Dieu est transcendant. Je crois que nous l'avons suffisamment démontré. Mais Dieu est aussi immanent au monde. Le monde n'est pas Dieu et Dieu n'est pas le monde. Mais cela ne veut pas dire que Dieu soit totalement hors du monde. Le monde ( l'effet) doit se distinguer de sa cause (Dieu), parce qu'aucune cause ne peut communiquer son identité. Si Dieu communiquait tout ce qu'il est au monde, le monde serait pour ainsi dire le «jumeau» de Dieu, ce qui est impossible, pour la raison que nous venons de donner. L'effet n'égale donc jamais la cause, et en ce sens, l'effet est forcément dans un état de dissemblance par rapport à sa cause.
Par contre, chaque être agit selon sa nature. Par conséquent, il se trouve dans la chose produite, dans tous les êtres dans l'univers, quelque chose ressemblant à sa cause. Il y a donc dans la création, quelque chose qui ressemble à Dieu, auteur de toutes choses. Mais, aussi quelque chose de différent. Tout effet ressemble à sa cause d'une certaine façon. Tout effet diffère de sa cause d'une autre façon.
L'idée d'un sculpteur est réalisée dans la statue qui est en train de prendre forme dans son atelier. Le sculpteur réalise la statue dans le marbre, mais il n'est pas celui qui a produit le marbre. Cela est aussi vrai de la création. Le monde que nous connaissons a été tiré du néant et il porte les marques de son Auteur. L'univers si merveilleux dans lequel nous vivons ressemblera de quelque façon à l'Être qui l'a fait sortir du néant, mais dans une similitude d'existence, parce qu'il existera toujours une relation entre LUI et sa créature.
L'esprit humain ne se contente pas d'affirmer que Dieu est l'Auteur du monde. Il cherche à saisir s'il y a des liens entre Dieu et le monde qui est son chef-d'oeuvre. Dieu est-Il uniquement l'architecte qui a conçu et fait les plans de l'édifice et qui l'a abandonné à son sort, ou est-il indispensable pour son existence ? Dieu se désintéresse-t-il de son oeuvre après l'avoir créé, tout comme le sculpteur se désintéresse-t-il de sa sculpture après l'avoir fait surgir du marbre ?
La question est donc: Dieu est-il présent dans l'univers qu'il a crée ? De quelle manière Dieu peut-Il être présent dans le monde ? Y a-t-il une relation entre son oeuvre et lui-même ? Les réponses sont multiples, mais nous allons les réduire à trois: les deux extrêmes et celle du milieu, c'est-à-dire le déisme, le panthéisme d'une part, et l'immanence, d'autre part. Le déisme enseigne que Dieu est détaché de l'univers et donc, qu'il est totalement transcendant. Le panthéisme enseigne que Dieu est identifié à l'univers, donc totalement immanent. La doctrine traditionnelle de l'immanence enseigne que Dieu est à la fois transcendant et immanent au monde. Les Latins disaient: Intra cunta, nec inclusus; Extra cunta, nec exclusus. « Dieu est dans l'univers, mais non enfermé en lui; Dieu est extérieur à l'univers, mais non exclu de lui.»
Le déisme proclame la transcendance de Dieu. Son erreur cependant est de supposer que Dieu, cause première, ou cause suprême, se désintéresse du produit de sa Causalité. Cela ne semble pas logique. La seule raison pour laquelle une cause agit c'est la bonté. La cause ne peut donc pas être indifférente à son oeuvre. Dieu crée donc le monde par pure Bonté et il ne peut pas abandonner ou oublier l'oeuvre du monde à qui il a donné l'existence. Né de l'amour, le monde doit et sera toujours aimé par Celui qui lui a donné d'exister. Le déisme est donc impossible.
Le panthéisme, en revanche, rend impossible l'amour de Dieu en l'identifiant au monde. Si Dieu n'est pas distinct du monde, alors aimer Dieu signifie aimer le monde. Pire encore, le monde s'aimant lui-même. Sans possibilité d'amour, toute morale doit cesser d'exister. Un Dieu qui est la totalité de l'univers ne peut être éthique ou moral. Ce Dieu n'est ni bon ni mauvais. Tout simplement parce que le «TOUT » qu'est Dieu comprend le bien et le mal. On le voit bien: lorsqu'on veut rendre Dieu organique avec l'univers et évoluant avec lui, complique bien les choses.... L'espace-temps devient la matière originelle de Dieu et de l'univers. Ce qui est tout à fait contradictoire comme nous l'avons montré lors de textes précédents. Logiquement, les philosophes ou les professeurs de philosophie qui professent la thèse du panthéisme, devraient ou démissionner ou cesse d'enseigner l'éthique. Ils sont en contradiction avec leur propre discipline.
