Bonjour,

Voici un topic visant à recueillir des données sur les différentes composantes qui composaient le tissu religieux des sociétés arabes de l'Antiquité tardive.

Commençons par les Sabéens/Elkasaïtes:

Les Pères de l'Église à l'image d'Épiphane de Salamine ont brossé des portraits pour le moins péjoratif de ce groupe judéo-chrétien ("N'étant ni chrétiens, ni juifs, ni grecs, mais quelque chose d'intermédiaire au fond ils ne sont rien..." In Panarion)
Elkasaï juif de l'Empire parthe (actuelle Iran) a fondé son mouvement au deuxième siècle. Le sacrifice se substitue au baptême. Beaucoup de ressemblances avec les Ébionites dont il pourrait en être un prolongement. Toutefois l'eau relève de la thaumaturgie et devient presque l'objet d'une vénération. D'où la pratique intensive de l'immersion des hommes et des aliments. Cette importance de l'immersion et cette doctrine ultrabaptiste nous permette de faire le lien avec l'appellation de Sabéens vu dans le Coran et plus largement dans la Tradition islamique. Nous pouvons rapprocher la pratique sabéenne de retraite dans les grottes et celle de Muhammad, le Prophète de l'Islam s'est sûrement inspiré de ce groupe. Des auteurs musulmans narrent que la jeune communauté musulmane était appelée du noms de Sabéens car ils partageaient la même profession de foi (du moins la première profession de la Shahada définitive). La christologie des Elkasaïtes dérive de celle de beaucoup de judéo-chrétiens qui refusent la divinité du Christ et ne professent que sa messianité. À leurs yeux, JESUS est le dernier des prophètes, le "sceau de la prophétie", expression que l'on retrouve dans la Tradition islamique mais cette fois pour Muhammad. JESUS est un ange qu'ils parent de toutes les vertus et doublent d'un être féminin tout aussi imposant, nommé Saint-Esprit (interaction flagrante avec des courants pagano-chrétiens ou la troisième personne de la Trinité était féminine pour un prolongement avec les triades de dieux ou du caractère sainte d'une matrone divine telle Junon). Les Elkasaïtes croient en la métempsycose: le Christ a transmigré de cors en corps, partant de celui d'Adam pour intégrer finalement celui de JESUS. Une même âme peut animer plusieurs corps à la suite. Cette vision renvoie également à un hadith célèbre. Cette communauté rejette certains passages de l'Ancien Testament et des Évangiles et réservent à Paul un sort peu enviable dans l'Apocalypse d'Elkasaï, remis au fondateur par un ange. L'Elkasaïsme a été peut-être l'un des premiers mouvements judéo-chrétiens connus en Iran. Présent en Transjordanie/Arabie/Palestine et... Rome ! Le mouvement perdure au moins jusqu'au 10ème siècle (et continue de vivre peut-être chez les Mandéens).

(à suivre)

Située sur un affluent de l'Euphrate, Harrâ était une des plus importantes cités de la Djezireh. Le site en était antique: on y a découvert des stèles, en caractères cunéiformes, du dernier roi babylonien Nabonide (Vème siècle avt. J-C). Au milieu du sixième siècle, le "paganisme" était encore majoritaire ans un certain nombre de cités ou de cantons de Haute-Mésopotamie. C'était le cas de Harrân, en dépit d'une solide implantation chrétienne de type monastique depuis le quatrième siècle. Sans doute était-ce encore la situation au temps de la conquête arabe. La littérature hagiographique syriaque nous parle aussi d'un Siméon des Olivers, évêque monophysite de Harrân en 700 qui travaillait à convertir les Manichéens, les Païens et les Juifs de la cité et de ses environs.
Selon le géographe Yaqût, "Harrân était le lieu ou étaient établis les Sabéens: il s'agit des Harraniens dont parlent les auteurs d'ouvrages sur les religions et les sectes". On s'est beaucoup interrogé sur les Sabéens de Harrân, dont certains chercheurs estiment qu'on doit les distinguer des Sabéens mentionnés dans le Coran (2:62 et 5:69) dans une liste d'origine incertaine. On a vu dans les Harraniens soit une secte gnostique, soit plutôt les représentants, non pas tant d'une véritable école philosophique de métier que d'un courant intellectuel utilisant les philosophes, en particulier Platon.
Au dixième siècle, le géographe Masûdî disait avoir "vu à Harrân, sur le marteau de la porte du lieu de réunion des Sabéens, une inscription en caractères syriaques, tirée de Platon qui dit: "Celui qui connaît sa nature devient dieu"".
Les Sabéens seront dans la civilisation de l'islam classique des représentants et des propagateurs des traditions médicales antiques. Ils sont également connus comme d'importants prosélytes de leur doctrine, jusqu'à ce que des auteurs musulmans en confèrent le sens étymologique à sabéen et en cohérence avec cette appellation donnée aux premiers Musulmans par les Mecquois (vu au post précédent). Pour illustrer cela, prenons l'exemple d'Umar alors calife avait renforcé cette tradition en transférant d'Alexandrie à Harrân une école de médecine.Marwan II, dernier calife omeyyade en fera sa capitale.
L'un des plus célèbres sabéens de cette citée, Thâbit Ibn Qurra sera célèbre comme mathématicien et astronom et traduira en arabe bon nombre de manuscrits grecs.