La propagande contre les Témoins de Jéhovah sous le IIIe Reich et en R.D.A.
Toutes les Églises ont été peu ou prou persécutées par les systèmes idéologiques qui ont marqué le XXe siècle. C’est le cas des Témoins de Jéhovah qui ont subi la plus farouche opposition en Allemagne, sous le IIIe Reich, puis en République Démocratique Allemande. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les membres de cette dénomination chrétienne, alors persécutés à 97 % par les nazis, ont cinq années pour se réorganiser avant d´être à nouveau frappés par l´interdiction communiste. Dans les deux cas ils ont subi le feu d’une propagande intense. Nous décrirons successivement les différentes techniques mises en oeuvre par les deux régimes en nous intéressant tout particulièrement au second. Enfin, nous tenterons d´estimer ce qui, de ces méthodes, est resté dans la mémoire collective du peuple allemand et dans ses bibliothèques.
La propagande hitlérienne
«Toute propagande doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des facultés d´assimilation du plus borné parmi ceux auxquels elle doit s´adresser. Dans ces conditions, son niveau spirituel doit être situé d´autant plus bas que la masse des hommes à atteindre est plus nombreuse. Mais quand il s´agit, comme dans le cas de la propagande pour tenir la guerre jusqu´au bout, d´attirer un peuple entier dans son champ d´action, on ne sera jamais trop prudent quand il s´agira d´éviter de compter sur de trop hautes qualités intellectuelles. […] La propagande vise à imposer une doctrine à tout un peuple […] la propagande agit sur l´opinion publique à partir d´une idée et la rend mûre pour la victoire de cette idée. »
L´objectif de la propagande hitlérienne est donc clair : il s’agit de conditionner la conscience des individus et l’opinion publique, et ainsi d´inhiber tout esprit critique.
Ceux qui ont subi la propagande hitlérienne sont nombreux et peuvent être classés en deux catégories. D´un côté il y a ceux qui ont été persécutés pour ce qu´ils étaient : les Juifs, les Romas et les Sintis, les Polonais, et d´un autre côté, ceux qui l´ont été pour ce qu’ils
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faisaient : les homosexuels, les communistes, les résistants, quelques adventistes et la quasi totalité des Témoins de Jéhovah (97 % d´après l´historien Friedrich Zipfel).
En juillet 1929, le parti Deutschnationale Volkspartei (DNVP), mené par Hugenberg, pangermaniste convaincu, magnat de la presse et du cinéma allemands, scelle une alliance avec le Nationalsozialistiche Deutsche Arbeiter Partei (NSDAP) (Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands) dont Hitler, sorti de prison en 1925, avait repris la direction. La propagande nazie s’exerce alors déjà dans de nombreux secteurs, les principaux étant : le sport, les arts, la musique, le théâtre, le cinéma, la radio, les documents pédagogiques et la page imprimée sous toutes ses formes (livre, brochure, presse).
L´outil privilégié utilisé dans le cadre de la propagande contre les Bibelforscher (appellation des Témoins de Jéhovah jusqu´en 1931) est le support écrit.
La presse
Dès 1933, le régime met en place un appareil de contrôle politique, idéologique et économique sans faille. Le NSDAP a établi trois dirigeants : Joseph Goebbels pour la propagande, Max Amann pour l´ensemble de la presse nationale socialiste et ses éditeurs, et Otto Dietrich, chef de la presse du Reich.
Le monde de la presse écrite, constitué jusqu´alors de plus de 3 400 quotidiens, va se réduire considérablement. De nombreux journalistes hostiles au régime sont mis en examen. Les journaux à tendance bourgeoise exercent une autocensure, dans certains cas par crainte et dans d´autres par conviction, ce qui leur vaut d´être épargnés dans un premier temps. En 1935 Goebbels rend juridiquement possible la liquidation des maisons d´édition privées. Les informations sont filtrées et les journalistes sélectionnés. Fin 1944, il n´existe plus que 625 petits journaux privés, qui ne couvrent que 17, 5 % des lectures à l´échelle nationale, contre 82, 5 % sous tutelle gouvernementale. C´est ce contexte qu´il faut garder à l´esprit.
Observons à présent la méthode adoptée pour discréditer les Témoins de Jéhovah par la presse en analysant quelques articles.
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• Sechsämter neueste Nachrichten, 6 décembre 1933. Le journal fait le compte rendu du procès de deux Témoins de Jéhovah ayant distribué des exemplaires du Goldenes Zeitalter (une de leurs revues) en juin 1933. Pour leur défense les accusés font appel à l´article 135 de la constitution qui garantit la liberté de religion et de conscience. Le journaliste rapporte le refus du juge pour qui la liberté d´opinion est garantie dans la mesure où elle ne perturbe pas le bon fonctionnement du nouvel État. Les deux Témoins sont condamnés à une amende et à une peine de prison.
• Heilbronner Tagblatt, 14 juillet 1933. Dans l’article «Hinter den Kulissen der Zeugen Jehovas», Hans Hauptmann dénonce l´idéologie séditieuse propagée par le Juge Rutherford (l´un des précurseurs américains du mouvement des Témoins de Jéhovah). Le Juge Rutheford est qualifié de prophète démoniaque à la solde de la communauté juive, de fou et de diable menaçant qui prône l´usage de l´Ancien Testament. Le dernier paragraphe est une ode obséquieuse au gouvernement et à son Führer, l´interdiction des Bibelforscher y est célébrée comme la victoire d´une bataille. Le ton et le contenu de l´article constituent un parfait exemple de la façon dont le gouvernement dirige la presse.
