La Chaloupe Saint-Leu : Ils attendent la Vierge
Clicanoo, 17 janvier 2006 par Georges Lazarre et Adrien Lecomte Photos : . Laï-Yu
[Texte intégral]
“Une apparition de la Vierge est prévue pour le 8 février prochain”. C’est un mystérieux groupe de prière de la Chaloupe Saint-Leu qui l’annonce. Depuis des mois, le mouvement prépare l’événement et la petite case située face à la mairie annexe attire de plus en plus d’adeptes. Le curé estime de son côté qu’il s’y passe des choses “pas très catholiques” et met en garde les paroissiens contre le piège d’un mouvement sectaire.
“Revenez le 8 février au soir, vous allez mieux comprendre. Pour le moment, c’est tout ce que nous pouvons dire.” Après avoir précisé que l’apparition est attendue vers 22 heures, les responsables des lieux se font laconiques. Tout au plus nous ont-ils concédé cinq minutes de discussion. Au début de ces courts échanges, “l’apparition prochaine de la Vierge” est clairement annoncée. “Tout le monde pourra y venir. Ce sera un événement ouvert au grand public, explique-t-on. Mais pour ne pas perturber son bon déroulement, les appareils photos et les caméras seront interdits...” Selon les habitants de la Chaloupe, ce “mystérieux” groupe de prière prépare cet événement surnaturel depuis des mois. Les adeptes affluent ainsi régulièrement pour assister aux cérémonies religieuses organisées à l’intérieur de la propriété. Il n’y a semble-t-il pas de jours précis et en général ça se passe en fin de journée, jusqu’à tard dans la nuit, et le week-end. Ce dimanche encore, il n’y avait plus une seule place de stationnement libre sur le parking extérieur de la mairie annexe. Les voitures ont même été garées au niveau de la rue des Pervenches voisine... La première cérémonie et les premières prières ont débuté vers 7 h du matin et ont duré plus de deux heures. Pas moyen d’y assister, le filtrage est efficace. “Revenez un autre jour et vous pourrez entrer. Nous sommes simplement en réunion. Il n’y a pas de prière ce matin”, affirme un des responsables des lieux. “Revenez plutôt le 8 février”, conseille un autre... De toute évidence, l’assistance est triée sur le volet ou se compose déjà de “fidèles” patentés...
UNE CLÔTURE ET UNE OMBRIÈRE DE PLUS DE 3 M DE HAUT
Le site fait face à la mairie annexe de la Chaloupe et surplombe légèrement la Départementale 3. Une gigantesque croix de plus de 7 mètres s’élève dans le ciel. La petite propriété transformée en lieu de culte abrite deux bâtiments. Une statue de la Vierge tournée vers la route domine le balcon de l’un des deux corps de bâtiment auquel a été accrochée une bruyante cloche. Celle-ci est régulièrement sonnée avant, pendant et après les cérémonies. Si comparaison il y a avec une église, celle-ci s’arrête là. Le site où est attendue la Vierge dans moins d’un mois est ceinturé par une épaisse clôture doublée sur plus de trois mètres de haut d’une ombrière de serre. Comme pour éviter tout regard indiscret de la route. D’autant plus que la propriété est adossée à une épaisse végétation. Deux portails donnent sur la D3 dont l’un pour le passage des voitures. Mais ce dimanche matin au moment des célébrations, ces accès étaient condamnés par une chaîne et un cadenas. “C’est ainsi tous les jours”, selon un riverain. Comme quoi, il faut vraiment montrer patte blanche pour accéder au “sanctuaire”.
UN PAROISSIEN AVERTI EN VAUT DEUX
Même le curé de la paroisse n’y est pas le bienvenu. “Une fois j’ai été agressé par un membre de cette secte devant la mairie”, assène le Père Jeanette. "Secte", le mot est lâché par le chef de la paroisse. L’imposante “croix d’amour”, plantée en ces lieux signe pour lui comme une hérésie... Ce serait “une croix Dozulé”. “Cette croix fréquente en métropole notamment du côté de la Normandie, est bien celle utilisée par un mouvement sectaire”, poursuit le curé de la paroisse Notre-Dame des enfants. “La Normandie où la femme qui dirige le mystérieux groupe de prière habitait autrefois”. Cette femme, ce serait une certaine “Madame G”. C’est elle qui avait pris sous son aile un certain Juliano de Savanah. Celui qui prétendait être témoin de l’apparition de la Vierge à travers les feuilles de palmiers, qui a eu par la suite des ennuis judiciaires et même fait un court séjour à l’établissement public de santé mentale. “Ce sont les neveux de cette dame qui dirigent les prières”, affirme un habitant de la Chaloupe. Le Père Jeannette, lui, a pris les devants : “J’ai mis en garde les paroissiens pour qu’ils ne se laissent pas attirer et pour qu’ils ne tombent pas dans le piège. Pour l’instant en tout cas, cette présence là-bas n’affecte pas la paroisse. Et parmi ceux qui fréquentent ce lieu de prière, il n’y a pratiquement pas d’habitants de la Chaloupe”. Dans le quartier, la présence de cet “étrange groupe de prière” commence à inquiéter et même agacer. “Un soir, tard entre 22 heures et 23 heures, mon frère a été surpris en plein virage par un groupe de personnes qui circulaient avec des petites lumières”, raconte une animatrice de chorale, évoquant une retraite aux flambeaux, “événement de plus en plus fréquent”. Et l’affaire se déplace même sur le terrain politique. Élu de l’opposition, Philippe Boisvilliers annonce son intention de saisir la majorité municipale. “Je ne suis pas contre le fait que des gens se réunissent pour prier, mais je trouve étonnant qu’ils agissent ainsi en cachette”, dit-il. “Parfois, il n’y a plus une seule place de parking lorsque les administrés viennent à la mairie. Le maire doit faire quelque chose. D’autant plus que le bruit de leur cloche est insupportable”.
