L’évolution de nos connaissances du texte original
Une deuxième raison est l’évolution de nos connaissances : nous possédons de meilleurs manuscrits de la Bible que les hommes des siècles précédents qui l’ont traduite et nous savons mieux ce que signifient les mots que les auteurs bibliques employaient.
Les Editeurs de la New English Bible (parue en 1970) donnent, parmi les raisons qui les ont motivés à faire une nouvelle traduction, les récents développements des sciences bibliques. « Un grand travail très valable a été accompli, et beaucoup de découvertes archéologiques, faites au cours de ces cinquante dernières années, ont fondamentalement changé l’interprétation d’une grande partie de l’Ancien Testament. Tous les manuscrits importants ont été étudiés plus à fond et comparés entre eux. Des manuscrits plus anciens et plus fiables ont été découverts. La connaissance des langues bibliques-l’hébreu, l’araméen et le grec-a progressé par le travail de spécialistes utilisant une gamme plus étendue de sources et de matériaux. »
Au 16e siècle, Luther, Lefèvre d’Etaples et Olivétan ont travaillé sur l’édition grecque du Nouveau Testament faite hâtivement par Erasme de Rotterdam à partir de manuscrits des 11e au 15e siècles. Or, depuis lors, on a découvert des manuscrits du Nouveau Testament du 4e siècle (Sinaïticus, Vaticanus) et même du 1er siècle av. J. C. pour l’Ancien Testament (manuscrits de la mer Morte). On a actuellement quelque 5 000 manuscrits que l’on peut comparer entre eux et grâce auxquels les savants peuvent déterminer avec une approximation de plus de 99 % la teneur du texte original.
Entre ces différents manuscrits, il y a des variantes. D’où proviennent-elles ?
Nous ne possédons l’original d’aucun livre biblique, mais seulement des copies de copies de copies … Or, chacun sait qu’il est impossible de faire la copie d’un texte long sans erreur, surtout si l’on ne connaît pas bien la langue de ce que l’on copie. Or, entre 500 et 200 av. J. C., l’hébreu parlé a été remplacé par l’araméen. Pour les copistes, ce qu’ils devaient copier était donc une langue étrangère. Or, on fait bien plus de fautes en recopiant un texte dans une langue étrangère (il suffit de parcourir les bibliographies qui mentionnent des titres de livres anglais ou allemands pour s’en convaincre).
Les manuscrits étaient souvent copiés très rapidement par des copistes professionnels qui utilisaient des abréviations pour les mots courants. Ces abréviations pouvaient être une source d’erreur pour le copiste suivant.
Lorsque les chrétiens des premiers siècles voulaient posséder une copie des évangiles ou de l’une des épîtres, ils empruntaient l’exemplaire de l’Eglise et confectionnaient leur copie eux-mêmes. C’était le procédé le moins coûteux pour se procurer une partie des Saintes Ecritures, mais aussi celui qui exposait les copies au plus grand nombre d’erreurs, car ces copistes amateurs étaient loin d’être des spécialistes et l’orthographe ainsi que d’autres détails leur importaient peu : pourvu qu’ils puissent se relire eux-mêmes. Ils n’ont certainement jamais imaginé que leur humble copie pourrait avoir une quelconque valeur une quinzaine de siècles plus tard.
Parfois, plusieurs copistes travaillaient en même temps sous la dictée d’un lecteur. Des erreurs de copie peuvent être dues à une mauvaise lecture ou une mauvaise compréhension de ce qui a été lu. Probablement, dans #2Co 8.7, les variantes « votre amour pour nous » et « notre amour pour vous » proviennent du fait qu’en grec, votre, nous, notre, vous s’entendent de manière presque pareille.
D’autre part, comme les copistes connaissaient bien leur Bible, ils avaient tendance à harmoniser un passage avec un autre, surtout dans les passages parallèles des évangiles synoptiques ou des Rois et des Chroniques. Ainsi, dans #Mr 1.14, on trouve dans certains manuscrits « l’évangile du royaume de Dieu » au lieu de « l’évangile de Dieu » probablement par analogie avec l’expression fréquente dans Matthieu. Ils avaient également tendance à clarifier ou « améliorer » des passages obscurs ou difficiles. Dans #Mr 1.2, l’original « dans le prophète Esaïe » est devenu « dans les prophètes », car la citation provient en fait d’Esaïe et de Malachie.