• En 1934, un journal paroissial, le Heiligenbeiler Zeitung, publie un dossier de quelques pages intitulé Die Maske herunter! (Bas les masques!) qui dénonce les dangereux faits et gestes du Juge Rutherford et des Témoins de Jéhovah, et les accuse d´avoir de dangereux objectifs politiques sionistes, les qualifiant de «bolchéviques juifs internationaux».
• Nationalblatt, 26 juin 1936. Un communiqué relate le procès de deux femmes et d´un homme de la ville de Cologne, qui auraient parlé de leurs convictions malgré l´interdiction. Taxés de fanatiques pour avoir prêché des idées antimilitaristes, ils sont condamnés à la prison. La phrase de conclusion est un appel à l’action contre les Témoins de Jéhovah : «Wir müssten uns mit allen Kräften dagegen wehren, dass unser Volk verdorben werde.» («Nous devrions déployer toutes nos forces pour empêcher que notre peuple soit corrompu.»)
• Un article paru le 8 juillet 1936 à Düsseldorfi rapporte l’arrestation et le procès de deux femmes âgées livrées à la police par une personne à laquelle elles avaient parlé de leurs croyances. Le fils d’une de ces femmes veut la faire passer pour folle mais échoue.
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L’auteur de l’article affirme que les doctrines des Témoins de Jéhovah seraient propagées part de nombreux communistes.
On pourrait citer d’autres articles qui présentent le même trait : rapprochement des Bibelforscher avec Juifs, franc-maçons, bolcheviques, communistes et marxistes, et poursuivent la même fin : discréditer les Témoins de Jéhovah et prévenir la population qu´en s´alliant aux Témoins de Jéhovah elle s’expose à de sérieuses représailles : amende, peine de prison, perte de son emploi, remise en cause générale des moyens d´existence.
Les livres
La propagande contre les Bibelforscher a commencé bien avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Dans son livre Weltvernichtung durch Bibelforscher und Juden (Destruction du monde par les Étudiants de la Bible et les Juifs) paru en 1925, Auguste Fetz dévoile les liens qui existeraient entre l´organisation des Bibelforscher et la communauté juive. Dans un précédent ouvrage (Der Grosse Volks- und Weltbetrug durch die ‘Ersten Bibleforscher’ !) publié en 1924, Fetz a déjà accusé les Témoins de Jéhovah de poursuivre, à eux seuls, les objectifs de la franc-maçonnerie, du bolchevisme, de l´anarchie et du judaïsme, afin de provoquer une révolution et une anarchie mondiales, et un nouvel esclavagisme mondial. Selon Fetz, les nombreuses références, dans leurs écrits, au nom hébreu de Dieu (Jéhovah) ainsi que la mention de prophètes tels Abraham, Isaac et Jacob, font d’eux de dangereux militants sionistes. L´Association internationale des Étudiants de la Bible serait en réalité une organisation juive.
Dès 1923, Alfred Rosenberg, chargé par le Führer de la surveillance de l´ensemble des formations et éducations spirituelles et idéologiques de la NSDAP, dénonce les Bibelforscher comme étant au service des Juifs, chargés d´hypnotiser les masses et de les préparer à la domination mondiale juive. Il conclut que les Bibelforscher sont dans le domaine ecclésiastique et religieux ce que sont la démocratie et le marxisme en politique.
Ces rumeurs, savamment entretenues pendant des années, répandent l´idée selon laquelle les Étudiants de la Bible seraient une organisation annexe du gouvernement secret juif, elles rendent légitime la délation civile, elles justifient la condamnation et l’internement dans les camps de concentration des Témoins de Jéhovah.
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La désinformation ayant fait son oeuvre, les Témoins de Jéhovah sont définitivement interdits dans le Reich par le ministère de l’Intérieur de Berlin, le 24 juin 1933. L’arrêté précise : « Pour combattre les menées communistes » témoignant de l’efficacité de la rumeur. Le bilan de leur interdiction pendant les douze années suivantes, selon Willi Pohl, est le suivant : « Plus de 14 000 d’entre eux, originaires d’Allemagne et des pays occupés, ont été directement victimes des nazis. Environ 10 000 fidèles ont été condamnés à une peine de prison, et plus de 4 000 envoyés en camp de concentration […] Beaucoup de leurs enfants ont été enfermés dans des foyers d’éducation nazis ou confiés à des familles fidèles au régime. En se basant uniquement sur les registres, on peut affirmer que plus de 1400 Témoins de Jéhovah ont été assassinés par les nazis. »ii
Au sortir de la guerre, l´Allemagne va se diviser. Les Allemands de l´Est subiront une propagande politique au service d’une autre idéologie mais aux méthodes similaires.
La propagande communiste en République Démocratique Allemande
La République démocratique allemande (RDA), nom officiel de l'Allemagne de l'Est, naît le 7 octobre 1949. Elle cesse d'exister après sa réunification avec la République fédérale d'Allemagne (RFA) le 3 octobre 1990, pour former l'actuelle Allemagne. Durant plus de quarante ans la population a subi le joug communiste sous tutelle soviétique.
Les Soviétiques favorisent le renforcement du rôle du Parti communiste (KPD). Les sociaux-démocrates du Parti social-démocrate (SPD) fusionnent avec les communistes, dans la zone d'occupation soviétique, en avril 1946. Ils fondent le Sozialistische Einheit Deutschlands (SED), Parti Socialiste Unifié. Le SED représente dès lors la première force politique d'Allemagne de l'Est.
