ne mariant pas sa fille est singulière. Elle se comprend mieux s’il s’agit de gens qui auraient fait un vœu de ne pas avoir de relations sexuelles en vivant ensemble et qui auraient peur de pécher en rompant ce vœu. Gordon Fee attire l’attention sur tout ce que Paul dit de l’homme. Quatre fois il répète que cet homme doit agir avec une pleine conviction personnelle :

1. s’il a résolu dans son cœur (kardia),
2. sans pression (anagkè),
3. s’il a autorité sur sa volonté (exousia),
4. s’il a décidé dans son cœur (ke kriken en idia kardia).


Il pouvait donc y avoir des influences extérieures capables de l’amener à une décision contraire à celle qu’il prendrait s’il n’y avait pas de pression, s’il pouvait décider en son cœur avec une pleine autorité sur sa volonté en contrôlant, en maîtrisant ses désirs (« having his desire under control » F.F. Bruce). Cette insistance est vraiment curieuse pour un père qui décide de garder sa fille vierge. Elle se comprend beaucoup mieux s’il s’agit de quelqu’un qui prend la décision de « rester célibataire » (BS). Paul prend toutes ces précautions parce qu’il y avait à Corinthe un courant d’opinion qui prônait le célibat comme supérieur au mariage (#1Co 7.1).

Dans les versets 32 à 34, Paul a présenté les avantages du célibat comme permettant de mener « une vie bien ordonnée » pour être « attaché au Seigneur sans partage ». Il semblait parler à des gens qui ont la liberté de choisir entre le célibat et le mariage, disant par exemple que la jeune fille qui rest célibataire n’a « d’autre souci que les intérêts du Seigneur, pas d’autre désir que de se dévouer à lui corps et esprit » (v.34). Ne serait-ce pas un peu se moquer des gens si, ensuite, l’apôtre donnait au père les pleins droits pour décider à sa place, en laissant la jeune fille complètement en-dehors de la question ? Ne serait-ce pas une manière de contrevenir à l’exhortation qu’il adresse aux Colossiens : « Pères, n’exaspérez pas vos enfants » (3.21).

L’idée de « fiancés spirituels » a légitimement de quoi nous hérisser. Pourtant, cette habitude existait bien dans l’Eglise ancienne. Hermas en Parle - élogieusement — dans son Pasteur (Sim. IV, 11). Elle fut finalement interdite par l’Eglise « à cause des abus de plus en plus fréquents qu’elle entraînait » (J. Hering, 1 Corinthiens Delachaux 59 p. 61). Il semble que cela ait correspondu aussi à certaines habitudes dans le monde païen. G. Fee cite l’exemple de Callisthène qui demande à un père la main de sa fille et lui promet de « ne pas la toucher jusqu’à ce qu’elle le désire elle-même ». Rétroactivement, il dit au père : « J’ai gardé ta fille vierge » en utilisant la même formule que l’apôtre Paul ici.

Nous nous demandons bien sûr : Pourquoi l’apôtre n’a-t-il pas réagi contre cette habitude ? Mais, au fond, y avait-il là une situation de péché (il y en avait déjà tant contre lesquels il a été obligé de réagir dans cette lettre) ? Si ces jeunes se comportaient en toute pureté comme des fiancés, rien à redire. S’ils ne pouvaient plus maintenir ce statut : « Qu’ils se marient ». Rien à redire non plus. Ces versets gardent leur valeur au 20e siècle dans cette option (contrairement à l’autre, qui fait accuser le christianisme d’encourager le paternalisme autoritaire) : après tout, c’est le conseil que nous donnons à tous les fiancés : restez purs pendant toutes les fiançailles (j’en ai connus qui sont restés fiancés — et purs — pendant 7 ans). Mais si vous sentez que « vos passions sont trop fortes » (hyperakmos), avancez la date de votre mariage : « mieux vaut se marier que de se consumer en désirs insatisfaits » (v.9).


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MessageSujet: Re: Comprendre la phrase    Comprendre la phrase  Icon_minipostedJeu 03 Mai 2012, 6:30 am

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