Dans les anciennes versions, on trouve un certain nombre d’additions qui proviennent de telles harmonisations des copistes. Par exemple, le Notre Père de #Lu 11.2 a été complété par « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » qui se trouve dans #Mt 6.10. Les nouvelles versions ne contiennent plus cette formule dans Luc. Dans #Col 1.14, (Ostervald et les autres versions qui suivent le Texte reçu), « par son sang » a été importé d’#Eph 1.7. Dans #1Co 11.29, le mot « indignement » a été repris du v. 27 où tous les manuscrits le mentionnent (Darby met ces variantes en note). #Ac 9.5-6 qui raconte la conversion de Saul a été harmonisé avec #Ac 26.14. Dans les anciennes versions, on trouve à la fin du Notre Père une formule finale (« car c’est à toi qu’appartiennent… ») qui est absente des plus anciens manuscrits et provient probablement de l’usage liturgique de cette prière dans l’Église ancienne. Les nouvelles version soit ne l’ont plus, soit la mettent en note ou entre crochets. Il en est de même de #1Jn 5.7-8 (les mots entre crochets dans Col.) et de la finale de #Mr 16.9-20.
Une autre source de variantes était l’usure des parchemins et des papyrus : les mots devenaient difficilement lisibles, alors les copistes ont suppléé ce qu’ils pensaient avoir été le texte originel. Parfois aussi, des gloses marginales se sont glissées dans le texte parce que le copiste pensait qu’elles faisaient partie du texte originel.
Dans l’Ancien Testament, presque tous les manuscrits datent au plus tôt du 9e siècle après J. C., c’est-à-dire plus d’un millénaire après les originaux. Ce Texte massorétique est à la base de toutes les traductions existantes de l’Ancien Testament. Comme il est écrit sans espaces entre les mots, il est possible de mettre la séparation au mauvais endroit. De plus, il ne contenait pas de voyelles-qui doivent être substituées par les éditeurs des Bibles hébraïques. Ainsi, le mot mlkm dans Jer 49.1, peut se lire Milkom (équivalent de Moloch), le nom d’une divinité ammonite, ou malkam (leur roi) (cf. #Am 8.8). Les anciennes versions de l’Ancien Testament aident parfois à rétablir le texte original là où le texte massorétique est illisible ou détérioré. Dans #Ge 4.8, « Allons aux champs » a été rajouté d’après le Pentateuque samaritain et les versions syriaques. Dans #1S 8.16, le texte massorétique dit que le roi prendra les jeunes gens vigoureux, la Septante a « le bétail ». Les bonnes versions actuelles signalent l’option qu’elles ont choisie et indiquent l’autre en note.
Les manuscrits de la mer Morte découverts à Qumrân au milieu du 20e siècle ont permis, pour certains livres bibliques (Esaïe, Habaquq), de faire un bond d’un millénaire en arrière puisqu’ils datent du 1er siècle av. J. C. Grâce au commentaire d’Habaquq trouvé à Qumrân, on a corrigé le texte massorétique qui avait : « Continuera-t-il toujours à vider son filet » en : « à dégainer son glaive ». Dans 2.5, « le vin est traître » a été changé en « la richesse décevra ». Dans beaucoup de cas, cependant, les manuscrits de Qumrân ont confirmé le texte massorétique là où certains exégètes avaient tendance à le corriger. Dans Es 21.8, Segond et les anciennes traductions parlent de crier « comme un lion », mais le texte de Qumrân porte un mot ressemblant à celui qui désigne le lion et qui signifie guetteur. C’est pourquoi les versions modernes comme la BS ont traduit : « Le guetteur a crié ». Dans le célèbre chapitre 53, le v. 11 se lit dans les versions traditionnelles « A cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards », mais le texte de Qumrân porte : « Après avoir tant souffert, il verra la lumière, et il sera comblé ».
Pour le Nouveau Testament, le « texte reçu » reproduisait grosso modo le type de manuscrits orientaux ou byzantins qui abondent en harmonisations et en additions « correctives ». Les versions « historiques » ont toutes suivi ce type de texte grec. Au 19e siècle, après la découverte des manuscrits datant du 4e siècle (Sinaïticus et Vaticanus), on a eu tendance à ne suivre qu’eux. Dans l’édition de son Nouveau Testament grec, Tischendorf a nettement favorisé les variantes du Sinaïticus qu’il avait découvert. Plus récemment, on en est venu à une attitude plus éclectique, car on s’est aperçu que le texte dit occidental contenait des variantes qui avaient toutes les chances d’être authentiques-mais que lui non plus, on ne pouvait pas le suivre aveuglément.En plus des grands manuscrits du 4e siècle, on a découvert des fragments du Nouveau Testament sur papyrus. L’une des collections les plus importantes fut acquise en 1930-31 par Chester Beatty dont elle porte le nom. Trois de ces papyrus sont des codex du Nouveau Testament. L’un d’eux contient 30 feuilles des évangiles et des Actes datées d’environ 220. Un autre, daté de l’an 200 est composé de 86 feuilles portant des épîtres de Paul. En 1956, Martin Bodmer, un humaniste et bibliophile genevois, a acquis une autre collection de papyrus contenant la plus grande partie de l’évangile de Jean daté d’environ l’an 200. Les plus vieilles copies connues des épîtres de Pierre et de Jude se trouvent sur un autre codex Bodmer daté entre 175 et 225. On a même trouvé un petit fragment de l’évangile de Jean que les spécialistes datent du premier quart du 2e siècle.