A l'issue du « congrès du Peuple », le 30 mai 1949, on proclame la Constitution d´une république de nature identique aux démocraties populaires de l'Europe de l'Est. Un régime au parti unique s'installe, s´appropriant le contrôle de l'opinion par une police politique, la Stasi. Avec ses 100 000 agents et peut-être un demi million d’indicateurs pour 16 millions d’habitants, la Stasi va ficher le tiers de la population.
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Pour le SE, la propagande doit servir à éduquer les travailleurs, à les équiper de solides idées révolutionnaires marxistes et léninistes et à les armer idéologiquement afin qu’ils puissent combattre l´anticommunisme, les idéologies impérialistes de la bourgeoisie, le nationalisme, le révisionnisme communiste et en général toutes les nouvelles formes d´idéologie bourgeoise.iii Trois membres du bureau politique de la SED sont directement responsables de la propagande: Kurt Hager (idéologie, science, culture, éducation populaire), Werner Lamberz, remplacé en 1978 par Joachim Hermann, (politique médiatique, presse, radio, télévision) et Albert Norden (responsable des partis bourgeois, du front national en RDA, du mouvement pour la paix mondiale).
Le Ministère de la Sûreté de l’Etat, das Ministerium für Staatssicherheit (MfS) créé le 8 février 1950 est un instrument efficace du SED. Il est, selon les paroles d´Erich Mielkes,iv le bouclier et l´épée du parti. Le MfS va prendre des mesures contre les agents de l´impérialisme, au rang desquels les Témoins de Jéhovah. Ce ministère se voit confier la tâche d´opérer avec la justice, la police populaire et la presse contre les Témoins de Jéhovah perçus comme un groupe concurrent, véhiculant une « idéologie rivale»v composante du monde des affaires américain.
Le principe d’action du MfS est celui de Zersetzung. Le dictionnaire de la Sûreté Nationalevi en décrit l’objectif et les méthodes : « Le but de la Zersetzung est la cassure, la paralysie, la désorganisation et l´isolement des forces ennemies négatives, pour ainsi éviter des actions hostiles et négatives en prévenant leurs effets.» Une politique de Zersetzung exprime donc une volonté de démoralisation, de subversion, de dissolution et de sabotage. Elle vise à diviser les membres de l´organisation, par exemple, en jetant le discrédit sur des responsables.
Le bureau politique prévoit des mesures drastiques contre les Témoins de Jéhovah. En voici la liste :
• La presse et la radio sont invitées à apporter des preuves concrètes de la propagande impérialiste américaine. Les sections : Culture, Education et Agitation des masses, ainsi que les secrétariats pour les femmes et la jeunesse sont exhortés à suivre de près les Témoins de Jéhovah et à fournir des informations aux médias.
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• Un tampon de licence de la SMA (Sowjetische Militäradministration, en français Administration militaire soviétique) doit être visible sur tous les imprimés circulant dans la zone occupée. Ceux qui n´en disposent pas sont immédiatement réquisitionnés.
• Les administrations nationales et communales doivent être officiellement informées du fait que les Témoins de Jéhovah n´ont pas le droit de disposer de salles publiques ou de salles d´école pour leurs rassemblements.
• Le parti et les autres organisations ne doivent pas mettre de locaux à la disposition des Témoins de Jéhovah. La presse du parti et la presse des organisations démocratiques de masse n´ont plus le droit d´embaucher de Témoins de Jéhovah.
• Toutes les réunions doivent être préalablement déclarées auprès des autorités. Toutes les réunions non déclarées doivent être interdites et dissoutes.
• Dans tous les cas où des orateurs des Témoins de Jéhovah iraient à l´encontre de la protection de l´ordre démocratique, des mesures pénales peuvent être appliquées.
• Les départements des églises au sein des ministères pour la formation du peuple, reçoivent des indications pour établir des listes avec le nom et l´adresse des Témoins de Jéhovah fonctionnaires de façon à les surveiller.
• Le secrétariat pour la jeunesse reçoit pour tâche d´élaborer des mesures concrètes pour réduire l´influence que peuvent avoir les Témoins de Jéhovah sur les jeunes gens. Des expositions doivent être organisés à cet égard.
• Le département des femmes doit élaborer des mesures pour agir auprès des femmes des Témoins de Jéhovah.
• Les Témoins de Jéhovah qui entrent dans les organisations de masse avec leur propagande impérialiste américaine doivent être exclus de ces organisationsvii.
Les mesures (résumées ci-dessus) éditées le 13 septembre 1949, précédent l´interdiction officielle des Témoins de Jéhovah en RDA le 31 août 1950. L´interdiction est précédée d’une campagne nationale de désinformation et de criminalisation des Témoins de Jéhovah. Une telle campagne ne s´improvise pas, elle est préparée avec minutie, méthode et de gros moyens.
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Les organisations investigatrices de la propagande contre les Témoins de Jéhovah
Le principal instigateur de l´ensemble des attaques contre les Témoins de Jéhovah est le parti, le SED. Au sein du bureau politique du SED figure un département "Presse et Information" chargé de la surveillance des activités religieuses. Cette fonction est reprise en juin 1947 par le département "Publicité, Presse, Radio". En 1950, le service est transformé en département Agitation qui prend la direction des médias. Un département «Propagande» lui est par la suite ajouté. Parallèlement, sous ordre soviétique, l’État fonde «Le service principal pour l´information» connu sous le nom d’ «Agence pour l´information» dès octobre 1949.
Le slogan du parti est le suivant : « Notre presse : l´arme la plus efficace du parti ».En RDA, un journaliste est un fonctionnaire politique chargé d´aider activement à imposer l´idéologie socialiste. La presse, qui peut donc être considérée comme un organe de l´État établi par le SED et le Ministère de la Sûreté de l’Etat, est utilisée en conséquence comme nous le verrons plus loin. Mais avant cela présentons d´autres moyens employés par l´État pour discréditer et criminaliser les Témoins de Jéhovah en RDA.