La solution à ce problème se trouve dans l'immanence de Dieu. Dieu n'est pas uniquement transcendant au monde. Dieu n'est pas uniquement immanent au monde. Dieu est à la fois transcendant et immanent au monde. L'immanence de Dieu peut s'exprimer de trois façons dans l'univers. 1) d'abord substantiellement: dans ce cas, la substance de Dieu ne fait qu'un avec le monde. C'est le panthéisme que nous avons rejeté. 2) Personnellement: union hypostatique dans laquelle la nature de Dieu et la nature de l'homme seraient unies dans l'unité du Christ Sauveur. C'est le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu auquel les catholiques adhèrent. Ce problème relève plus des théologiens. 3) Causalement: à cause de son Acte créateur, par lequel Dieu donna naissance au monde et reste la base omniprésente de toute existence finie et de toute activité. Voilà la vraie notion de l'immanence de Dieu pour un philosophe.
L'immanence de Dieu présuppose d'abord que l'existence de Dieu est déjà prouvée. Ceci étant fait, on peut se demander si le Créateur a laissé sa marque dans la Création, un peu comme l'artiste qui signe son oeuvre. Les oeuvres de Rembrandt n'ont pas besoin d'être signé: on les reconnaît tous aux jeux d'ombres et de lumière. L'Artiste divin est-il tout aussi présent dans Son oeuvre et à quels signes peut-on le reconnaître? La réponse est dans la Causalité avec laquelle Dieu créa l'univers. L'existence dans lequel nous vivons et le monde qui nous entoure est le seul effet de l'Acte divin de la Création auquel toute chose peut être ramenée.
Je résume ici les textes de la Somme théologique Ia, q. 8, a.3 c de Saint Thomas. Une fois de plus, on peut y apercevoir son génie. C'est la meilleure synthèse sur le sujet.
Le philosophe du Moyen Âge dit que l'univers est intelligible en vertu d'une triple cause:
1) La Cause formelle qui répond à la question: « D'après quel plan l'oeuvre fut-elle conçue ?»
2) La Cause finale qui répond à la question: « Pourquoi fut-elle créée ?»
3) La Cause efficiente qui répond à la question: « Qui la créa ? »
Ces trois causes, faut-il le rappeler, préexistent dans une seule Substance. Elles proviennent de la même Substance, sous trois aspects différents. La Cause formelle est l'intellect de la substance dont découle l'idée. La Cause finale est la volonté de la substance dont provient la fin. La Cause efficiente est la puissance de la substance dont découle l'action.
Le sculpteur, avant de réaliser une statue, vérifie si trois conditions peuvent être remplies. D'abord, il doit y avoir une idée ou un modèle et ensuite le désir de le reproduire, c'est-à-dire qu'il doit aimer son idée. Troisièmement, il doit avoir la capacité de réaliser son désir, c'est-à-dire la force de l'exécuter. Si une de ces trois conditions manquent, la statue ne pourra jamais être réalisée.
Quand la sculpture est réalisée, celle-ci révèle non seulement le degré de coopération des trois causes mentionnées plus haut, mais aussi leur degré de perfection chez l'artiste. Plus son idée est noble, plus son amour pour elle est intense, et plus son oeuvre sera parfaite, car l'artiste lui-même est immanent à ces trois causes.
Dieu est l'Auteur et le Créateur de l'Univers. Nous l'avons montré antérieurement. Dieu créa l'univers par une triple causalité fondée sur l'unité de sa nature ou de Sa substance, et puisque operatur sequiter esse (l'oeuvre suit l'Être), il s'ensuit que Dieu est présent et immanent au monde de trois façons, comme l'artiste l'est dans sa statue: Dieu est présent comme la Sagesse qui conçoit le monde; Dieu est présent par la Volonté qui ordonne le monde; Dieu est présent par Sa Puissance qui gouverne le monde.
Une autre précision. Dieu n'est pas la cause statique de l'univers, c'est à -dire la Cause qui aurait conçu le monde, lui aurait donné des lois, l'aurait créé puis... l'aurait abandonné.
Dieu est plus que l'architecte d'une maison qui fait les plans de la demeure et l'exécute. Si l'architecte meurt, la maison reste debout, sans lui, parce qu'il n'en est que la cause statique, la raison de son devenir. Au contraire, Dieu est la cause dynamique aussi bien que statique de l'univers. Il est non seulement la cause de sa création (causa in fieri) mais aussi la cause de son existence (causa in esse).