Nous possédons actuellement quelque 8000 manuscrits de versions des Ecritures, plus de 2 000 lectionnaires, plus de 2 700 minuscules (manuscrits plus tardifs), 260 onciales (manuscrits en majuscules plus anciens) et quelque 80 papyrus.
Les sources d’information dont nous disposons vont de manuscrits complets du Nouveau Testament à des fragments de papyrus contenant un ou deux versets dans différentes langues, de « lectionnaires, » c’est-à-dire de livres contenant des lectures sélectionnées dans l’Ecriture et destinées à être lues dans les Eglises ou les monastères, à des citations fort nombreuses de passages bibliques dans les écrits des Pères de l’Eglise. Rien qu’en grec, nous possédons à l’heure actuelle 5338 manuscrits-et pas deux d’entre eux sont absolument identiques. Cela explique le nombre impressionnant de quelques dizaines de milliers de variantes qui nous sont parfois citées comme preuve que nos Bibles ne sont guère fiables. Il faut cependant savoir que la plupart de ces variantes sont de simples fautes d’orthographe ou d’inattention (comme les mots n’étaient pas séparés par des espaces et qu’il n’y avait pas de ponctuation, il était facile de faire de telles fautes). Toutes ces fautes sont faciles à repérer et à corriger.
Est-il possible, dans ces conditions, de parvenir à rétablir le texte authentique du Nouveau Testament ? Il faut savoir tout d’abord qu’entre les manuscrits les plus divergents il y a accord sur 97 % du texte. Si l’on compare le « Texte reçu » établi par Erasme de Rotterdam au texte grec des dernières éditions de la Société biblique, il n’y a pas plus de 3 % de différences. D’autre part, les découvertes de manuscrits anciens faites depuis le 16e siècle nous ont permis de réduire considérablement cette marge d’incertitude de sorte que l’on peut dire que nous disposons actuellement d’un texte grec sûr à plus de 99 %. Le texte de l’Ancien Testament approche aussi de cette proportion grâce aux travaux des nombreux spécialistes de la critique textuelle qui comparent les textes massorétiques à tous les autres documents nous permettant de nous rapprocher davantage du texte original (Septante, Pentateuque samaritain, anciennes versions, Targums … ).
La critique textuelle a progressivement élaboré un certain nombre de règles pour déterminer quelle « leçon » a le plus de chances d’être authentique. L’une de ces règles dit, par exemple, qu’il faut donner la préférence à la variante la plus difficile, car un copiste aura toujours eu tendance à substituer un texte plus facile à comprendre à un texte difficile plutôt que le contraire. (Nous reviendrons sur cette question au chapitre 8).
Les progrès de la critique textuelle nous donnent un texte de base plus fiable. Les versions modernes basées sur ces textes ont donc plus de chances de reproduire exactement ce que les écrivains sacrés ont écrit.
Il faut dire, cependant, que ces corrections n’affectent qu’une partie infime du texte biblique et jamais une doctrine essentielle n’est mise en cause par ces variantes.
L’une des rares variantes affectant le sens du texte se trouve dans Apocaplypse #Ap 1:5 : « A celui qui nous a délivrés de nos péchés par son sang » au lieu de « A celui qui nous a lavés… ». Parfois, un traducteur choisit une variante, un autre préfère l’autre « leçon ». Toutes les bonnes versions mettent en note les variantes plausibles qu’elles n’ont pas retenues. Mais comme il s’agit de la Parole de Dieu, nous avons tout intérêt à posséder le texte tel qu’il a été écrit, plutôt que tel qu’il nous est parvenu après des siècles de copies successives.
L’existence et le choix des variantes sont donc une autre raison - mineure — des différences entre les traductions bibliques.
Il va sans dire qu’une traduction faite sur les langues anciennes a plus de chances d’être exacte que celle qui traduit une première traduction. Actuellement, presque toutes les versions sont faites sur les originaux grecs et hébreux. Seule la version d’André Frossard fait exception, étant basée sur la Vulgate. Mais nous avons vu que, dans l’Église romaine, ce n’est qu’au début du 20e siècle qu’est apparue la première Bible française directement traduite sur le grec et l’hébreu. Auparavant, on utilisait donc des traductions d’une traduction, ce qui augmentait forcément le risque d’erreurs.