En 1965, est fondée la Christliche Verantwortung (Responsabilité Chrétienne), directement mandatée par le Ministère de la Sûreté de l’Etat. Cet organisme, qui édite une revue du même nom, a pour mission de toucher les Témoins de Jéhovah et de les gagner à la cause communiste sous le couvert d´une organisation religieuse. Elle est composée majoritairement d´anciens Témoins de Jéhovah qui déposent régulièrement la revue Christliche Verantwortung chez leurs anciens coreligionnaires.
Le fondateur de cette organisation,Willy Müllerviii, a sympathisé avec les Témoins de Jéhovah en 1920 et l’est devenu en 1946. Arrêté en septembre 1950, il est relâché avant d´avoir entièrement purgé sa peine. Dès lors, il est considéré par le Ministère de la Sûreté de l’Etat comme un agent potentiel, ce qui ne tarde pas à se concrétiser.
Le Ministère de la Sûreté de l’Etat emploie quelques Témoins de Jéhovah ayant changé de bord ou des personnes l’étant devenues dans le but de les espionner. L´appellation donnée à ses « agents» est IM (Inoffizielle Mitarbeiter), c’est-à-dire des « Collaborateurs officieux ». Leur tâche est bien définie. Ils doivent :
• Trouver le plus de renseignements possibles sur chaque membre du mouvement
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• Découvrir les moyens de liaison et de transmission du courrier
• Trouver des faits compromettants qui rendraient les personnes concernées sensibles aux moyens de pression
• Trouver des indices ou des griefs d´insatisfaction dans les communautés et chez les individus. Les comportements contestataires doivent être renforcés pour mener si possible à des divisions
• Si une faute est commise par un croyant, les informateurs doivent tout mettre en oeuvre pour qu’il soit exclu afin de renforcer leur réputation d’intégrité. Lorsqu´un membre actif de l´organisation devient dangereux pour les intérêts du parti, des fautes peuvent lui être attribuées et construites de toutes pièces par les informateurs.ix
D´autres organisations spécifiques sont utilisées. Deux d´entre elles sont Opfer des Faschismus (OdF) (les Victimes du Fascisme), et Vereinigung der Verfolgten des Naziregimes (VVN) (l´Union des Persécutés du Régime Nazi).
Au printemps 1950 tout se bouscule dans l´univers des Témoins de Jéhovah ayant connu les camps et les prisons nazis. Leur status de victime est remis en cause, la seule condition de victime du régime nazi n´est plus suffisante. Pour être considéré comme victime du système hitlérien, il faut également avoir une attitude « exemplaire » au sein de la nouvelle société socialiste.
Les Témoins de Jéhovah se voient retirer les avantages et les pensions liés à leur status de victimes du régime nazi. « Pas de pitié pour les ennemis du peuple » peut-on lire dans les journaux. Dans l´un d´entre eux, les sympathisants des Témoins de Jéhovah sont directement visés. On essaie de leur « ouvrir » les yeux en relatant les dires de communistes ayant partagé le sort des Témoins de Jéhovah dans les camps de concentration. Les Témoins de Jéhovah y auraient refusé de combattre l´ennemi nazi et de se joindre aux attaques internes. Ils sont taxés de psychopathes religieux, de vers de Bible, de lâches et de traîtres. Les moyens d´existence des Témoins de Jéhovah victimes du nazisme sont alors sérieusement remis en cause.
Certaines organisations démocratiques de masse sont également utilisées par les autorités communistes comme, entre autres, Demokratischer Frauenbund Deutschlands (DFD) (Union Démocratique des Femmes d´Allemagne) et Freie Deutsche Jugend (FDJ)
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(Jeunesse Allemande Libre)x, sont officiellement mises à contribution en vue de fournir aux médias des éléments compromettant contre les Témoins de Jéhovah. Les femmes reçoivent également pour mission de s´en prendre aux femmes des Témoins de Jéhovah et de mettre tout en oeuvre pour les faire rejoindre le rang des « démocrates ».
Les principaux instruments de l’offensive nationale
La presse
L´analyse quantitative des articles de presse démontre une évolution remarquable au début des années cinquante. De janvier au 8 août 1950, 17 articles sont publiés. A compter du 23 août les lecteurs sont envahis d´articles sur les Témoins de Jéhovah. Les statistiques montrent que depuis cette date jusqu´au 6 octobre 1950 plus de 200 articles et rapports sont écrits sur eux. Le mois de septembre bat des records avec la publication de 126 articles. Le 5 septembre à lui seul voit paraître 20 articles. Au cours des deux jours suivants 16 articles sont publiés, traitant avant tout de l´interdiction. Le même schéma se reproduit le mois suivant. Le 4 octobre 1950, 16 articles sont rapportés, et à nouveau 20 articles le jour suivant à propos du procès. A partir du 6 octobre, la quantité d´articles commence à décroître. Jusqu´au mois de décembre, 44 textes sont publiés, puis une dizaine en 1951. Jusqu´en 1960 on ne trouve que quelques articles isolés. Ce n´est qu´en 1989 que le nom de Témoins de Jéhovah réapparaît sur la scène médiatique.
