Christian de Chergé, prieur de Tibhirine, "L'invincible espérance"
En ce début 2011 vous avez été 3 millions de personnes en France à avoir vu le film de X. Beauvois " Des dieux et des hommes", le film sur les moines de Tibhirine, et vous vous souvenez du prieur, joué par Lambert Wilson, si émouvant. Eh bien aujourd'hui je vous parle du livre écrit par ce prieur, Christian de Chergé, publié en mai 1997 aux éditions Bayard et Centurion, intitulé 'L'invincible espérance", et qui rassemble des textes écrits par lui de 1974 au 8 mars 1996, soit peu de temps avant son assassinat le 21 mai 1996.
L'avis de La Procure. La maison de diffusion analyse le livre ainsi:
"Un magnifique recueil des plus beaux écrits spirituels de Christian de Chergé qui permet de saisir toute l'intensité croyante du prieur de Tibhirine qui se considérait lui-même comme étant un "priant parmi les priants", attaché à tout jamais à ses frères musulmans et à la terre de l'islam."
Ce livre, pour moi qui viens de le lire, est bouleversant car il est tout baigné de sa charité. Vivant pour ses frères d'Algérie et la communauté musulmane, il fait découvrir par plein de citations un aspect peu connu du Coran, son parallèle avec la Bible dans sa recherche de Dieu et de l'attitude du priant. On voit que sa vie quotidienne avec les villageois et les fervents priants musulmans, faite d'échanges et de partages, donne une autre vision de l'islam et permet dans ce monde de violence quotidienne (qu'il a lui-même aussi connu) d'avoir de l'espérance, et de constuire un dialogue et échange de prière.
Dans ce livre de 318 pages il y a 3 grandes parties, après une présentation par Bruno Chenu qui analyse ce livre ainsi:
"Le 21 mai 1996, les sept moines trappistes de Tibhirine étaient assassinés.
Quelques jours avant l'enlèvement, Christian de Chergé, prieur de la communauté de l'Atlas, écrivait : " Je les aime assez, tous les Algériens, pour ne pas vouloir qu'un seul d'entre eux soit le Caïn de son frère. Mais d'avance je confie celui qui, dans sa liberté mal éclairée, deviendrait meurtrier à la miséricorde du Père. Et si c'est à moi qu'il s'en prend, je voudrais pouvoir lui dire qu'il ne savait pas ce qu'il faisait, lui donner toutes les circonstances atténuantes".
Ce livre rassemble un choix de textes exceptionnels, de la seule plume de Christian de Chergé, et recueillis par Bruno Chenu (1942-2003) assomptionniste et théologien.
Après l'introduction nous avons:
Première partie, "L'homme de prière", 6 petits textes de 4 à 14 pages écrits entre 1974 et 1979, qui contiennent des confidences sur sa vie de prière.
Deuxième partie, "L'homme du dialogue", 4 chapitres plus longs, de 40 pages, écrits entre 1983 et 1995, sur sa connaissences du Coran par rapport à la Bible, son expérience de vie spirituelle avec des priants musulmans (des nuits de prière partagée, des rencontres régulières), et sa réflexion sur le dialogue et la vie partagée possible.
Enfin la troisième partie, "L'homme de la vie offerte et du pardon", des textes assez courts, écrits entre 1993 et 1996, qui sont des méditations, partant de fête de la liturgie quotidienne sur l'approfondissement de sa vie de moine en terre musulmane et sa relation à Dieu en Jésus par l'Esprit Saint avec ou devant ceux qui vivent du Coran. Ce sont des textes d'une rare profondeur spirituelle, d'un grand amour vécu. En lisant ces textes, bien qu'ils ne fassent parfois que trois pages, un seul par soirée me suffit pour méditer. D'ailleurs ces textes étaient partagés avec tout un groupe en Europe, moines et laïcs avec qui il avait promis d'écrire.
Voilà un livre qui nourrit la foi, malgré parfois ses interrogations et ses doutes, mais nourri d'une telle vie de charité, de prière et d'authenticité que je ne peux que vous le conseiller.
Voici une analyse plus longue et fouillée faite par Raymond Légaré:
Christian de Chergé, L’invincible espérance. Paris, Bayard 2010. 320 p.
Ce volume rassemble un choix de textes du prieur du monastère trappiste de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six autres moines en 1996. Regroupés en trois parties, ils marquent les étapes de son itinéraire spirituel que le présentateur Bruno Chenu résume ainsi : l’homme de prière, l’homme du dialogue interreligieux et l’homme mort en ayant pardonné à l’avance à ses bourreaux.
