Brexit : quatre enjeux pour un casse-tête
Attendue dans la journée de mercredi, l’activation du Brexit va ouvrir une période de négociations, prévue pour durer deux ans, qui s’annonce difficile.
LE MONDE | 29.03.2017 à 07h18 • Mis à jour le 29.03.2017 à 07h23 | Par Philippe Bernard (Londres, corr
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L’activation du Brexit, mercredi 29 mars, va ouvrir une période de négociations prévue pour durer deux ans. Un compromis n’est pas certain, tant les points de vue divergent, en particulier sur les questions-clés.
L’ordre du jour. L’article 50 du traité de Lisbonne prévoit que les négociations en vue du départ d’un Etat membre « tiennent compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ». Londres et Bruxelles interprètent différemment cette disposition. Tandis que l’Union européenne (UE) estime que le divorce lui-même doit être soldé – au moins dans ses grands principes – avant que des discussions sur les futures négociations commerciales puissent démarrer, les Britanniques insistent pour que ces deux énormes dossiers soient discutés de front.
Pour le chef négociateur Michel Barnier, pas question de parler commerce avant d’avoir réglé trois questions : le futur statut des expatriés européens, les contributions budgétaires restant dues à l’UE par le Royaume-Uni et le statut de la nouvelle frontière extérieure de l’Union en Irlande. Sans ce « séquençage » des discussions, Bruxelles redoute les Britanniques n’en profitent pour jouer sur tous les tableaux en même temps, ne « prennent » par exemple en otage la question des 3,2 millions d’Européens installés au Royaume-Uni pour décrocher des concessions sur les sommes restant dues à l’Union.
Le « saut de la falaise ». Les Britanniques redoutent le couperet prévu par l’article 50 : deux ans après la notification, le 28 mars 2019, faute d’accord et sauf prolongation accordée par le Conseil européen, le Royaume-Uni sera exclu du club. C’est le « saut de la falaise » évoqué quotidiennement par les médias britanniques, qui rétablirait des frontières douanières pour les marchandises comme pour les personnes et ferait éclater tous les mécanismes de coopération (transports, énergie, santé, etc.).
Pareille impasse est considérée comme catastrophique tant par les économistes, les milieux patronaux que l’opposition travailliste, à la fois pour les Britanniques et les continentaux. Mais Theresa May en brandit la menace en répétant que « pas d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». Son ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, va plus loin : il assure qu’un défaut d’accord serait « parfaitement OK » car Londres retrouverait alors sa liberté de signer des accords de commerce avec le monde entier, en particulier le Commonwealth.
Mais son collègue David Davies, ministre chargé du Brexit, a demandé à son administration de préparer un « plan d’urgence » pour l’éviter. Les Européens ne prennent pas ces menaces très au sérieux : elles sont de fait assez classiques en début de négociations, quand les parties tentent de s’impressionner mutuellement. Ils anticipent aussi que la pression des milieux d’affaires sera suffisante pour encourager Londres à conclure avec Bruxelles. Eux réclament le plus vite possible un minimum de clarté sur la nature des futures relations entre Royaume-Uni et UE, et redoutent par-dessus tout le vide juridique créé par une absence d’accord.
La facture. Il n’est pas question de « punir » les Britanniques, assurent les dirigeants européens. Pourtant, les Vingt-Sept en font une question de principe : le Royaume-Uni ne peut partir sans terminer de verser les sommes auxquelles il s’est engagé dans le cadre des programmes pluriannuels du budget de l’UE. Bruxelles réclame aussi, entre autres, qu’ils continuent pour un temps au moins à contribuer au paiement des retraites des fonctionnaires européens (spécialement des Britanniques). Le déménagement de l’Agence européenne des médicaments et de l’Autorité bancaire européenne, dont les sièges sont situés à Londres, pourrait coûter à eux seuls 10 milliards d’euros.
Ce chèque britannique pourrait atteindre 55 à 60 milliards d’euros, même si Bruxelles s’est bien gardée de confirmer un chiffre pour l’instant. Si Londres refuse de payer, les 27 membres restant dans l’UE devront mettre la main à la poche à sa place, et cette perspective est un puissant ferment d’unité.
Liam Fox, ministre britannique du commerce extérieur, a qualifié d’« absurde » l’idée qu’une facture soit présentée au début des négociations et la commission sur l’UE de la Chambre des lords a estimé qu’en l’absence d’un accord final, l’UE n’aurait aucun moyen juridique pour réclamer un paiement. Mais les mêmes Lords ont reconnu que si un « deal » est trouvé, un règlement serait « impossible » à éviter. Une hypothèse que Theresa May retient apparemment : elle n’a jamais exclu d’avoir à acquitter les dettes du Royaume-Uni, même si cette perspective alimente régulièrement les « unes » outragées des tabloïds.
Les Européens ont conscience que l’opinion publique britannique n’a pas été préparée à de telles sommes, et ils n’ont pas envie de mettre Theresa May dans une situation politique impossible en l’exigeant d’elle immédiatement et dans son intégralité. Pour éviter que la négociation n’achoppe sur cette question, Ils sont prêts à des concessions : à en négocier à minima le montant, à proposer un étalement des paiements. Mais pas question pour autant de renoncer.
Les expatriés. Plus de trois millions de ressortissants des 27 Etats de l’UE sont établis au Royaume-Uni. Theresa May se refuse à garantir la pérennité de leur droit au séjour post- Brexit, tant que les 1,2 million de Britanniques vivant dans un autre pays membre ne bénéficieront pas d’une assurance réciproque. Les expatriés au Royaume-Uni se sont rués en masse sur les kafkaïennes et incertaines procédures d’admission au statut de « résident ». Ils craignent d’être utilisés comme monnaie d’échange dans la négociation. Plusieurs sources proches des négociateurs, à Bruxelles, l’affirment : il n’en est pas question.
Bruxelles et les 27 Etats membres ont des opinions publiques à ménager, tout particulièrement la Pologne, dont près de 800 000 ressortissants vivent au Royaume-Uni. Les Européens veulent proposer à Londres que leurs ressortissants présents au Royaume-Uni au moment du Brexit puissent continuer à jouir de leurs prestations sociales (retraites, allocations sociales) sans être discriminés par rapport aux Britanniques. Les mêmes conditions seraient faites aux Britanniques résidant ailleurs dans l’Union avant le prononcé du divorce.
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