Un examen attentif de la couleur politique des éditeurs révèle que les organes communistes Tägliche Rundschau et Neues Deutschland ainsi que quelques organes de presse régionaux de la SED apportent une large contribution à la campagne, et donnent ainsi le ton aux articles qui suivent. Presque tous les articles de cette époque sur les Témoins de Jéhovah sont d´origine communiste. En 1950 Neues Deutschland et Tägliche Rundschau passent la main au Neue Zeit, l´organe interrégionale de la Christlich-Demokratische Union (CDU), petit parti chrétien. Durant trois semaines le journal publie quotidiennement au moins un article, alors que Neues Deutschland ne s´y remet que le 29 août 1950. Dans une deuxième phase, les rédacteurs du Neues Deutschland dictent à leurs lecteurs ce qu’ils sont censés penser des Témoins de Jéhovah.
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Le SED est l’ordonnateur qui tire les ficelles dans l’ombre. En effet, 58 % des articles publiés de 1948 à 1960 ont pour origine la presse régionale et interrégionale dirigée par le SED. La plupart des articles visent les masses populaires travailleuses ainsi que certains groupes sociaux : les jeunes, les écoliers, les enseignants, les prêtres, les mères et les pères de famille, l´élite intellectuelle, les ouvriers, les paysans, les victimes du régime nazi, ainsi que les organisations de masse.xi
Examinons à présent de manière chronologique le contenu des articles de presse.
Les griefs formulés contre les Témoins de Jéhovah avant l´interdiction prononcée le 31 août 1950, exploitent la peur du public et placent les Témoins de Jéhovah qui ont été dans les camps nazis au rang de fascistes.
Le 20 février 1949 un article est publié dans le quotidien Tägliche Rundschau selon lequel les Témoins de Jéhovah auraient une attitude hostile à l´encontre de l´Allemagne démocratique et les identifie à une agence américaine impérialiste.
Dans Die Frau von heute du 2 mars 1949, les Témoins de Jéhovah sont accusés de prôner l´utilisation de la bombe atomique, leur attribuant des propos belliqueux selon lesquels Dieu serait pour la guerre atomique.
Das Neue Deutschland daté du 3 juin 1949 dépeint les Témoins de Jéhovah comme étant des instigateurs de guerre, en citant, pour cautionner cette affirmation, le discours d´un orateur Témoin de Jéhovah qui en parlant du jugement dernier aurait dit que la guerre serait inévitable. Ces « opposants » de l´Allemagne démocratique serait en campagne contre les élections et dissuaderaient les Allemands d´aller voter.
Un article de Stefan Heymann daté du 16 septembre 1949 publié dans Neues Deutschland à la page 4, et intitulé « Zeugen der Wall Street », en français « Les Témoins de Wall Street » (titre repris par plusieurs journaux), se propose de mettre l´organisation à nu. Ce rapport s´en prend aux victimes du régime nazi qui n´auraient en rien gagné leur status officiel, n´ayant fait preuve, dans l´enceinte des camps, d´aucune initiative visant à attaquer l´ennemi. Stefan Heymann ancien déporté qui reconnaissait jusque là l´attitude anti-fasciste des Témoins de Jéhovah desquels il avait partagé le sort à Buchenwald, se met à renier ses
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propres déclaration et à prétendre que les Témoins de Jéhovah sont dangereux pour le présent et qu´ils contribuent à l´affaiblissement de l´existence nationale. Les Témoins de Jéhovah auraient, d´après lui, l´intention de détourner les travailleurs de leur tâche, à savoir la reconstruction d´une économie indépendante et sans crise. Ils exhorteraient, d´après cet article, les paysans à ne plus travailler pour la récolte, ce qui ne ferait que prolonger le système communiste. D´autres tenteraient, au sein des usines, de convaincre les travailleurs que la hausse de la production serait l´oeuvre de Satan. Dieu aurait créé l´homme, non pour travailler mais pour "se la couler douce", un effort activiste équivaudrait au mépris de la volonté divine. Le jugement dernier prêché par les Témoins serait, selon Heymann, une guerre contre l´Union Soviétique. Il continue en accusant les Témoins de Jéhovah de n´avoir jamais été anti-fascistes mais d’être une organisation américaine de propagande capitaliste. Ils y sont qualifiés de saboteurs et d´ennemis de la nation.
Le 23 août 1950, est lancée une campagne qui vise à faire accroire que l´ensemble du peuple réclame des mesures contre les Témoins ainsi que leur interdiction. Les arguments de Stefan Heymann sont remodelés et réutilisés. Les Témoins y sont décrits comme étant une dangereuse secte nihiliste et destructrice. L´auteur de l´article intitulé « Falsche Propheten » (Faux prophètes) paru dans Neue Zeit le 23 août 1950, met l´accent sur le fait que les Témoins seraient des agitateurs sur leur lieu de travail. Sous le même titre paraît trois jours plus tard un autre article dans Der Demokrat qui clame qu´il est temps de leur dire énergiquement stop. Une semaine après, les arguments sont repris par le journal Die Norddeutsche Zeitung sous le titre de « Prophètes de la fin du monde ». Le rédacteur termine son article en écrivant que l´époque est trop sérieuse et la situation du peuple allemand trop difficile pour tolérer ce genre d´agissement sans mot dire.
Le 26 août 1950 le quotidien Neue Zeit reprend le thème de la destruction et lui donne un caractère d’actualité. Cette fois les Témoins de Jéhovah sont présentés comme les apôtres de la guerre, désireux de détruire l´humanité par la bombe atomique. « Jeder ehrliche und friedliebende Deutsche aber wird den Vertretern dieser finsteren Weltanschauung die Tür weisen!» (Mais chaque Allemand honnête et pacifique fermera la porte aux représentants de cette obscure vision du monde!) L’article donne à entendre que les personnes acceptant de discuter avec un Témoin désirent la guerre et approuvent la corruption.