Homme de prière
Au terme d'un parcours qui a commencé avec son service militaire, s'est poursuivi avec son ordination sacerdotale et son entrée chez les trappistes, Christian de Chergé choisit de revenir en Algérie, cette fois non pas comme soldat, mais comme moine pour y poursuivre son engagement spirituel. Il y sera amené à faire un nouvel apprentissage : celui de la prière en milieu musulman.Dès l’abord, sa prière sera marquée par la présence de l’autre. Inclusive, elle s’ouvrira à son frère musulman et évoluera vers un renouveau de la perception des réalités spirituelles axé sur les prémices du salut offert par Dieu à tous les croyants. Un événement, que Chenu compare à la Nuit de feu de Pascal, aura pour lui valeur de révélation lorsqu’un soir à la chapelle, peu après son arrivée au monastère, il est amené à prier en la Présence du Maître, et en la présence également d’un musulman unissant subrepticement sa voix et ses prières de croyant à la sienne. Inédite, cette expérience de prière inspirera sa quête spirituelle. Soucieux de faire alliance avec Dieu tout en prenant conscience de la présence prophétique de l’Esprit au sein des autres familles de croyants, il découvrira progressivement combien la prière est un langage universel qui inclut aussi bien la Fatiha musulmane que le Magnificat. Tout être priant devient une Maison de prière, un temple de l’Esprit, présent chez tous les peuples. La prière ne peut à ses yeux être qu’inclusive comme celle de Jésus : « Cette unité de tous les peuples dans le Cœur du Christ semble plus évidente encore quand on se met loyalement à l’écoute d’un autre peuple en prière, et qu’on découvre, à travers lui, que les attitudes et les mots les plus simples de l’expression spirituelle ignorent les frontières de religion. » (p.50)
Homme de dialogue
La notion de Dieu partagé forme ainsi l’assise de son désir d’entamer le dialogue avec l’islam. Rompant avec l’isolement du monastère par rapport au milieu environnement, il mettra sur pied avec l’aide de son évêque un groupe de rencontre interreligieux qui se réunira deux fois l’an pour échanger sur les liens existant entre Révélation coranique et biblique. Au cœur de ce dialogue se retrouve la figure du Dieu miséricordieux dont les traits sont connus des musulmans et des chrétiens. Valeur œcuménique, cette figure peut au-delà des différences importantes ramener au-devant de la scène du monde religieux l’unicité de la Création, œuvre de Dieu. Le monde n’a d’origine qu’en Dieu et l’Incarnation du Verbe a lieu sous des modes distincts en christianisme aussi bien qu’en islam. Le Coran fait d’ailleurs l’éloge d’autres croyants, prêtres et moines chrétiens, sabéens et juifs qui, faisant le bien, trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur (Coran 2,62).
Avec force, il invite à s’opposer à la tentation constante de réduire la communauté que se rassemble l’Éternel à celles que nos temples faits de main d’homme parviennent à regrouper vaille que vaille. Mais s’il faut espérer faire alliance entre croyants au-delà des divisions existantes, ce ne sera jamais qu’en préservant une unité différenciée : et c’est tant mieux ainsi. L’identité devient facilement idolâtrique et persécutrice.
En droite ligne avec Vatican II et la mission spirituelle du Christ, cette solidarité des croyants s’abstiendra de prosélytisme. Prier ensemble, faire le bien, pratiquer l’hospitalité sont les principes à la base de ce dialogue interreligieux pratiqué à Tibhirine. La rencontre des traditions musulmane et chrétienne ne peut se faire sur des bases théologiques, voie sans issue, mais sur un dialogue existentiel qui reconnait l’unité différenciée des croyants en Dieu.
Homme de la vie offerte et du pardon
La dimension de l’engagement du P. Christian apparaît nettement dans le destin tragique qu’il envisage avec sérénité dans son remarquable testament spirituel rédigé dès le mois de décembre 1993. Face à la menace et à l’hostilité à l’égard des étrangers démontrée par le GIA, la question se pose : partir ou rester. Plusieurs religieux et religieuses ont déjà payé de leur vie leur décision de ne pas céder à la menace et de continuer à assurer la présence de l’Église en Algérie. Vivant constamment dans la peur, les moines de la communauté choisissent quand même de rester. Arrêtés et détenus pendant deux mois par un groupe islamiste pour des motifs contraires à ceux pour lesquels ils avaient vécu, on apprendra par un communiqué du GIA du 31 mai 1996 qu‘ils ont été assassinés. Revivant la passion et la Pâques du Christ, jusqu’à offrir à l’avance le pardon à ses assassins, le témoignage du P. Christian prolonge l’Esprit de la Pentecôte où l’Amour devient don de Dieu offert à tous ceux qui acceptent de mourir pour renaître à la vraie Vie. Ce témoignage a une dimension qui peut déranger, tellement il est hors du commun. Mais il est destiné à être compris par cette minorité d’appelés capables de dépasser jusqu’à l’héroïsme la condition humaine à la suite du Christ. Ce groupe de moines exceptionnels s’inscrit dans une longue liste de martyrs qui ont donné leur vie pour ceux qu’ils aimaient. Le Seigneur les a accueillis dans son Royaume comme il accueille ceux qui ont su témoigner jusqu’au bout de la grandeur de l’Amour de Dieu et le partager malgré leur faiblesse. Intimidant témoignage, auquel l’Évangile donne tout son relief tout en lui enlevant sa dimension de tragédie sacrée. L’Amour ici a chassé le destin aveugle au profit de l’affirmation d’une liberté libératrice dont Dieu seul reste le gage. Les fruits du martyre seront toujours variés et imprévisibles, mais le Christ a su à chaque époque de l’Église en assurer l’éclosion. Aux chrétiens d’en apprécier la grandeur et le message.
Raymond Légaré