Alors que les violences en Irak ont pris, depuis plusieurs semaines, un tour tragique avec l'exode des derniers chrétiens du pays en raison de l'avancée des djihadistes de « l'Etat islamique », le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, et le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, ont adressé un communiqué commun, lundi 28 juillet, dans lequel ils se sont dits « favorables » à l'accueil, en France, de ces chrétiens « au titre de l'asile ». Une annonce qui intervient sur fond de mobilisation croissante des milieux catholiques et des cercles politiques de droite, traditionnellement sensibles à ce sujet.
« Ceci est un message pour les chrétiens d'Orient, afin de leur dire que s'ils sont persécutés, la France est là », explique-t-on dans l'entourage du ministre de l'intérieur.
Dans leur communiqué, M. Fabius et M. Cazeneuve s'engagent par ailleurs à « recevoir les représentants en France des communautés chrétiennes d'Irak ». Une attention à laquelle aura aussi droit la délégation de l'Eglise de France emmenée en Irak pour une visite de trois jours, le 27 juillet, par le cardinal Philippe Barbarin.
Aucun dispositif précis n'est toutefois prévu, pour l'heure, pour accueillir plus de chrétiens d'Orient en France. Seule une aide humanitaire de 400 000 euros en faveur des déplacés internes en Irak a été débloquée. « C'est un message, nous verrons ensuite comment cela réagit », justifie-t-on Place Beauvau. Après les tensions autour des manifestations propalestiniennes, on explique vouloir montrer que l'on n'a « pas l'indignation sélective ».
« CE TYPE DE MESSAGE ENCOURAGE LES VIOLENCES À L'ÉGARD DES CHRÉTIENS D'ORIENT »
Une approche très différente de celle menée à l'époque où Nicolas Sarkozy siégeait à l'Elysée. En 2008, à l'initiative du ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, quelque 1 000 familles de chrétiens d'Irak avaient pu trouver refuge en France : certaines au titre de l'asile, d'autres grâce à des facilités de visa. En 2010, du temps d'Eric Besson, alors ministre de l'immigration, ce sont 150 Irakiens qui avaient pu venir en France. Ces deux initiatives avaient toutefois suscité des critiques des associations, choquées par la sélection des candidats à l'asile, qu'ils avaient jugée effectuée sur une base confessionnelle.
Pour l'Association d'entraide aux minorités d'Orient (AEMO), une des structures les plus organisées, aujourd'hui, dans l'accueil des demandeurs d'asile de confession chrétienne originaires d'Irak, de Syrie, ou d'Egypte, la déclaration de M. Fabius et de M. Cazeneuve est un entre-deux peu satisfaisant.
Pour l'AEMO, fondée en 2007 pour l'opération Kouchner, « le vrai problème, c'est qu'il est très difficile de déposer une demande d'asile dans les consulats français. Or pour venir jusqu'en France, il faut payer un passeur et cela coûte de 15 000 à 25 000 euros », détaille sa vice-présidente, Elisabeth Gobry. « Ce type de message encourage les violences à l'égard des chrétiens d'Orient. Il faut développer la protection sur place ! », plaide de son côté Elish Yako, président de l'AEMO et figure de la diaspora franco-irakienne.
Même son de cloche chez le nouveau Comité de soutien aux chrétiens d'Irak (CSCI), créé début juillet par Antoni Yalap, conseiller municipal à Sarcelles (Val-d'Oise). « La déclaration de MM. Fabius et Cazeneuve est à double tranchant. D'un côté, nous saluons ce geste qui rompt le silence, mais nous ne voulons pas qu'il engendre un appel d'air et soit l'instrument des islamistes », estime M. Yalap. Sarcelles abrite la plus importante communauté assyro-chaldéenne de France.
Lire les témoignages : Les chrétiens de Mossoul racontent leur expulsion, froide et implacable
« L'EXTRÊME DROITE DIABOLISE LES MUSULMANS »Ces dernières semaines, le CSCI a manifesté à plusieurs reprises pour mobiliser en faveur des chrétiens d'Irak. Le 20 juillet, il a organisé un sit-in devant le siège de France Télévisions pour dénoncer les écarts d'attention médiatique accordés, selon lui, entre les victimes des bombardements israéliens à Gaza et les morts chrétiens liés aux djihadistes en Irak.
Le conseiller régional UMP d'Ile-de-France Patrick Karam, d'origine libanaise et maronite, a, lui, créé il y a moins d'un an la coordination Chrétiens d'Orient en danger (CHREDO). Une structure grâce à laquelle il se targue d'avoir l'oreille d'Emmanuel Bonne, le conseiller Moyen-Orient de François Hollande. « Il y a un vrai danger d'instrumentalisation », redoute-t-il : « En montrant les persécutions des chrétiens, l'extrême droite diabolise les musulmans. »
Le 26 juillet, un rassemblement a de fait eu lieu sur le sujet, au Trocadéro, à Paris, à l'initiative de personnalités proches du Front national. La veille, une tribune signée par vingt parlementaires et intitulée « Chrétiens d'Orient : silence, on élimine ! », avait été publiée dans l'hebdomadaire Valeurs actuelles. Un texte notamment piloté par la présidente du Parti chrétien-démocrate, Christine Boutin.
Dimanche 27 juillet, une autre manifestation s'est tenue sur le parvis de Notre-Dame à l'appel du CSCI. Le comité ne voulait pas être associé à l'extrême droite. A l'exception du maire PS du 10e arrondissement de Paris, Rémi Feraud, le rassemblement a surtout mobilisé des personnalités de droite : l'ancienne ministre Rachida Dati ou l'ex-candidate à la Mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/07/29/le-gouvernement-propose-d-offrir-l-asile-aux-chretiens-persecutes-d-irak_4464080_3224.html
Les chrétiens en Irak il y a 20 ans :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/22/la-disparition-des-chretiens-d-irak_4461016_4355770.html