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Une fois leur réputation démolie, l’opinion publique est prête à accueillir favorablement l’interdiction des Témoins de Jéhovah. Le 30 avril 1950, plusieurs centaines de Témoins sont arrêtés. Le 31 août 1950 l´interdiction est officiellement prononcée.
Selon les journaux régionaux, des résolutions et des pétitions civiles demandant l’interdiction auraient été signées par toutes les couches de la société.xii Mais il n´a jamais été trouvé trace de ces dernières. Cependant, elles sont censées légitimer l’interdiction prononcée de manière démocratique pour le bien du peuple.
L´interdiction d´une « secte religieuse » pose un problème juridique car elle est contraire à la constitution de la RDA. Dès lors, les Témoins de Jéhovah vont être présentés comme des criminels.
Un article du Die Schwereriner Landes-Zeitung du 11 septembre 1950 rapporte l´exclusion des Témoins de Jéhovah d´un cercle d´anciens déportés pour motif d´espionnage. Un procès contre neuf Témoins de Jéhovah est médiatisé au mois d´octobre. Ils sont condamnés à de lourdes peines de prison pour espionnage, sabotage, boycott et incitation à la guerre. La plupart d´entre eux ont déjà connu les camps de concentration nazis. Le but de ces lourdes condamnations est de dissuader les Témoins de Jéhovah de poursuivre leurs activités et de « protéger » la jeunesse allemande de leur mauvaise influence. La pression s’accroît. L´Union, du 26 août 1950, cite les noms de Témoins de Jéhovah en donnant jusqu’à leur adresse. Ce même article est publié le 29 août dans le Sächsische Zeitung et le Lausitzer Rundschau.
La campagne atteint des sommets lorsqu’on en vient à accuser les Témoins de Jéhovah de meurtre et d´incitation au meurtre. On quitte le registre idéologique au profit du fait divers.
Le premier cas est celui d´un nommé Lebelt. Cet homme, sorti de prison en 1948, souffre de nombreuses blessures de guerres à la tête qui lui valent régulièrement des examens médicaux. En mai 1949, l´agence pour l´emploi l´envoie, malgré son état, travailler dans des carrières de pierre, où il perd la tête. Il assassine sa femme le 25 mai 1949. Il se serait alors rendu en ville couvert de sang en prétendant avoir fait une offrande à Dieu. Ses deux filles ont eu le temps de s´échapper en sautant par la fenêtre. Lebelt n’a jamais été Témoin de Jéhovah, mais il aurait effectivement assisté plusieurs fois au culte. Le meurtre a été commis en mai
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1949, mais il n’est médiatisé qu’en été 1950. La date du crime a été reportée d´un an, de mai 1949 à mai 1950. Neue Zeit, Union, Freie Presse, Mitteldeutsche Tageszeitung, die Volksstimme, Chemnitz, Sächsische Zeitung et Neues Deutschland reprennent la nouvelle et l’amplifie en présentant Lebelt comme étant Témoin de Jéhovah.
Le second scandale est un infanticide suivi d´un suicide. Brundhilde Demuth poignarde son fils le 4 septembre 1950 puis se suicide. Le crime est en réalité commis le 28 février 1950 mais il n´est médiatisé qu´en septembre 1950 tout comme le premier meurtre. Le rapport de police qui date du 9 mars 1950 démontre que l´état physique et mental de Madame Demuth est depuis longtemps inquiétant. Elle aurait exprimé plusieurs fois son intention de se suicider, ce qui n´aurait jamais été pris au sérieux.
Le 5 septembre 1950, Neues Deutschland publie un article à ce sujet intitulé : « Zum Kindes- und Selbstmord getrieben » (Poussée à l´infanticide et au suicide). On publie d´atroces photos de l´enfant un couteau dans la gorge à côté d´une photo de différentes publication des Témoins de Jéhovah. Le Berliner Zeitung du 6 septembre intitule son article « Eine "Zeugin" ermordet ihr Kind » (Une ‘Témoin’ assassine son enfant). Cette femme n´est pas Témoin de Jéhovah, elle ne s´est même jamais intéressée à cette religion, mais un crime d´une telle horreur ne peut que servir à sa criminalisation.
De 1950 à 1962, les arrestations se multiplient. Plus de 2200 Témoins de Jéhovah, dont 325 qui ont connu les camps de concentration nazis, sont arrêtés et incarcérés, douze sont condamnés à perpétuité, mais leur peine est par la suite été réduite à 15 ans, 60 meurent en prison. Au total, sous la RDA, plus de 5 000 Témoins ont été envoyés dans des camps de travaux forcés ou dans des centres de détention pour motif de prosélytisme et d’objection de conscience.
Mais la presse n´est pas le seul organe « efficace » dans ce domaine. Trois livres sur les Témoins de Jéhovah, chefs d´oeuvre de manipulation communistes, ont marqué et marquent encore l´opinion publique.
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Les Livres
Parmi les anciens Témoins de Jéhovah employés par le MfS figure Dieter Pape, qui « travaille » sous le nom de collaborateur officieux (IM) « Wilhelm ». Ce dernier joue un rôle considérable dans la campagne de diffamation contre les Témoins de Jéhovah en RDA et même au-delà des frontières. Dieter travaille pour le ministère depuis 1956, lorsqu´il prend contact avec Paul Balzereit, ancien Témoin de Jéhovah, devenu un opposant. Il travaille également avec Willy Müller, éditeur de la revue Christliche Verantwortung présentée dans un des sous-chapitres précédents.
