The man of the future
Activiste electro, Chris Korda milite contre l'"ordre mondial hétéro". Son clip, mêlant images du 11 septembre et éjacs faciales, est un must. Rencontre.
Alors que le capital a avalé, recyclé et réinjecté dans le marché, sous emballage, toutes les formes de résistance contre-culturelle qu'on a tenté de lui opposer ces cinquante dernières années (beat generation, Blaxploitation, féminisme, militantisme gay, mouvement punk, hip-hop, techno culture...), il est réjouissant de constater qu'il ne reste pas que des doux dingues en ce bas monde. Pardon, J2M, George "Dubya" Bush et autres tyrans de l'inhumaine démocratie occidentale, il faut encore compter sur de vrais bons tarés pur jus, nihilistes, antipatriarcat, anti-bons sentiments, violeurs de familles nucléaires, pathologiquement contrariés par la prison que nous nous sommes construite. Le "révérend" Chris Korda est de ceux-là. La quarantaine trippée, la calvitie désordonnée, un visage d'elfe et les yeux trop ouverts sur le monde qui nous entoure, le frêle ingénieur de Boston est l'une des figures underground de la musique électronique. Le garçon donne aussi dans le transgenre, le travestissement, tout ça... Parce que, visiblement, il n'est pas si fier d'appartenir à la caste des hommes hétérosexuels qui régit le monde, Chris est aussi Chrissy depuis ses 18 ans. "Mais je ne suis ni trans ni homo! Enfin, j'ai essayé... J'ai vécu à Provincetown, au milieu des drag-queens, mais les gays ont entre eux des comportements similaires à ceux des hétéros de base. Et puis la plupart des mecs que je levais en Chrissy ne cherchaient qu'à se faire sucer vite fait. En fait, je me sens assez lesbienne." Alors Chris trouve des prétextes pour se mettre en robe... En 1992, il fonde l'Église de l'euthanasie, groupe philosophico-cynique prêchant la réduction drastique de la population afin de préserver ce qui reste de notre Terre nourricière. "Nous sommes probablement la première Eglise antihumaniste en activité! poursuit Chris. Nous ne sommes pas écolos; l'écologie est la bonne conscience vaine du monde occidental. Nous prônons le dépeuplement volontaire grâce aux quatre piliers de l'Église - avortement, cannibalisme, suicide, sodomie -, afin de rétablir l'équilibre entre espèce humaine et espèces non humaines. Mais nous ne défendons pas la guerre, le meurtre ou toute violence mortelle: en tant qu'Église, nous sommes contre la souffrance, sauf si elle est sciemment auto-infligée..." Loin d'être illuminé, le noyau dur de l'Église de l'euthanasie serait plutôt une bande d'informaticiens sadomaso et intellos, de postdadaïstes fatalistes et de vieux goths-punks toujours prêts à faire des bêtises de kids. L'ennemi? L'ordre mondial blanc et patriarcal qui a asservi la terre à la satisfaction de besoins fabriqués par la servile classe moyenne occidentale. Les armes? Activisme décadent (à coups de banderoles géantes, de manifs sauvages grotesques ou de squats baroques de shows TV) et coups d'éclat musicaux. Chris Korda, comme Miss Kittin, fait partie depuis 1997 de la courue écurie bavaroise Gigolo Records. Son dernier opus (images ci-contre), I like to watch, est un clip de cinq minutes où s'enchaînent, dans un montage "artisacrade", des images du 11 septembre et d'éjac faciales hystéro, le tout au rythme de l'electro-boogaloo de Chris. Côté paroles, c'est sans détour: "J'aime regarder l'avion qui rentre, j'aime regarder les flammes qui crachent; des gens plongent dans la rue pendant que je reste assis sur mon cul"... Inutile, cependant, de chercher ce titre chez votre disquaire: "Depuis sa mise en ligne, il y a déjà eu plus de 100000 téléchargements, mais aucun producteur n'ose le sortir... même pas en Europe."
TIPHAINE KAZI-TANI