DE QUOI ONT-ILS PEUR ?
Pas de transparence. Le mystérieux groupe de prière de la Chaloupe Saint-Leu reste très discret sur ses activités. Malgré de nombreux coups de téléphone ainsi que plusieurs visites, le Jir n’est pas parvenu à obtenir une interview.
Alerté sur un étrange rassemblement de croyants dans une case de la Chaloupe Saint-Leu, le Jir a ensuite tenté de joindre ces adorateurs de la Vierge Marie. Peine perdue ces derniers ont tous refusé de parler. Ils se sont contentés de confirmer les rumeurs affirmant que l’un d’entre eux pouvait entrer en contact avec la Sainte Vierge tout les huit du mois. Mais que se passe-t-il exactement et qui est cet homme qui prétend avoir des apparitions ? “Je ne peux pas vous en dire plus, je ne peux pas prendre cette responsabilité, il faut d’abord que j’en réfère au Principal, sans son accord, je n’ai pas le droit de vous en parler.” Voilà la seule réponse apportée à ces interrogations, par la propriétaire de la maison où se réunissent les croyants. Interrogée sur l’identité de ce mystérieux “Principal” dont elle reçoit des instructions, elle s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’“une personne anonyme”. Joint par téléphone, un autre fidèle affirmait quant à lui qu’il “ne pouvait pas faire confiance à un journaliste sans avoir d’abord l’autorisation de l’Éternel.” “Nous ne voulons pas qu’on nous présente comme une secte”, expliquait également cette même personne.
ILS SONT NOMBREUX
Malheureusement, tout ce mystère qui entoure les rites pratiqués dans la case qui fait face à la mairie annexe, fait justement penser au secret dont savent si bien jouer les gourous au sein des sectes. Pourquoi ne pas expliquer ce qui se passe ? Les habitants de la Chaloupe Saint-Leu aimeraient bien eux aussi comprendre ce qui pousse tous ces croyants à se réunir dans cette maison qui, a priori, n’a rien d’exceptionnel. “C’est vrai qu’il y a beaucoup de monde qui se retrouve dans cette case, parfois ils sont vraiment très nombreux. On ne sait pas pourquoi ils se regroupent là-bas”, témoignent les employées municipales qui travaillent dans le bâtiment juste en face. Un autre habitant de la Chaloupe Saint-Leu raconte : “Il y a des gens qui viennent là tous les dimanches matin vers 7 h 30, ils sont au moins une centaine. Je ne sais pas ce qu’ils font, apparemment ils célèbrent la messe, mais la maison est petite, je me demande comment ils font pour tous rentrer dedans. En tout cas, c’est pas des gens de la Chaloupe, il y en a qui viennent de Saint-Paul et peut-être même de plus loin.” Décidément le manque de transparence qui entoure ces apparitions de la Vierge, laisse tout le monde perplexe
REPÈRE
Le souvenir du Petit Lys d’amour “Marie, madone de la réparation, ma mère, ma confiance, priez pour nous”. C’est la prière adressée par les membres du mystérieux groupe de prière de la Chaloupe. C’est cette même prière qui était déjà récitée en novembre 2002 lorsque, à Savannah, un jeune du quartier prétendait être témoin des apparitions de la Vierge. L’Oasis de paix - le nom donné au lieu de rassemblement et de prières - avait parfois du mal à contenir la foule accourue à cette annonce. Un groupe formé par des personnes issues des différentes régions de l’île et partageant l’engagement religieux du jeune Saint-Paulois qu’il avait baptisé “le petit Lys d’amour”. À l’époque déjà, l’évêque de la Réunion avait mis en garde contre ce qu’il appelait une “dérive sectaire” et appelait les fidèles “à retrouver le chemin de l’Église”. Une réaction de chef de l’église à la Réunion qui aura ébranlé les membres du “cercle d’amour”. Même si, dans un communiqué, le “Petit lys d’amour” invitait simplement à “plus de prières encore”. Quelques jours plus tard, le petit Lys d’amour s’est retrouvé au centre d’une sombre affaire d’escroquerie. Il a même fait un séjour au CHS de Saint-Paul.