Dieter Pape est le principal instigateur de la campagne de diffamation à l´encontre des responsables de la Wachtturm (association Tour de Garde) de l´époque. Son frère, Günther Pape, rédige un livre intitulé Ich war Zeuge Jehovas (J´étais Témoin de Jéhovah) qui paraît en 1961 en RDA et en RFA. Son frère Dieter Pape est quant à lui, responsable de la version ouest-allemande (qu´il aurait écrit lui-même et adapté aux exigences communistes). Dieter est très actif au service du Ministère de la Sûreté de l’Etat (MfS) en Allemagne de l´Est et Günther s´affaire au sein de l´Église catholique en Allemagne de l´Ouest. Peu de temps après la parution de ce livre, le ministère voit la nécessité de publier un ouvrage plus exhaustif sur les Témoins de Jéhovah. C´est ainsi que paraît l´ouvrage Dokumentation.
Les principaux auteurs de ce livre sont Dieter Pape et Ernst Bajanowski. Deux autres collaborateurs officieux (IM) se rallient à l´équipe après la rédaction du manuscrit. A l´un d´entre eux, Manfred Gebhard, est confiée la tâche d´éditer le livre. Ce livre est en fait une oeuvre collective du service principal XX/4/III du MfS. Le livre est publié aux éditions Verlag Hubert Freistühler en Allemagne de l´Ouest. Il est alors vendu au prix modique de 4.30 DM la pièce à 3000 exemplaires pour favoriser sa distribution.
L´ouvrage de Waldemar Hirsch Erarbeitung einer Dokumentation über Jehovas Zeugen als MfS-Auftragswerk cite et commente étape par étape l´élaboration du livre Dokumentation. Les principaux buts poursuivis sont :
• La remise en question par les Témoins de Jéhovah de leur appartenance au mouvement, ainsi qu’un changement de leur attitude envers l’ordre social communiste,
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• le soutien apporté aux groupes d´opposition dans leur combat contre les Témoins de Jéhovah,
• la formation et l´information de tous les organes d´État, comme les organes de sécurité, les autorités judiciaires (juges, procureurs),
• l’information systématique du parti et de ses organisations sociales déléguées par celui-ci, ainsi que leur soutien et leur engagement dans le combat idéologique.
Dans cet ouvrage, on présente les Témoins de Jéhovah comme une secte d´origine américaine alliée de l´armée US. Les principaux responsables sont visés, en particulier Erich Frost et Konrad Franke. La Wachtturm est accusée de véhiculer l´idéologie de Himmler et la doctrine de Truman. On nie que les Témoins de Jéhovah ont été persécutés sous le régime nazi. On insiste sur le fait que les chrétiens dépendent de la société communiste et qu’une bonne collaboration des Témoins de Jéhovah jouerait en leur faveur.
Parmi les nombreuses accusations mentionnées dans ce livre, figure celle que les Témoins de Jéhovah sont pronazis. Elle exploite la Déclaration, Erklärung, adoptée à Berlin le 25 juin 1933. Le but de cette résolution est, en juin 1933, de convaincre les autorités gouvernementales que, contrairement aux accusations portées contre eux, les Témoins de Jéhovah ne sont ni des communistes, ni une organisation juive ou sioniste, et que leurs activités sont apolitiques.
Mais en RDA, sous le Régime communiste, ce texte est réinterprété. Quelques phrases sont soigneusement sélectionnées de façon à leur donner une connotation pronazie. Ainsi la phrase suivante : « Les Étudiants de la Bible d´Allemagne luttent pour les mêmes buts et idéaux éthiques élevés que le gouvernement national du Reich allemand » pourrait prêter à équivoque si elle se terminait là, mais elle se poursuit ainsi : « …. proclama concernant la relation de l´homme à Dieu, à savoir l´honnêteté de la créature envers le Créateur ». Dès lors, l´accord porte sur des questions religieuses et notamment sur la liberté de religion. Nous sommes en 1933, Hitler n´est chancelier que depuis le 30 janvier 1933, et cherche à affermir son pouvoir en trouvant des appuis autour de lui. Entre autres, Hitler veut le soutien des Églises et se prononce en faveur de la liberté religieuse, pour un « christianisme positif ». Il signe un concordat avec le Vatican le 20 juillet. Les Témoins de Jéhovah, qui depuis le mois de mars sont interdits dans plusieurs Länder, comme en Bavière, se déclarent d´accord sur ces idéaux et demandent à bénéficier des mêmes libertés que les autres religions. (Mais la
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Déclaration est mal reçue par le gouvernement qui fait arrêter des Témoins de Jéhovah ayant participé à sa diffusion.) Il s’agit donc de placer les Témoins de Jéhovah dans le camp ennemis des fascistes.
Selon le ministère, Dokumentation doit être accessible à tous, y compris aux prisonniers, aux fonctionnaires, ainsi que dans les autres pays communistes voisins. Tout est fait pour que la participation du MfS à la rédaction du livre n’apparaisse pas. L’éditeur est choisi de façon à ne pas éveiller de soupçon. Le Ministère de la Sûreté de l’Etat fait preuve d´une grande prudence pour rester dans l’ombre. C’est ainsi qu’aujourd’hui ses ouvrages informatifs sont encore mis à disposition dans nombre de bibliothèques.
Résumé et conclusion
Les méthodes de démantèlement employées par le régime allemand lénino-marxiste n´ont rien à envier à celles mises en oeuvre par le régime hitlérien. C´est effectivement avec des méthodes très élaborées que la RDA s´en prend aux Témoins de Jéhovah, en tentant de les diviser de l´intérieur, en calomniant les responsables, et en employant des espions et des collaborateurs officieux (IM) du Ministère de la Sécurité Nationale (MfS). Les médias et principalement la presse, considérés comme des organes à part entière du SED, jouent un rôle déterminant. La presse est d´ailleurs présentée comme « l´arme la plus affûtée du parti ».
Alors que les Témoins de Jéhovah étaient accusés d´être communistes sous le régime hitlérien, ils sont accusés d´être des collaborateurs nazis en RDA, des collaborateurs nazis employés par les services secrets américains impérialistes ... Comme il en faut plus d´après la constitution pour interdire un groupe religieux, on criminalise les Témoins en leur attribuant des crimes sanglants parmi les plus horribles qui ont eu lieu en 1949 et 1950 en Allemagne de l´Est (infanticide, suicide, meurtre du conjoint) de façon à ce qu´ils inspirent irrémédiablement crainte et mépris à la population. Ces accusations cautionnées tacitement par l´État ont nuit aux Témoins de Jéhovah qui ont ainsi été mis au banc de la société.
Pourquoi en parler aujourd´hui ? Est-il vraiment nécessaire de remuer le couteau dans la plaie ? Il n’est pas inutile de rappeler que des méthodes semblables ont été utilisées dans les pays satellites de l´Union Soviétique, comme en Roumanie et en Hongrie par exemple. Il
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serait intéressant de savoir si elles se sont inspirées des méthodes de la RDA. De plus, bien que le Ministère de la Sécurité Nationale (MfS) et la Stasi ont disparu, les livres des "IM", les Collaborateurs officieux, publiés sous la tutelle du (MfS), sont toujours présents sur les rayons des bibliothèques et sont parfois encore considérés en Allemagne et dans certains pays germanophones (Autriche et Suisse allemande) comme des ouvrages informatifs de base sur les Témoins de Jéhovah. Ces livres contiennent nombre d’accusations qui, dans un État de Droit, peuvent être qualifiées de diffamatoires.
Ces agissements ont laissé des séquelles. C´est ainsi que les Témoins de Jéhovah ont dû attendre l’année 2005 pour que le Tribunal de Berlin rende un jugement leur reconnaissant le status de collectivité de droit public (Körperschaft des öffentlichen Rechts). Cette reconnaissance, aboutissement d’un combat juridique de longue haleine, est aussi le fruit des avancées du droit en matière de liberté religieuse.
Carine Beaurain
Dr Phil.
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i PER 8/7/1936 – Jehovas Zeugen, Geschichtsarchiv, Selters/Taunus, Allemagne.
ii Willi, Pohl, « Jehovas Zeugen als NS-Opfergruppe – Erinnerung und Würdigung», in 60. Jahrestag der Befreiung der Häftlinge aus den Konzentrationslagern Sachsenhausen und Ravensbrück sowie aus dem Zuchthaus Brandenburg, Stiftung Brandenburgische Gedenkstäten, Oranienburg, 2005, p. 136.
iii «Beschluss des Politbüros des ZK der SED vom 7.11.1972 über die Aufgaben der AuP. bei der weiteren Verwicklichung der Beschlüsse des VIII. Parteitages» dans Ludz, Peter Christian und Kuppe, Johannes : DDR Handbuch, 2., völlig überarbeitete und erweiterte Auflage, herausgegeben vom Bundesministerium für innerdeutsche Beziehungen, Verlag Wissenschaft und Politik, Köln, p. 6-9.
iv Waldemar, Hirsch, «Die Politik des Ministeriums für Staatssicherheit gegenüber den Zeugen Jehovas», in Gerhard, Besier / Clemens, Vollnhals, Repression und Selbstbehauptung - Die Zeugen Jehovas unter der NS- und der SED- Diktatur, Duncker & Humboldt, Berlin, 2003.
v Gabriele, Yonan (Hg.), Im Visier der Stasi. Zeugen Jehovas in der DDR, Niedersteinbach 2000, page 11.
vi Siegfried, Suckut, Das Wörterbuch der Staatssicherheit, Definitionen zur «politisch-operativen Arbeit», Berlin 1996, sous le terme : Zersetzung, operative.
vii Barch. Berlin, SED-Zentralkomitee, Beschlüsse des Politbüros, Bestand DY 30/IV 2/2/44, Sitzung des Politbüros vom 13.9.1949, Protokoll Nr. 44, Anlage Nr. 2.
viii Gerald, Hacke, Zeugen Jehovas in der DDR - Verfolgung und Verhalten einer religiösen Minderheit, Dresden, 2000, pages 71 et 72.
ix Waldemar, Hirsch, «Die Politik des Ministeriums für Staatssicherheit gegenüber den Zeugen Jehovas» in : Gerhard, Besier / Clemens, Vollnhals, Repression und Selbstbehauptung - Die Zeugen Jehovas unter der NS- und der SED-Diktatur, Dunker & Humboldt, Berlin, pages 124 et 125.
x Annegret, Dirksen, «Nie wieder Ravensbrück!» «Die mecklenburgische Presse als Waffe gegen Andersdenkende» in : Zeitgeschichte regional. Mitteilungen aus Mecklenburg-Vorpommern, 1/03, pages 27 et 28.
xi Annegret, Dirksen, «Die Steuerung der Presse zur Kriminalisierung der Zeugen Jehovas in der SBZ/DDR - Zur Forschung über die Bekämpfung und Ausgrenzung der Zeugen Jehovas» in Gerhard, Besier / Clemens,Vollnhals (Hg.): Repression und Selbstbehauptung: Die Zeugen Jehovas unter der NS- und der SED-Diktatur, Berlin 2003
xii Annegret, Dirksen, «Nie wieder Ravensbrück!» «Die mecklenburgische Presse als Waffe gegen Andersdenkende» in : Zeitgeschichte regional. Mitteilungen aus Mecklenburg-Vorpommern, 1/03, page 31